— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Premier amour

Santiago H. Amigorena

J’avais dix-huit ans et j’étais amoureux. Ma vie n’avait qu’un seul but : la traduire. Mais comment trouver les mots justes pour la forme de la forme de ses seins ? pour le secret du secret de son sourire ? pour la profondeur ineffable de son regard sombre ?
Je voulais la traduire comme on traduirait un poème d’une langue qu’on aime – mais qu’on ne comprend pas. Je voulais écrire sur elle – et sur elle. Je voulais décrire ses lèvres – et ses lèvres.
Je voulais, pour toujours, la tenir toute entière sur le bout de ma langue.
Malheureusement, les premiers amours, aussi éloquents soient-ils, ne sont jamais que les préludes...

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La presse

Le sexe qui parle


Scénariste pour Klapisch ou Limosin, Santiago H. Amigorena construit depuis six ans une autobiographie tentaculaire et passionnante, empreinte d’humour et de distance. Ce quatrième volet raconte son premier amour. Et sa première défaite.
Ce qui différencie Amigorena de beaucoup d’autres écrivains de soi, autofictionnels ou autobiographes en tout genre qui pulullent aujourd’hui, c’est la conscience de cette ironie-là. Alors que les autres prétendent dire la vérité de leur vie, Amigorena nous dévoile l’impossibilité qu’il y a à la dire… Alors que les autres nous livrent en pâture la chair des faits, Amigorena nous dévoile le squelette de leur perception, de leur narration, comme seule vérité crédible. Quand les autres nous mentent en croyant dire le vrai, Amigorena dit vrai en disant qu’il nous ment. Et c’est cette intelligence-là, philosophique, de la distance, de la faille, qu’il y a autant à vivre qu’à écrire, qui fait de son entreprise autobiographique une des plus intéressantes qui soient.

Le Premier Amour est un livre aussi profond que léger, aussi triste que drôle, aussi physique que métaphysique. Une épopée à travers le monde, Paris, une chambre, un corps, où chaque détail contient l’humanité. Avec un Ulysse pathétique dont les pires ennemis – l’autre, les mots – sont invincibles parce qu’intrinsèques à son humanité. Santiago Amigorena a réussi à faire de l’autobiographie d’un seul le roman de tous.


Nelly Kaprièlian Les Inrockuptibles, 25 août 2004



Amigorena, l’amour cannibale


Dans Le Premier Amour, Santiago H. Amigorena se souvient d’une passion qui fut charnelle autant que littéraire


Lycée Fènelon, Paris, fin des années 1970. Dans une terminale qui compte trente-trois filles, et s’essaie avec prudence à la mixité, débarque à la rentrée un beau et timide garçon d’origine argentine dont le père, Horacio, est un psychanalyste célèbre. Il a 17 ans, la peau hâlée et les cheveux longs. En plus, il est cultivé. Il s’appelle Santiago H. Amigorena et cela ajoute à son irrésistible séduction. Le gynécée l’avale aussitôt des yeux. Il choisit celle qui feint de ne pas le regarder.

Vingt-cinq ans plus tard, l’auteur progressif et méthodique d’Une enfance laconique, d’Une jeunesse aphone et d’Une adolescence taciturne se souvient de Philippine, qui fut donc son Premier Amour. Je sais, le thème est usé jusqu’à la corde. Et pourtant, ce roman, l’un des plus beaux romans d’amour qu’on puisse lire aujourd’hui, sort de l’ordinaire. Il bouscule toutes les conventions du genre. Il explose. Il détonne.

Précisons d’abord que l’histoire dont il est question ici n’est pas un flirt banal, une simple tocade d’adolescence. C’est une passion brève mais folle. À 42 ans, Santiago H. Amigorena en frémit encore. « Philippine promenait la nudité parfaite de ses dix-sept ans comme une invitation constante à un festin cannibale. » De Paris à Venise, les deux lycéens, devenus étudiants, se dévorent jour et nuit. Santiago rédige même une manière de traité gastronomique avec « croustillant de pieds de Philippine à l’art fumé et sa cheville raidie à l’huile vierge » et « jarret de Philippine aux raisins ». Leur amour est exclusif, despotique, furieux, étouffant, sans avenir. « Je l’aimais, se souvient-il, et ne pouvais la voir sans ce trouble, sans ce désir de quelque chose de plus, qui ôte, auprès de l’être qu’on aime, la sensation d’aimer. »

Ce premier amour n’a pas seulement été vécu dans la fièvre, il a aussi été écrit sur le vif. Dès le début, l’adolescent exalté veut en effet traduire comme d’une langue étrangère, le roman de sa ferveur et le corps de sa belle. Sans cesse, il noircit des pages sous les yeux de Philippine. Il prolonge ses blasons jusque sur son ventre, ses seins, ses jambes qu’il calligraphie pour mieux se les approprier. (On pense au livre lumineux de Bernard Noël, La Peau et les Mots.) Il croit, avec la naïveté et le romantisme de son jeune âge, qu’on peut fixer le temps avec un stylo et immortaliser l’Amour avec des majuscules. Que l’on peut coucher avec la femme aimée en même temps sur le papier et dans les draps. En italiques et dans les typographies les plus délirantes, Amigorena reproduit ses pages d’alors. Elles sont lyriques, poétiques, ludiques, surréalistes,narcissiques, maladroites, émouvantes, exaspérantes. Elles sont d’un exilé qui préfère rêver sa vie que la vivre. Qui prétend souffrir de sa beauté mais s’aime aimer.

