— Paul Otchakovsky-Laurens

Rencontrer Darius

Mary Dorsan

Il s’appelle Darius. Elle s’appelle Pauline.

Rencontrer Darius est l’histoire d’une sidération. Le récit d’approche qui précède la rencontre. Une rencontre sidérante parce que l’homme est dangereux : il a tué, il pourrait tuer de nouveau. La narratrice, Pauline, le côtoie du lundi au vendredi. Son travail en psychiatrie consiste à soigner ce patient. À prévenir, à empêcher la rechute, la récidive. Tout en considérant cet individu gravement malade avec bienveillance malgré l’acte meurtrier perpétré. Touchée par cette rencontre, c’est aussi sa propre vie à elle qui est en jeu, son quotidien. Cette...

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La presse

Permis de tuer


Une femme, un meurtrier. La première connaît par coeur le dossier du second, Darius, vu qu’elle travaille dans un service psychiatrique qui prend en charge les criminels endurcis. Iranien de naissance, Darius a sorti un jour un couteau, alors qu’il venait d’échouer à son permis de conduire, enfonçant quarante et une fois la lame dans le corps de l’examinatrice. Auteur de deux livres qui se déroulaient déjà en milieu hospitalier, Mary Dorsan dresse avec humanité l’inventaire des troubles psychologiques de Darius, qui se croit persécuté par les éléments eux-mêmes : « Darius est ahuri par les nuages, par ces boursouflures de méchanceté liquide qui grossissent là-haut. Les gouttes qui dégringolent du ciel sont autant d’attaques contre lui. Elles le visent, il n’en démordra pas. » Mais le récit de Mary Dorsan ne tient pas du seul rapport psychiatrique. C’est aussi le récit d’un voyage au pays de la déraison, en autant de chapitres que Darius planta de coups de couteau dans le coeur de sa victime. Lumineux et terrifiant.


Didier Jacob, L’Obs, 30 mai 2019



Qui racontera la psychiatrie si les soignants n’ont pas le droit d’écrire ? Raconter, c’est-à-dire donner à voir, à entendre. Partager. Les doutes, les émotions, la stupeur, la compassion, l’incompréhension, la colère. Être au plus près de cette relation ténue, fragile, qui se crée entre le patient et le soignant.

Mary Dorsan est infirmière psychiatrique. Elle vient de publier son troisième roman. Dans le premier, elle s’appelait Caroline et tenait la chronique d’un appartement thérapeutique pour adolescents. Dans le deuxième, au sein d’un hôpital de jour, elle était cette soignante fascinée par le délire d’un patient. Aujourd’hui, « la femme aux yeux verts » s’appelle Pauline, on ne sait pas très bien quel est son métier (éducatrice ?) ni où elle l’exerce (quelque part dans Paris, « hors les murs »). Mary Dorsan brouille les pistes pour protéger ceux qu’elle raconte. Elle invente des prénoms, des caractéristiques physiques, des pays d’origine. Pour ne pas prendre le risque de leur faire du mal. Et parce qu’en vertu d’un décret récent, les infirmiers psychiatriques sont limités dans leur liberté d’expression. Peut-être parce que l’institution refuse de se voir dans le miroir sans concession de la littérature : manque de papier toilette, de savon, murs fissurés, peinture écaillée, diminution des effectifs de terrain, multiplication des procédures bureaucratiques... tel est le tableau que Mary Dorsan décrit dans chacun de ses livres.

Dans ce troisième roman, Pauline rencontre Darius. Dans une Clio blanche, il y a des années, Darius a tué de quarante et un coups de couteau une monitrice d’auto-école qui s’apprêtait à lui refuser son permis. Mary Dorsan dresse d’abord le portrait compassionnel d’un homme méfiant, sans cesse aux aguets, terrorisé, menacé dans son intégrité physique et psychique par tout phénomène météorologique comme s’il lui était personnellement destiné. Puis, à mesure que le roman avance, les questions surviennent : « Elle inventerait la souffrance de ce patient ? Lui attribuerait une douleur qu’il ne ressentirait pas ? Pour pouvoir continuer à le soigner ? À l’accompagner ? À le supporter ? »

Comment se comporter face à un homme qui a tué, qui ne semble ressentir ni regret, ni remords, ni culpabilité ? Un homme tellement malade qu’il ne comprend pas ce qu’il a fait, la gravité de son acte. Darius prend de plus en plus de place dans ses pensées. « Elle écrit à cet endroit-là, cet endroit envahi par l’autre. »

Faut-il comprendre pour accepter ? Accepter pour soigner ? Ou bien raconter. Raconter pour tenir. Laisser une trace. D’une écriture vivante et incisive, Mary Dorsan évoque comme personne le trouble psychiatrique, tabou entre les tabous. Elle interroge cette frontière entre le normal et le pathologique, se demande si la littérature est une arme et si elle peut changer notre regard. La réponse est oui.


Delphine de Vigan, Causette, 5 juin 2019


Vidéolecture


Mary Dorsan, Rencontrer Darius, Mary Dorsan invitée de François Busnel à la Grande librairie

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