— Paul Otchakovsky-Laurens

Fairy Tale

Prix Marie-Claire 2017

Hélène Zimmer

Pour son premier roman, Hélène Zimmer a voulu faire le portrait d’une femme rongée par le quotidien. L’installation en couple, la naissance des enfants, les obligations financières, tous ces éléments constitutifs de la famille participent de la dégradation identitaire. Plus les statuts s’empilent, plus les couches sociales se superposent – femme, mère, vendeuse – plus l’être se disperse, perd en épaisseur. Coralie existe pour les autres. Sa vie appartient à ses enfants, au père de ses enfants, à son patron. Elle pense avoir choisi librement ce qui l’entrave. Son histoire est celle d’un emprisonnement consenti. Au lieu d’essayer...

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La presse

Fairy tale veut dire conte de fées. Du coup, on imagine : il était une fois une ravissante Coralie qui vivait avec Loïc, son charmant fiancé, et leurs trois jeunes enfants adorables, prénommés Titi Popo et Lulu Titi? Sûr d’avoir bien lu ? Titi comme dans Titi et Grosminet?


En quelque sorte car à la dixième ligne du roman d’Hélène Zimmer, Coralie a à peine ouvert la bouche que déjà le fairy tale casse la baraque d’un supposé pays des merveilles : Putain de sa race, beugle Coralie qui vient de se brûler en sortant du four un boeuf bourguignon. Fin du conte de fées et début d’un cauchemar domestique où une jeune femme se démène entre un compagnon au chômage, trois gamins chiants, un boulot de vendeuse de merde dans un quelconque Gifi, et le tourment des finances.


Pour sauver ce qui lui reste de meubles, Coralie a un projet qui passe par le pire : inscrire Loïc a Fairy Tale, une télé-réalité sur les chômeurs. En attendant ce miracle, la vie va : barbecue chez les voisins sympas, sadisme d’un petit chef, vacances en mobile home, clopes et cubi de rosé, nouilles au ketchup et écran de télé king size devant lequel on se vautre pour découvrir la différence cruciale entre le toilettage traditionnel pour chats et le toilettage pour chats persans. C’est quoi ce bastringue ? C’est la France plus que moyenne, celle des fracasses de la prospérité qui encaissent en première ligne les violences du capitalisme. Ceux qu’on a convaincus qu’il y a de quoi hésiter entre la promo sur les fraises Tagada et le menu découverte du McDo, ceux qui ont oublié qu’ils pourraient se révolter, ceux qui au bout du tunnel de l’épouvante sociale, auraient bien des raisons désespérantes de voter FN.


A lire Hélène Zimmer (par ailleurs actrice, réalisatrice et scénariste), on a souvent l’impression de lire un film comme une petite soeur des freres Dardenne pour son talent à décrire le chaos social et l’espoir d’un vivre ensemble malgré tout. Hélène Zimmer est une surdouée des dialogues où la langue est chargée de mots crus pour se venger de la bien-disance ambiante et des injonctions publicitaires. Coralie pourrait dire : cette enculée d’Hello Kitty ! Elle préfère dire à Loïc : Je m’appelle Coralie au fait. Je suis la mère de tes gosses. Tu sais, la chatte que tu remplis quand t’es au calme chez toi. Cette déclaration de guerre est aussi une déclaration d’amour.


Gérard Lefort, Les Inrockuptibles, 22-28 mars 2017



Jeunes Français moyens, Coralie et Loïc sombrent dans la misère. Un roman abrupt et fulgurant.