Le Premier Amour aurait pu s’intituler « le Premier Livre ». Car c’est à la mort d’une grande illusion et à la naissance d’un écrivain que l’on assiste ici. L’illusion fait croire à l’amour qu’il est immortel. La littérature transforme le souvenir en éternité. Santiago H. Amigorena, « triste crapaud graphomane », ne recule devant aucun imparfait du subjonctif, aucune grandiloquence grammaticale. Il veut posséder la langue française comme, autrefois, Philippine : par goût enfantin de l’absolu, jusqu’à s’y perdre. Et le lecteur, déshabitué de la ferveur, succombe. Avec un sourire d’ange.


Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur, 26 août 2004




Une nouvelle éducation sentimentale nous est proposée par un écrivain né de la patrie Amour. Un lycéen va vivre en une année la plus belle des histoires amoureuses, une liaison extraordinaire, inédite par son ampleur et sa beauté. Les deux amoureux conversent, échangent, s’écrivent, s’épuisent physiquement pour retrouver l’intensité des émotions premières. Quand la littérature sert d’écrin à l’amour, le texte devient un pur joyau. Les mots jaillissent spontanément, loin parfois de la réflexion et du raisonnement cartésien. Ce premier amour va faire date dans le cœur des lecteurs.


Laurent Bonelli, Virgin Champs Élysées, Lire, septembre 2004



Visage de la passion adolescente


Cette vie qu’il raconte n’est singulière qu’à proportion de sa banalité, serait-ce la banalité d’un enfant qui a connu deux fois l’exil et la nécessité de changer de langue – ainsi Le Premier Amour raconte-t-il « tout bêtement » l’histoire d’un premier amour, vécu peu avant sa vingtième année (au tout début des années 80), et rares sont les lecteurs qui, à des degrés divers, ne partagent pas cette expérience d’une passion libératoire et fusionnelle à l’adolescence.

Se déployant au rythme d’une quête de sens qui habite volontiers le dictionnaire (on pense ici à un très beau passage sur l’étymologie du mot grec mania), la page d’Amigorena n’est cependant pas un miroir ; elle est vivante, littéralement animée, et même agaçante parfois […] Son écriture aux accents classiques, tout en se jouant de l’écrasante référence proustienne, est d’une souplesse rare : peut-être parce qu’elle n’est pas empesée du caractère maternel de la langue qui entrave tant de confessions ; peut-être parce que, à en croire les précédents volumes, l’écrit aura été durant son « enfance aphone » son mode d’expression le plus « naturel » et en tout cas le moins difficile. Il en découle une vraie capacité, teintée de naïveté peut-être, à épouser vingt ans plus tard les représentations adolescentes et la sinuosité amoureuse de son personnage, et pas seulement quand il reproduit les pages écrites à l’époque (parfois tracées à même la peau de son amante, dans un jeu érotique mêlant l’encre à toutes les humeurs du corps).

À dire vrai, il faudra d’autres volumes encore pour pouvoir mesurer le caractère immédiat ou non de cette capacité à retrouver le ressenti adolescent. Reste que le lecteur reconnaît pleinement ce qu’il avait oublié, ou perdu, l’étrange visage de l’amour adolescent, fusionnel, ivre de l’autre jusqu’au plus haut degré de dépendance, et qui ne pourra qu’aboutir à « la première défaite » dans toute la violence de l’abandon dont le dernier paragraphe, annonçant le volume suivant, esquisse joliment le vertige : « Ce que j’ignorais simplement, ce que les cinq interminables années de la première défaite ne devaient cesser de m’enseigner, c’est que si la volonté de ne plus aimer est encore de l’amour, la volonté d’aimer encore ne l’est déjà plus. »


Bertrand Leclair, La Quinzaine Littéraire, 2 septembre 2004



Le sexe de l’écrivain


Cette éducation sentimentale ne serait que banale si le narrateur n’associait à sa manière – outrée, maniaque, intarissable, magnifique – la pratique de l’écriture et celle de l’amour. Mais plus que d’association, c’est d’identité et de confusion qu’il faut parler. Animal sexuel et dactylographe, Amigorena conçoit le corps de sa compagne comme une immense feuille blanche sur laquelle incessamment s’écrit le verbe interminable, le tempétueux poème, et les calligrammes de son désir. Le fonctionnement et la vélocité de cette surprenante machine textuelle et sexuelle mériteraient une plus ample analyse. Pour l’heure, insistons simplement sur le plaisir jubilatoire que le lecteur tirera de ce livre. Mais la fête n’est pas simple gaudriole, et ce projet « d’une joie qui n’a jamais de fin rencontre fatalement sa limite, sa mort. Alors que l’écriture, elle, continue toujours.

Tout écrit autobiographique qui ne témoigne pas de démesure, qui se contente de mimer, en plus pauvre, la vie distille vite l’ennui. Seule cette folie, et ce quelque chose qui, paradoxalement, ressemble à l’oubli de soi, sauve le désir de se raconter soi-même. Santiago H. Amigorena a, lui, trouvé son salut.


Patrick Kéchichian, Le Monde, 28 octobre 2004



Amigorena aime la langue. Il aime à conjuguer, n’hésite pas à abuser de l’imparfait du subjonctif. Il aime tordre la phrase, qu’elle devienne contour du corps de l’aimée. Le récit est entrelardé de passages en italique et aux curieuses calligraphies. Ces textes furent écrits pendant cette année de passion, en 1980. Là, le verbe se fait chair, roule sur les seins et la croupe de Philippine. C’est un tatouage poétique. Éluard, parfois, n’est pas loin. Amigorena aime se regarder aimer. C’est un Narcisse qui peut être insupportable. Tous les grands amoureux le sont. Qu’importe. L’écrivain invente une esthétique du souvenir. Et c’est beau.


Anthony Palou,Le Figaro magazine, 2 octobre 2004