— Paul Otchakovsky-Laurens

je te fais un dessin

Marc Cholodenko

Ut pictura poesis, cette expression latine signifie littéralement « comme la peinture, la poésie », c’est-à-dire « la poésie ressemble à la peinture ». Elle est tirée d’un vers de l’Art poétique d’Horace. Elle est devenue, surtout depuis la Renaissance, un thème incontournable de la critique littéraire et artistique sur la correspondance des arts. Pour Marc Cholodenko on peut aussi voir cette assertion comme un défi, qu’on peut tenter de prendre au mot. D’un sujet donné, on a rassemblé la dissémination d’un tour de crayon (feuilleter un carnet de dessins), on a rempli la surface par petites touches...

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La presse

Papiers coupés-collés

Georges Perros et Marc Cholodenko, voilà deux écrivains et poètes singuliers. Alors que les « oeuvres » du premier et un nouveau livre du second viennent de paraître, comment les « papiers collés » de l’un et les « paperoles» de l’autre s’affichent-ils désormais, dans le contexte contemporain d’un monde de fragments multipliés sur la « toile » immatérielle et presque sans limites de nos écrans ?

[…] La question de la notoriété, on ne peut en tout cas s’empêcher de se la poser pour un autre écrivain, bien vivant, et poète assurément, dont vient de paraître je te fais un dessin, un livre extraordinaire qui poursuit le travail d’une oeuvre elle aussi fort singulière, trop peu lue, aventureuse et fière dans ses défis renouvelés, de texte en texte, depuis plus de quarante ans : Marc Cholodenko. Perros, Cholodenko : deux isolés pour initiés ? Le lien pourra paraître artificiel, car Cholodenko, qui fit sensation à 26 ans en obtenant le Prix Médicis pour un roman « post-proustien » (Les États du désert, 1976), après un drôle de conte érotique à succès (Le Roi des fées, 1974), s’est progressivement orienté vers une forme d’expérimentation textuelle proche de l’abstraction, en créant des espaces étranges et fascinants, où permutent sans cesse la pensée et l’objet, sur le ruban double-face et dansant des mots... On est loin, à priori, du travail de « notations » des Papiers collés. Il y a pourtant quelque chose, dans l’espèce de rigoureux vertige syntaxique de Cholodenko, qui rappelle volontiers Mallarmé (un Mallarmé malicieux, disons), et pourquoi pas ce qu’en écrivait, admiratif, Perros, lui aussi expert - à sa façon - dans l’art de se regarder en écrivant « faire un dessin » : « oeuvre qui bouge, qui fonctionne sans cesse. Masse évolue. Terrain miné. Lieux d’explosion se déplacent au gré d’un mouvement, mystère de cette parole qu’on voudrait d’Écriture, et qui y parvient dans ses soubassements mêmes. Totale réflexion, non de pensée, ambiguë. Férocement français. Cartésien. »

« Férocement français », tel est bien encore, à sa manière, je te fais un dessin, dans le travail époustouflant de sa langue, qui se réfléchit elle-même en se frottant à des objets divers : des choses, des gestes, des êtres ou des moments, comme « Le billet de banque », « Le cheval », « Au sortir du cinéma », « Une tache indélébile », « Les seins », « La sieste », « Une bonne blague », « Les clés perdues », etc. Les titres suffisent à faire rêver, qui sont comme un défi à la représentation : au génie de celui qui (d)écrit ce qu’il voit ou dévoie, en le décrochant comme un détail d’un tableau déjà peint. Bien sûr, il arrive qu’on pense, autant qu’à Mallarmé, au Parti pris des choses de Francis Ponge, dont Cholodenko s’amuse du reste à éluder « L’huître », trop célèbre et peut-être trop noble, pour lui préférer « La moule » : « Accommodante et farce, une fois forcée sa cuirasse elle la présente comme le moule où son petit corps aurait été préparé. »

Organisé en trois parties - « je te fais un dessin », « Mes tableaux d’une exposition », « Mes gribouillis d’enfant  » - le livre s’ouvre sur un texte qui juxtapose des phrases (dont les trois premiers mots sont en gras) n’ayant pas de rapport apparent entre elles : comme une tapisserie de paperoles collées, si l’on veut, ou les fragments joints d’un texte aux mille facettes, qui parle à la fois de lui-même et du monde, c’est-à-dire de l’espace entre eux, où nous nous glissons, nous perdons, nous retrouvons. C’est l’endroit qu’on dira de la poésie, à son plus haut degré d’étonnement - de merveille. Il y a comme un étourdissement dans la lecture, du coup, à la recherche des repères - le sens diffracté dans le non-lieu du livre - dans la joie pleine de surprises d’un parcours où il arrive aussi, assez souvent, que l’on rie.

On trouve en effet chez Cholodenko, comme chez Perros, une sorte de distance assez explosive : c’est l’ironie de son discret mais constant sourire, et même, dissimulé sous le dispositif volontiers savant, presque intimidant, de ses textes, un humour formidable, d’autant plus précieux qu’il se donne, intermittent, dans les plis d’une prose éminemment tenue. Quelque chose est prêt, toujours, à exploser (de rire), en particulier quand l’écrivain s’approche de la mort, cet objet qui mérite, de texte en texte, et de Perros à Cholodenko, qu’on en fasse un dessin... Ainsi du mégot : « Pour peu qu’il soit en nombre, avec cette apparence de tronçons déjetés de colonnes précipitées sur un tas de cendres ou de cartouches vides jetées sur les restes d’un foyer de fortune, le bout de cigarette évoque d’abord sa consommation, dans son acception triple d’usage, de terme et d’accomplissement, au détriment de l’ardeur, suivant celle de la combustion qu’elle induit, des efforts qui ont pu l’accompagner, au nombre des échecs desquels celui d’y mettre fin, s’il est le plus courant et à terme potentiellement mortel, est le moins douloureux. »

On y pense, à ce texte, en se promenant encore un peu « en ligne », pour aller voir dans les archives de l’INA non plus Perros en son Finistère d’adoption, mais Cholodenko sur le plateau d’Apostrophes, dans une archive télévisée de 1976. Tout le monde ou presque fume en direct, à cette époque... Et dans le public, comme c’était la tradition, assis derrière l’auteur, on aperçoit son éditeur : un homme jeune, lui aussi, et d’une extrême beauté qu’on dirait un peu slave, le regard d’une intensité plissée, impressionnant et merveilleux. On reconnaît « P.O.L » : Paul Otchakovsky-Laurens, qui vient de disparaître, si brutalement, et on a simplement envie de pleurer. En relisant Perros, en lisant Chodolenko, on ne peut l’oublier, lui, ni oublier ce qu’il a fait, avec une obstination discrète et une classe folle, pour la poésie.

Par Fabrice Gabriel, AOC Media, 29/01/2018



Je te fais un dessin, Marc Cholodenko


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Librairie Ptyx, novembre 2017



Je te fais un dessin de Marc Cholodenko par Pierre Vinclair


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Pierre Vinclair, Sitaudis, novembre 2017



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