En raison d’une promesse formulée quand il avait vingt ans, un homme décide d’écrire pour la première fois de sa vie avant la cinquantaine. Bien qu’enthousiaste à cette idée, qui lui semble donner un surplus de sens à ses journées, Perrier, le personnage principal de Vie 2, va rapidement découvrir un certain nombre de problèmes intimement liés à toute activité d’ordre littéraire : Pourquoi écrire ? À qui écrire ? Que dire si sa vie apparaît pauvre en événements singuliers ? Où et à quel prix être publié ; et enfin quelle forme employer si, comme le personnage principal, on n’a...
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En raison d’une promesse formulée quand il avait vingt ans, un homme décide d’écrire pour la première fois de sa vie avant la cinquantaine. Bien qu’enthousiaste à cette idée, qui lui semble donner un surplus de sens à ses journées, Perrier, le personnage principal de Vie 2, va rapidement découvrir un certain nombre de problèmes intimement liés à toute activité d’ordre littéraire : Pourquoi écrire ? À qui écrire ? Que dire si sa vie apparaît pauvre en événements singuliers ? Où et à quel prix être publié ; et enfin quelle forme employer si, comme le personnage principal, on n’a qu’un goût modéré pour la narration : pour le fait de « raconter » ?
Il va falloir un hasard lié aux célèbres tests de personnalités issus du MBTI pour que Perrier rencontre un type d’écrivain majoritaire actuellement, « l’écrivain publié inconnu », et voie, à l’occasion de cette rencontre inopinée, un peu plus clair sur les motifs inconscients qui l’ont conduit à tenir une promesse vieille de presque trente ans, et à écrire dans un début de siècle où l’espèce humaine se sent menacée par sa propre extinction.
Ce texte, qui se veut d’un nouveau genre, l’autodescription, est une manière d’enquêter sur la lecture et l’écriture dans une époque où la littérature n’a aucune raison de mieux se porter que le reste du monde, tel qu’il s’est organisé et administré par les plus riches des êtres humains, avec pour premier critère de réussite le succès économique.
Un roman parodique sur l’époque et la situation de la littérature dans lequel l’auteur n’hésite pas à se mettre en scène lui-même, avec humour, comme personnage de cette « comédie humaine ».
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Écrit d’urgence
Le treizième roman de Nicolas Bouyssi tient sa promesse
Faut-il tenir les promesses que l’on s’est faites à soi-même? À presque 20 ans, Perrier s’était promis d’écrire un récit à la manière de la Vie de Henry Brulard. Le livre autobiographique de Stendhal, lu dans un cadre scolaire, lui avait beaucoup plu. Dans six mois, il en a 50, ne l’a jamais relu, est immergé dans Balzac, et écrire lui est devenu tout à coup impératif. II y a comme une urgence à mettre en œuvre son projet stendhalien. Perrier a toujours beaucoup lu, mais il ne se sent pas écrivain ou artiste, nullement homme de lettres. Et il a pourtant maintenant besoin d’une vie où il écrirait cette vie plutôt qu’une vie où il ne le ferait pas.
Nu en chaussettes. C’est un matin de septembre, une sorte d’aube, le personnage de Nicolas Bouyssi attaque la page blanche assis dans le salon de son petit deux-pièces. On se dit que l’écrivain lui aussi repart de zéro. Avec Couleuvres paru en2022, il avait clos un cycle romanesque de douze romans, «les Douze Couleurs du spectre», entamé en 2007 avec le Gris. Libération avait parlé de cette boucle terminée. Vie 2 l’évoque d’ailleurs, cet article de Libé, page 296, via un SMS qui annonce sa parution à Nicolas Bouyssi. Oui, l’auteur en personne arrive quelque part dans Vie 2, au printemps 2022, au moment où son douzième titre vient juste de sortir en librairie et où il est penché sur ce treizième. Mais on va déjà trop vite, car Perrier pour l’instant n’a pas rencontré Bouyssi, il est assis devant son ordinateur portable au premier étage d’un immeuble qui en compte six. Sa présence physique est palpable, lui qui circule nu en chaussettes entre quatre murs, de sa chaise à la salle d’eau, à gargariser des pensées sur le sujet de son tout premier texte. Ses souvenirs à trou, son père menteur et ses ivresses, le sens d’écrire à 49 ans...
Avec le ruisseau de l’actualité en musique d’ambiance, son esprit navigue de mois en mois entre une noirceur paralysante et ce providentiel rai apparu à l’approche des 50 ans. Raconter une vie qui soit la sienne et en même temps l’équivalent de n’importe quelle autre. Pour s’aérer, se changer les idées. II a cette ambition et met la barre très haut en ce début de mois [on est déjà en décembre]. II s’envole dans sa tête, a foi en la subjectivité, et, dans cette jubilation solitaire qui chez les introvertis représente leurs moments solipsistes de triomphe, Perrier croit que la simplicité, à un certain degré, lui permettrait d’atteindre l’exemplaire et l’universel. Perrier chavire, craint d’avoir été encore trop orgueilleux dans la formulation exacte de son besoin.
Fuite d’eau. C’est en désirant le changement que l’on se remémore peut-être ses promesses. En face de l’exaltation à la fois si cérébrale et rendue si charnelle par Nicolas Bouyssi, il y a le modèle de l’existence quasi-mécanique de la mère pré-Alzheimer à qui Perrier rend visite à plusieurs reprises dans Vie 2 à Champagne-Mouton en Charente. Le tableau a de quoi geler les élans. La silhouette de 78 ans avachie devant sa télé muette branchée sur CNews ne voit pas la fuite d’eau, ne se rappelle pas avoir éteint la chaudière, ne se nourrit plus que de sucreries, dépense sans compter et traite son fils de « merde », de « saloperie » et de « connard » quand il lui dit qu’elle perd la mémoire. Ecrire, n’est-ce pas dépasser une vie terne et isolée? Le Perrier de Bouyssi a cette joie enfantine du découvreur d’une terra incognita, la timidité expansive de l’introverti qui assène sans crier gare à sa compagne Célestine qui n’a pas dépassé le vestibule, Voilà, j’écris [on est déjà en février].
C’est à peu près à partir de ce moment-là, celui de sa confession au si joli et paisible personnage de Célestine et d’un aller-retour déceptif à Venise en solo sur les traces du passé, que le roman confronte au monde la promesse intérieure. Perrier a compris qu’il écrit pour être lu. II va bientôt tenter une épreuve du « feu ». Nicolas Bouyssi semble reprendre les rênes (avant que d’apparaître), pour mettre en doute la force de la littérature aujourd’hui, pointer sa dérive commerciale et distiller le doute sur l’attente du lecteur, qui n’aime décidément que le simple et le déjà-vu. II l’imagine même dans la pièce, comme sorti d’un de ces jeux vidéo japonais dans lesquels Perrier s’immerge en explorations labyrinthiques. Ce lecteur hostile le menace d’une masse. Vêtu d’un costume deux pièces gris, il lui en donne un gros coup sur la tronche vers 16 heures dès que Perrier s’avance d’un pas trop assuré dans le couloir de sa pensée [on est déjà en avril]. L’autodérision douce qui dominait jusque-là va se radicaliser: à son cours de théâtre, Célestine a rencontré la compagne de Nicolas Bouyssi et conseille à Perrier de prendre contact avec ce vrai écrivain. II n’a jamais entendu parler de lui. Une Vie de s’imposait.
Frédérique Roussel, Libération, mai 2023