— Paul Otchakovsky-Laurens

Dehors Jésus

Charles Pennequin

« Jésus se réveille en pleine nuit putain. Il sait plus où il dort. Où est-ce qu’il crèche à cette heure-ci putain Jésus il sait plus. Il a tout paumé en se réveillant. »

Oui, Charles Pennequin a écrit une « vie de Jésus ». C’est un peu la sienne et celle de tous les autres. Jésus est dans la ville. Il va en Belgique pour voir son amoureuse. Il voit ses potes dans les galeries d’art. Mais Jésus préfère toujours aller dehors. Jésus dit : « Soyez passant. Passez de l’en-dehors à l’en-dedans. Et soyez perdurants. Éternisez-vous dans la passade. »...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage Dehors Jésus

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

Jésus et coutumes Le fils de « Ludivinenfant» marche et songe, par Charles Pennequin


La journée avait mal commencé et ça ne s’arrange pas quand on tombe sur cette phrase, à propos des jeunes : «  Pour eux vous êtes un homme mort et vos souvenirs votre vie n’ont aucun intérêt pour eux, car ils poussent, ils sont dans la vie, ils ne s’interrogent pas un instant sur le temps qui passe. » On peut parler de l’écriture de Charles Pennequin , de son rythme, de sa tonitruance, l’associer au courant de la poésie-action. Parler de son obsession du trou de la langue avalée par elle-même. On peut aussi parler de ce que cette langue dit après le livre du père (Père ancien : P.O.L., 2020) voici sans doute le livre de la mère. Elle s’appelle Lulu, mais on dit aussi « Ludivinenfant », ce qui ne manque pas de semer le trouble, car son enfant c’est Jésus : « Jésus marche dans la ville. Il fait chaud. Les rues sont sales. Il marche sans arrêt. »


Stray Cat. Jésus songe en marchant, observe, nous fait part de ses réflexions sur les gens et la politique, sur « tous les Français en âge d’être déchus » et aussi sur Charles Péguy. Pendant ce temps, la mère meurt, la mère est morte. Le titre exact du livre est Dehors Jésus suivi de Lulu ne va pas à la mer. Evidemment Lulu ne va pas à la mère, on sera prié de ne pas prendre cette identification trop aux sérieux, ni aucune autre car « le moi est une attaque à la personne déconstituée que je suis », précise l’auteur dans le chapitre « Petit Jésus » (une histoire d’enfance). On n’irait pas jusqu’à parler d’autofiction, mais comme ce sont des textes sur le temps, forcément on vieillit et « même à 50 ans j’ai toujours 40. Je suis toujours là-bas, à Lille, avec ma vie de trentenaire qui attends d’atteindre ses 40. » Les vieillissant aussi ont la vie devant eux, celle d’avant : bouteille de Martinini, Stray Cats, Danièle Gilbert et Vache qui rit, Petite maison dans la prairie et même le « sac US où c’est écrit Trust Acdc » qu’abordaient les collégiens des années 1980. « Nous croyons observer les étoiles alors que ce sont les lointains qui nous observent. Nous ne sommes que de vieilles observations qui n’ont plus cours. » Rien de mélancolique ici, la structure du livre est plutôt une abolition de la temporalité, télescopée en elle-même : « mourir c’est pire que l’accouchement au naturel Lulu », mais aussi un peu pareil. Donc, Jésus marche, il fonctionne. Se bat avec la parole, « chose par excellence qui n’est pas naturelle […], artifice qui a permis de se détacher de certaines ombres trop présentes. » (On vous avait prévenu qu’il y avait un royaume des morts.) Il parle en prose qui fait des vers, parfois impairs (« Nous n’avons rien de zen dans nos gènes ») et parfois il se demande s’il a réussi son alexandrin. Il n’écrirait pas s’il pouvait, il préfère tracer car « ça reste pas ». C’est là qu’intervient Charles Péguy (1873-1914). On l’avait repéré dans poèmes qui fait irruption page 35 et rappelle un peu le début du Porche du Mystère de la deuxième vertu (1912), où une certaine Madame Gervaise parle à la place de Dieu : « La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance./ La foi ça ne m’étonne pas./ Ca n’est pas étonnant. » On vient de citer Péguy, on dirait Pennequin comme voix du peuple, comme un qui veut « s’improviser vivant ». Le nom de Péguy apparaît trente pages plus loin, puis un chapitres entier lui est consacré au mitan du livre.


Xylographe. Quelques pages du texte de Dehors Jésus avaient paru sous le même titre, il y a deux ans, aux éditions du Dernier Cri. Elles étaient accompagnées de gravures de Marc Brunier-Mestas, un peu dans le style du xylographe Frans Masereel (1889-1972).Cette veine expressionniste anticapitaliste résonnait à point avec l’inspiration péguienne de Pennequin : «Charles Péguy sait qu’avec l’âge moderne c’en est fini des petites gens et donc c’en est fini des humains.» C’est pour cela, écrit l’auteur, qu’on a cru Péguy chrétien et qu’il l’a cru lui-même, lui dont le projet était «d’être traversé par l’histoire humaine, défaire traverser tous les âges dans son écrit, que son écrit prenne en lui les âges humains comme si c’était ses enfants». Dehors Jésus est l’épopée de ces gens de peu qu’ignore la littérature, l’épopée de leur temporalité chantée de l’intérieur : « ça travaille de-dans Charles Péguy ».De même Charles Pennequin avait noté un peu plus haut que « la vivance, c’est de croire en sap’tite bactérie », de croire que ça fermente comme un bouillon de culture éternel. On oublie trop souvent que les morts, comme les jeunes, ont les cheveux qui poussent.


Eric Loret, Libération, 26 février 2022


Et aussi

Charles Pennequin Prix du Zorba 2012

voir plus →

Vidéolecture


Charles Pennequin, Dehors Jésus, Dehors Jésus - France déchue -Charles Pennequin

voir toutes les vidéos du livre →