« Se donner des ordres à soi-même, comme Léonard de Vinci. Désobéir aux ordres que l’on se donne à soi-même, contrairement à Léonard de Vinci. Être exemplaire. Être ordinaire. Ne plus être soi-même, devenir ce que l’on rêve d’être. Abandonner toutes ses manies. »
Quelqu’un est réduit, après plusieurs fractures, durant plusieurs mois, à une immobilité forcée. Commence alors la « rééducation » aussi bien physique que morale : comment changer, s’amender, se débarrasser des regrets et des deuils, tenter de retenir ce qui doit l’être et...
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« Se donner des ordres à soi-même, comme Léonard de Vinci. Désobéir aux ordres que l’on se donne à soi-même, contrairement à Léonard de Vinci. Être exemplaire. Être ordinaire. Ne plus être soi-même, devenir ce que l’on rêve d’être. Abandonner toutes ses manies. »
Quelqu’un est réduit, après plusieurs fractures, durant plusieurs mois, à une immobilité forcée. Commence alors la « rééducation » aussi bien physique que morale : comment changer, s’amender, se débarrasser des regrets et des deuils, tenter de retenir ce qui doit l’être et délaisser ce qui peut l’être. Face à la décrépitude physique, il y a la volonté de sauver quelque chose, d’entamer un « régime » général. Ce texte bouleversant est écrit comme une liste, mais aussi comme des suites, des variations (au sens musical du terme). La forme évoque Perec ou les Miroirs médiévaux, elle permet le dialogue solitaire avec soi-même, au plus près du pèlerinage de la pensée (égarement, tâtonnement, repentirs). Une somme d’aveux, de vœux, de résolutions. Les ordres que l’on se donne à soi-même avec le projet, dont on sait la fragilité, la vanité, de construire une version meilleure et plus vertueuse de soi-même.
Le texte est entièrement rédigé à l’infinitif et au neutre. L’infinitif parce que c’est un moyen de dire l’action, le projet, le souhait, sans qu’il y ait de sujet, sans qu’il y ait la moindre détermination de temps. Le neutre : aucune marque de féminin ou de masculin. Ce neutre prolonge le choix des énoncés à l’infinitif. Pas une contrainte décidée, pas davantage un parti pris de gender fluid, mais dans la suite du projet de détachement biographique et psychologique.
Le titre : Touché – à la manière où les Anglais et les Allemands l’utilisent, lorsqu’ils veulent signaler qu’un argument, une parole touche juste, entraîne la conviction. Mais aussi « touché » physiquement, moralement. Quand on essaie de comprendre mieux ce qui vous affecte, vous touche.
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Se donner des ordres à soi-même, comme Léonard de Vinci. Désobéir aux ordres que l’on se donne à soi-même, contrairement à Léonard de Vinci. Être exemplaire. Être ordinaire. S’inspirer de tous et de personne.
« Touché », le nouveau texte de l’écrivaine Pascalle Monnier, tient sur une soixantaine de pages. Il est faussement bref et vraiment dense. Chaque phrase contient beaucoup.
Sa forme est inhabituelle. Ni roman ni récit, « Touché » raconte pourtant bien une histoire. La lutte contre elle-même d’une personne qui se promet, en y croyant plus ou moins selon les humeurs qui la traversent, de se transformer, de s’améliorer.
Changer du tout au tout, ne plus être soi-même, devenir ce que l’on rêve d’être. Cette personne, c’est sans doute l’auteure, et dans ses aspirations, dans sa vaillance contrariée, nous tous. Elle consigne ses résolutions, ses envies, ses tâtonnements en enchaînant les phrases à l’infinitif, comme autant de caps à atteindre.
Lucidité, fil rouge
parfois drôles, souvent émouvantes, ces injonctions vont à l’essentiel. « Se libérer du deuil et oublier son enfance », « taire ce qui vous affecte mais qui n’affecte ni le monde ni les autres ». La lucidité est le fil rouge. «Comprendre que derrière le rideau, il n’y a rien à voir. »
Avec l’infinitif, Pascalle Monnier, dont c’est le quatrième livre, choisit une forme assez douce. Il n’y a ni de « je » ni de « tu », et aucune obligation, juste un souhait fragile. L’infinitif pose un projet mais laisse la possibilité de ne pas aller jusqu’au bout. Il se situe plus du côté des « peut-être » que des « sans-doute ».
