— Paul Otchakovsky-Laurens

peut-être pas immortelle

Frédéric Boyer

Frédéric Boyer a écrit les trois poèmes qui composent ce livre après la mort tragique de sa compagne, Anne Dufourmantelle, l’été dernier.
Le premier, qui donne son titre au livre, et se construit autour de la lettre A, initiale du prénom de la morte, est une invocation, tout autant qu’une évocation, un texte pour dire la douleur, la stupéfaction, l’incompréhension.
Le deuxième est « Une Lettre » à celle qui a disparu, une lamentation et une interrogation.
Le troisième, qui s’intitule « Les Vies », élargit l’interrogation sur la mort, qui sous-tend le livre entier, aux autres vies dans laquelle...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage peut-être pas immortelle

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

« Dans la nuit du tombeau, toi qui m’as consolé »


Le très beau texte de Frédéric Boyer évoque la mort de la femme aimée, le noir du chagrin, l’espérance furtive.



Un jour de l’été dernier - le 21 juillet -, Frédéric Boyer a perdu Anne, la femme qu’il aimait et qui s’est noyée en portant secours à deux enfants. De ce malheur, nous parviennent de très belles pages qui n’appartiennent pas à la littérature de consolation. Les mots ne font jamais revenir les morts, la littérature ne peut pas grand-chose pour ceux qui sont frappés par la perte et la séparation. Ils demeurent inconsolés parce qu’il n’y a pas de consolation. Devant le vide de l’arsenal rhétorique, les formules de condoléances lénifiantes, la vanité des définitions psychologisantes comme « le travail du deuil », il leur reste l’exil loin de l’être aimé, un monde vide et un moi tout aussi vide. Ce vertige entre deux gouffres, Frédéric Boyer le livre en fragments, en notes pour des fragments, comme si le monde d’avant la catastrophe ne pouvait être saisi que par lambeaux dans l’effacement de l’espace et du temps provoqué par le malheur.

Effacement du lieu dans la syntaxe brisée, l’éclatement des phrases sans ponctuation, l’interrogation qui accompagne le premier fragment : Où est Anne ? Est-ce dans la tombe, présente dès la première phrase : « Oh petite reine dans le trou » ? Dans un départ : « Oh petite soeur voyageuse maculée de boue » ? Deux lettres : « vA » ponctuent cette recherche du lieu, un verbe de deux lettres - dont l’initiale de la femme perdue -, pour signifier l’acceptation résignée de son voyage vers une contrée inconnue, un ailleurs qu’il ne peut se figurer.

Le temps aussi est refusé, le cours des heures est brouillé avec cette mort qui semble clore tout et nier toute possibilité de narration et même de langage. Renvoyant au néant, à l’absence d’explication - que dire à leur fille, la petite Maud ? - elle condamne au silence celui dont la vocation était d’écrire : « Tu me dis sans voix poursuis le récit mais de qui mais de quoi le vivant c’est toi. » Et ainsi naît en lui le sentiment que la femme aimée est plus vivante que lui, - « sommes sans toi moins vivants que poupées » - et connaît désormais ce qu’il ignore.

Après la disparition de la beauté dans le monde qu’elle a quitté et que son départ a privé d’éclat et de signification, il voudrait qu’elle le guide dans celui qu’elle a sans doute rejoint, il l’interroge sur les fleurs du paradis, il espère qu’il ne pleuvra pas là où elle s’en va et qu’elle se reposera dans le noir brillant.

Dans Une lettre - deuxième mouvement du texte -, la voix d’Anne alterne avec celle du poète. Mêlé à l’horreur du présent - l’envie de tout abandonner, de la suivre dans la mort, l’oeil malade, voilé de noir, qui ne peut plus, ou ne veut plus voir -, leur passé commun réapparaît furtivement tout comme la lueur de l’espérance : « J’espère malgré tout que nous pourrons avoir de temps en temps des nouvelles l’un de l’autre. Mais ce n’est pas certain, tu t’en doutes, n’est-ce pas ? » La destinataire de la lettre, c’est Anne Dufourmantelle, une des voix les plus attachantes de ces dernières années, celle qui, par ses livres, a pu changer notre rapport au monde. Et nous la retrouvons comme par effraction dans de petits éclats de vie intime et familière : ses robes et ses souliers qu’il range, ses miroirs, les roses, leur enfant mort, les oiseaux de Rome, Maud lui demandant, à lui, de ne pas mourir aussi, leurs appartements qu’il a délaissés « néant où je viens d’installer mes affaires quelque temps », leurs grandes conversations sur le futur et ses possibles, sur la pluralité des univers, sur le secret, elle qui, philosophe et psychanalyste, parlait si bien du secret.

Et puis le troisième mouvement du texte s’ouvre sur les vies des autres : multiples, diverses à l’intérieur même de chaque existence, la fragile espérance lui permet de les imaginer. Et ce texte si émouvant est ancré dans la singularité, seule façon d’atteindre l’universel.

Le titre prend alors toute sa signification : Peut-être pas immortelle. Pas d’âme immortelle, un peu fade, abstraite, séparée du corps dans le ciel platonicien, mais quelque chose de charnel et d’immédiat, de singulier, dans une vie intense, celle du Réel. Si loin, si proche.


Francine de Martinoir, La Croix, 12 avril 2018

Agenda

Samedi 8 juin
Frédéric Boyer, Suzanne Doppelt et Christian Prigent à l'auditorium du Pavillon carré de Baudouin

Auditorium du Pavillon carré de Baudouin
121, rue de Menilmontant 
Paris 75020

 

voir plus →

Et aussi

Vendredi 13 novembre 2015, mémorial par Frédéric Boyer

voir plus →

Frédéric Boyer dans La Croix

voir plus →