— Paul Otchakovsky-Laurens

Le présent infini s’arrête

Prix Ethique et Réflexion Pierre Simon 2016

Mary Dorsan

« Bon, j’écris ce qui se passe dans mon service. Je travaille dans un appartement thérapeutique, rattaché à un hôpital psychiatrique. On accueille des adolescents. Très malades, souvent, dont personne ne veut. Qui en plus de leurs troubles psychiatriques, ont des troubles de l’attachement, des pathologies du lien. Alors ça remue ! Ça remue les soignants.
J’écris les souffrances de ces jeunes. La diffi culté de les soigner, de les accompagner ou tout simplement de rester là, avec eux. Je tente d’écrire la complexité des relations avec eux et la complexité des effets sur les soignants et les relations des soignants entre eux. Je veux raconter ce que...

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France : rectangle productions

La presse

Pour affirmer que vous existez


Dans ce premier roman très maîtrisé et littéraire, Mary Dorsan relate un an du quotidien d’adolescents et de soignants d’un institut psychiatrique.


Une année, dans un appartement thérapeutique pour adolescents souffrant de troubles mentaux. Le contenu très dense des 700 pages de ce premier roman est le quotidien, présenté en chapitres thématiques, d’une année avec ces patients très particuliers et leurs soignants, entre ces murs et au-dehors. Mary Dorsan est infirmière psychiatrique. Elle a fait de son histoire un roman, l’histoire de Caroline, signé d’un pseudonyme pour protéger ses patients.
Au coeur de ce livre mêlant la joie au sordide, le sombre à la lumière, la vivacité des dialogues et la spontanéité désarmante - et parfois touchante - des patients, on trouve l’infinie complexité de la relation soignants-patients. La question de la juste distance impossible à fixer. Le lien se tisse malgré les protagonistes, se défait parfois, frustre, énerve, fait mal. L’envie de soigner poursuit le soignant dans son intimité, dans son confort sommaire qui semble soudain luxueux, excessif et si précieux ; le besoin de chaleur ramène les jeunes vers ce foyer, souvent le seul véritable qu’ils aient connu.
Il y a Aurélie, Romuald, Jonathan, Augustin... entourés par Irène, Violaine, Ivan, Nathan... Il faut un peu jouer la maman pour Hisham, que la sienne a mis dehors, nettoyer les excréments et le sang que Thierry étale sur les murs, empêcher l’un d’agresser un SDF dans la rue, désamorcer une bagarre entre deux autres, ne pas s’attacher, contenir une répulsion... Il y a la vie normale, la cuisine, la vaisselle, le jardinage, les sorties au musée, les réunions entre praticiens. Et partout en réalité un seul sujet : la violence.
«La violence n’est pas toujours la même (...). Comment dire en cinq ou dix minutes la manière dont les interactions entre les soignants influencent les événements qui conduisent à la violence, qui se déroulent pendant un éclat de violence et après... Parce que cela ne finit pas abruptement, la violence. C’est un peu comme la mort, le début, la confirmation, la fin... les frontières ne sont pas claires, distinctes.»
Le quotidien s’étire en un présent infini, tandis que les situations et les gestes sont sans cesse répétés, leur portée demeurant imprévisible. On songe à Martin Winckler, seul écrivain à ce jour à avoir si bien décrit, en médecin militant, la nécessaire empathie et écoute du soignant. «Si l’enfant ne réagit pas au geste, il est séparé des autres et considéré comme fou», nota Ludwig Wittgenstein (1) au sujet d’enfants auxquels on apprenait à compter en groupe, attendant d’eux qu’ils poursuivent seuls sur un code tacite.
De cette phrase, l’anthropologue Éric Chauvier fit le titre d’un passionnant récit du quotidien dans un foyer d’adolescents en difficulté (2), abordant la capacité d’adaptation à une norme sociale. Mary Dorsan propose une autre forme d’observation, moins sociologique et anthropologique que professionnelle, littéraire et empathique. L’étrangeté, au monde et aux autres, est son matériau. Celle des patients comme des soignants : «- Je rêve de faire de l’humanitaire, à l’étranger... - Travailler avec les petits, ça me plairait... - En institut médico-éducatif, ce serait moins dur... - Directrice de crèche ! pourquoi pas ! - Éducatrice canine... l’orthophoniste y pense... sérieusement... et elle voit les jeunes et leur famille moins que nous. »
Le livre est conclu par une bibliographie d’ouvrages dont on imagine qu’ils ont accompagné l’auteur durant l’écriture poétique de ce roman, et par une postface en forme de dédicace : «À mes collègues, à nos patients et leur famille. C’est écrit parce que c’est notre histoire mêlée. C’est le récit de vies difficiles, méconnues, à la marge. Pour affirmer que vous existez. Que nous existons ensemble. Garder le silence était impossible. Vous dire ce livre aussi.»


(1) Le Cahier bleu et le Cahier brun (traduit de l’anglais par Marc Golberg et Jérôme Sackur, Gallimard, 1996).
(2) Éric Chauvier, Si l’enfant ne réagit pas, Allia, 2008 (lire La Croix du 21 février 2008).

Sabine Audrerie, La Croix, septembre 2015


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