Aucune solennité non plus, n’allez pas imaginer qu’il s’agit d’un recueil d’aphorismes ou de maximes. Ces pensées défilent dans un même flux, vivant, changeant. Elles se percutent, se contredisent, car ainsi est le grand chaos humain.
Touché », on l’est durablement par ce texte, et par ce qui affleure de la personnalité de l’auteure. L’humour, l’intransigeance (surtout avec elle-même), la rectitude.
Julien Rousset, Sud Ouest, mars 2023
« Touché » mais pas coulé
Un exercice spirituel à l’infinitif
D’abord, on craint d’écrire un article plus gros que le livre lui-même, lequel fait 64 pages, typographiées large. Puis on comprend que le texte est plus long qu’il n’en a l’air : on peut le relire dans un an ou la semaine prochaine, et chaque bout de page dure dans le cerveau, se prolonge, ramifie. Est-ce un manuel de bonnes résolutions pour ceux qui n’en ont pas ? Un traité de savoir-survivre (et puis mourir) façon Grand Siècle ? En voici un aperçu : « Ne céder ni à la résignation ni à l’exaltation./Ne rien comprendre à la métaphysique. Se replier sur les moralistes./Assister, dans la léthargie flottante provoquée par un séjour trop prolongé sur son ordinateur, à l’effondrement de l’ordre symbolique qui autrefois tenait le monde. » De brefs paragraphes (souvent une seule phrase) s’enchaînent comme des miscellanées, tous à l’infinitif. La plupart du temps, ces infinitifs ont valeur d’impératif, mais quelquefois, en douce et pour nous faire broncher, ils deviennent indicatifs (« Ne rien comprendre... ») traduisent la surprise ou bien vacillent entre les trois aspects.
Donc : ne rien savoir de Pascalle Monnier, sinon que Touché est seulement son quatrième livre en vingt huit ans. Mais c’est du concentré. Le titre évoque sur tout le mot « coulé » et ça tombe bien, il est beaucoup question de bataille, de désarroi et de lucidité là-dedans, avec ironie cependant. On soupçonne l’autrice d’avoir écrit pour des personnes un peu créatives et un peu honteuses d’avoir des affres existentielles : « Chercher son être non musical pour écrire et vivre, tuer le musicien en soi, selon Kafka. » Pour les personnes un peu culpabilisées aussi: « Ne pas penser que l’on tue à chaque fois que l’on ne s’efface pas soi-même. » Parfois, il y a des injonctions plus simples, mais pas forcément plus faciles à suivre : « Ne plus s’enticher de tout garçon ayant une mèche qui lui dissimule une partie du visage. » Ou alors, le faire de façon un peu réglée : « Passer sa vie dans le jardin anglais de Munich à regarder les jeunes gens surfer sur une seule vague. »
II y a quand même une sorte de structure, car des thèmes reviennent (parler avec les taxis, haïr le soir, écrire, observer les gens...) et que la fin du livre semble un précipité de tout ce qu’il y a dedans, comme une urgence à trouver l’exercice spirituel ultime. L’ensemble est mû par un moteur à deux temps, celui de la contradiction, énoncé dès le début : « Se donner des ordres à soi-même, comme Léonard de Vinci./Désobéir aux ordres qu’on se donne à soi-même, contrairement à Léonard de Vinci. » Et donc c’est drôle parce que toute accumulation provoque le rire et qu’il ne sert à rien de « retourner le scalpel contre soi. Constatant qu’il est émoussé et ne tranche plus rien ». D’ailleurs, « ne pas oublier quand on pleure un mort que Marie-Madeleine a pris le Christ pour un jardinier ». Le sérieux n’est pas la meilleure des consolations, il vaut mieux le liquider. Bref, « se déprendre d’un moi qui n’a pas de place entre le nous et le rien ».
Éric Loret, Libération, février 2023
« À la frontière », un article de Christian Rosset à propos de Touché de Pascalle Monnier, à retrouver sur la page de Diacritik.
Touché