D’abord on est saisi par la brutalité et la cadence rock de l’écriture : crudité et minimalisme des dialogues qui s’encastrent à la hache dans de courts ¬paragraphes aux phrases courtes, elles aussi. Mots carnassiers, insultes, verbes à l’arrache, rythmes chaotiques pour situations quotidiennes de violence extrême - familiale, conjugale, professionnelle, amicale. Par le verbe rapide et dru, et sans avoir besoin de décrire, ou de faire dans la psychologie, Hélène Zimmer fait entrer rudement dans l’ordinaire poisseux et lourd d’un couple de chômeurs trentenaires - Coralie et Loïc - et de leurs trois enfants. Normal, avant ce superbe premier livre, la jeune romancière était déjà actrice, scénariste, réalisatrice. En praticienne de la langue et de l’image, elle sait le pouvoir des répliques et visualiser, cadrer à merveille les scènes. Comme à travers un montage très serré, on passe ici d’un univers à l’autre sans souffler. On est chez les exclus de la croissance, les rejetés du libéralisme, les presque pauvres à la veille de sombrer. Loïc est au chômage depuis deux ans. Coralie, qui assume seule la survie du foyer, à la veille de se faire virer de son emploi de vendeuse dans la zone commerciale proche de leur pavillon. Son nouveau patron ne supporte pas cette fille indépendante. Elle a trop de mal à se plier aux exigences de la vente. Commence la descente aux enfers de Coralie. Malgré les vacances au camping, le vin rouge avec les potes, le barbecue, et le tournage, chez eux, de Fairy Tale - ce magazine de télé-réalité compassionnelle qu’elle a su « miraculeusement » intéresser pour trouver du boulot à Loïc... On pense aux films des frères Dardenne, l’espérance et la rédemption en moins ; à Ken Loach, aussi, mais sans les bons sentiments... A toute vitesse et sans discours, Hélène Zimmer fait voir les rejetons de ces « Français moyens » que chantait Sheila dans les années 1960, au seuil de la misère sociale aujourd’hui. Son roman, diablement politique sans jamais le revendiquer, est sauvage, terrifiant. Et pourtant allègre, vif, drôle souvent. Jamais glauque ou complaisant. C’est que l’art de l’écriture est là. Indéniablement.

Fabienne Pascaud, Télérama, 3 avril 2017




Hélène Zimmer : la vie décibels


Une mère héroïque mise sur la télé pour s’en sortir. Premier roman d’Hélène Zimmer.


Coralie n’a pas 30 ans. Elle travaille à «une heure de caisse» de chez elle, dans un magasin en forme de hangar (chez «Bonnin, la grande vie à prix riquiqui» ), le genre d’enseigne où on trouve pour la maison tout ce qu’on n’était pas venu chercher : coussin péteur, écharpe «Mister Sex» , micro transformateur de voix, ou encore «le lot de cinq gels douche senteur "tropiques", en promo à seulement trois euros quatre-vingt-dix, et le canard électrique étanche qui fait radio et appareil photo» . Ces fantaisies sont du ressort de Coralie, vendeuse au «rayon fête» . Mais ce n’est pas la fête pour elle. La première phrase du livre est : «Coralie beugle.»


Les verbes de Fairy Tale, premier roman d’Hélène Zimmer, sont choisis avec une économie et un soin diaboliques, de manière à frapper le tympan et le regard en même temps : les enfants jappent, la plus petite couine, les adolescentes hennissent. Coralie aboie. C’est la bande-son de la vie de famille saisie au ras du quotidien. Décor minimaliste, pavillon, jardin, voisins, télé. Coralie crie, parce qu’elle a trois enfants, Popo, Titi et Lulu, parce que c’est l’heure de dîner et qu’elle a flanqué le bœuf bourguignon par terre. Elle crie faute de savoir comment parler à Popo, bientôt 12 ans, qui est toujours au bord de s’en prendre une. Popo flanque les assiettes n’importe comment dans le lave-vaisselle, sent la cigarette, fait la tête : «Elle m’emmerde ta fille ! Elle m’emmerde ! Putain !»


