La Clef des langues
Valère Novarina
« Rien n’est plus au secret de la matière, rien n’est plus proche de la vie profonde de la nature, rien n’est plus au cœur de la physique – que le mystère verbal. C’est dans les mots réversibles que notre langue – comme toutes les langues – en sait le plus. Passage, renouveau, mutation, retour, renaissance, métamorphose, naissent d’un faux pas, d’une chute, d’une inversion, passent par la perte de l’équilibre. C’est traversée par le déséquilibre – et comme passant par un pont vide – comme prise en faute, touchant sa limite – que la pensée reprend son élan, dans les rosaces, les rondes et les litanies du drame de...
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« Rien n’est plus au secret de la matière, rien n’est plus proche de la vie profonde de la nature, rien n’est plus au cœur de la physique – que le mystère verbal. C’est dans les mots réversibles que notre langue – comme toutes les langues – en sait le plus. Passage, renouveau, mutation, retour, renaissance, métamorphose, naissent d’un faux pas, d’une chute, d’une inversion, passent par la perte de l’équilibre. C’est traversée par le déséquilibre – et comme passant par un pont vide – comme prise en faute, touchant sa limite – que la pensée reprend son élan, dans les rosaces, les rondes et les litanies du drame de la vie. Livre d’un terrassier. De la difficulté d’en sortir indemne, sauf à partir soudain à la recherche du roman perdu. » (V. N.)
Valère Novarina a conçu ce qu’il appelle un « roman nominaire ». Un grand texte d’appel, de convocation, dans lequel les noms se succèdent, s’interpellent, s’interrogent, se déclinent, s’inventent et se racontent. Noms humains ou déshumains, différentes nominations de Dieu, des espèces, du vivant. Véritable tour de force poétique, la seule litanie des noms crée un univers romanesque et théâtralisé. Où « L’Infini Romancier » concurrence « Le Coureur de Hop », et converse avec « La Femme Octocéphale ». Le texte révèle l’obsession au cœur de cette machine dramatique : « examiner toutes les langues de près, sans en croire un seul mot, regarder chaque passage, les interroger comme des tables de multiplication venues mettre au jour la lettre de trop embusquée dans l’alphabet de je suis. »
Le texte est accompagné d’une série de 635 dessins de Valère Novarina.
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La presse
Novarina donne ses clés
C’est la bible d’une œuvre monumentale, celle du dramaturge, écrivain et peintre Valère Novarina, né en 1947 à Genève, qui, depuis quarante ans, sur toutes les scènes, rejoue un festival permanent du langage. L’auteur du Discours aux animaux est un as de la performance. La genèse de son nouveau livre remonte d’ailleurs à celle qu’il effectua en 1983, dans une tour de La Rochelle : il y peignit, au fur et à mesure qu’ils étaient nommés, les 2587 personnages de son Drame de la vie. Aujourd’hui paraît La Clef des langues avec 636 de ces dessins à l’encre de Chine et crayon rouge. Ce superbe pavé sous-titré « roman nominaire » renferme une vertigineuse nomenclature, car depuis Le Drame de la vie, Novarina a encore agrandi la cohorte de ses personnages, jusqu’à la somme de 6000 noms égrenés dans ces pages. On y croise, par exemple, Le Docteur des Matières et Le Sourcier de Chair, et tous entrent en scène selon un credo : L’homme est un animal plusieurs. Le jour où elle deviendra une l’humanité disparaîtra. En attendant le pire, son cortège défile sur les pages : Les Animaux Sapientiaux, Le Prêtre Ardent, Les Fils Apprivoisés, le Zoographe, la prodigieuse sarabande est menée par le Rangeur de Noms, rivalisant avec l’Annoncier et l’Écrituriste, sans omettre l’Infini Romancier.
Novarina recense ici 500 définitions de Dieu, selon Duras, Empédocle,Tzara, Gainsbourg... II y orchestre la danse des surnoms les plus réjouissants, lui qui, durant son enfance savoyarde, fut fasciné par ceux qu’on inventait pour différencier les membres de familles aux patronymes souvent homonymes. Le comique se tient toujours prêt à bondir. De sa fréquentation d’Artaud Novarina a fait son miel : lui œuvre du côté du théâtre de la cruauté comique.
Guidé par les mots qui toujours le devancent, il scande des noms, des verbes, des actes, et des énoncés : L’homme marche toujours en sens contraire de ce qu’il pense : mais heureusement son feu arrière s’en souvient plus, philosophe Le Vieillard Sarcassier. Ouvrir ce livre à n’importe quelle page, c’est sentir battre le pouls et de la vie, et du langage. La clé des langues, serait-ce l’accord vibrant entre « l’acte de respirer » cher au Congolais Sony Labou Tansi, et celui d’écrire et de penser de tout son corps ? Il faut être P.O.L pour publier une somme aussi folle ! Les éditions P.O.L ont 40 ans, comme cette geste vitae, cette arche « novarinesque » où mots et croquis défient la mort.
Valérie Marin La Meslée, Le Point, avril 2023