«Ta gueule»


Coralie crie surtout contre Loïc, son compagnon, au chômage depuis deux ans : «J’en peux plus», «Merde», «Ta gueule», «Tu me fais chier» . Ainsi s’exprime-t-elle. Hélène Zimmer, née en 1989, est aussi réalisatrice. Dans son premier film, sorti en 2015, A 14 ans (portrait dans Libération du 25 février 2015), les héroïnes, des gamines en classe de troisième parlent exactement comme ça, car la cinéaste les montre quand il n’y a pas d’adulte dans les parages. Si Titi, 7 ans, dit qu’il commence à se faire chier (la famille a réussi à partir en vacances), sa mère proteste : «Ah non pas déjà… Et puis parle mieux je t’ai déjà dit.» Loïc est également soucieux de bien élever ses enfants. Il accepte que Titi l’aide à peser les sachets de «beuh» , mais ce n’est pas un père laxiste. Sur l’éducation, Coralie et lui s’entendent. Il est plus proche de Popo, elle est la maman adorée de Titi. Ils font ce qu’ils peuvent. Quand même, Coralie peut davantage que Loïc. C’est elle qui range, qui nettoie, qui fait vivre les siens, puisque Loïc n’a pas de travail. Dans trois semaines, les indemnités de chômage s’arrêtent. Pour cette raison, Coralie répète : «J’en peux plus.» Un soir qu’elle regarde la télévision sans la voir, elle tombe sur Fairy Tale, l’émission qui se met en quatre pour aider des demandeurs d’emploi triés sur le volet à se réinsérer dans la vie active, afin qu’ils retrouvent leur dignité.


Fairy Tale, le roman, se met rapidement à tresser plusieurs cordes, pour mieux aller se faire pendre. Chez Bonnin, un chef atroce harcèle Coralie, qui doit subir en prime la rancune d’une collègue surprise en train de baiser dans les vestiaires. Côté casting pour l’émission, Loïc a été appelé par la chaîne de télévision, Coralie l’ayant inscrit sans le lui dire. Elle s’obstine dans sa stratégie. Maintien des apparences, fierté, courage, inventivité, probité, propreté : elle a son couple et sa famille à maintenir hors de l’eau. Elle les défend bec et ongles, n’hésite pas à donner des coups s’il le faut. On pense un peu à Roses à crédit d’Elsa Triolet, et aux Belles Images de Simone de Beauvoir, ces romans de l’aliénation féminine - aux temps de la consommation triomphante, il est vrai. Mais dans son combat évidemment inégal contre la société, Coralie rappelle surtout les héros de Ken Loach.


«Monde finissant»


Fairy Tale est si vivant, si visuel, une scène, un geste, une mimique après l’autre, qu’on a l’impression d’un film dont le livre serait le synopsis détaillé. Mais il y a des phrases qui ne relèvent pas du cinéma, quand Loïc s’accroupit près de Coralie, et que «la peur lui ravine la face» , ou quand Coralie «défie sa figure froissée dans le miroir» . Hélène Zimmer le dit explicitement sur le site des éditions P.O.L dans une vidéo : ce sont des scènes de roman. Elle n’a pas écrit son livre comme un scénario. Elle dit aussi que le monde de Coralie est «un monde finissant» .


Mettons tous nos espoirs dans Titi, l’enfant «frappé d’une stupéfaction presque heureuse» dans les moments de crise. Sommé d’aligner au moins dix phrases par le réalisateur exaspéré de Fairy Tale, l’émission (moments grandioses de Fairy Tale, le roman), Titi se lance : «Je m’appelle Titi. J’ai sept ans. Mon père il est au chômage. Il faisait des cartons mais l’usine elle a fermé. Il travaille plus et c’est ma mère qui travaille. Elle s’occupe bien de nous. Mais lui aussi. Il travaille quand même parce qu’il s’occupe de nous. Et ma mère elle travaille double parce qu’elle fait Bonnin et en plus elle s’occupe de nous quand elle rentre. On est ni riches ni pauvres. Voilà ça fait dix.»


Par Claire Devarrieux , Libération, 31 mars 2017


Vidéolecture


Hélène Zimmer, Fairy Tale, Hélène Zimmer lit quelques pages de Fairy Tale février 2017

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