— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Commerce du père

Patrice Robin

Mon père a été pendant trente ans « le quincaillier de la grand-place ». Que j’aie préféré, moi, son fils unique, l’écriture, le chômage et les petits boulots à un emploi stable l’a blessé et nous a éloignés l’un de l’autre. Nous nous sommes quittés ainsi et j’en serais peut-être resté là si je n’avais découvert un jour, par hasard, ses premiers carnets de commerce et son agenda de l’année 1965.


Cet hommage pudique d’un fils à son père est bouleversant de sobriété et de netteté affective.

 

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La presse

C’est un petit livre bien plus émouvant que ne le laisse penser l’apparente froideur des chiffres qu’il égrène dans ses premières pages. Comme son quincaillier de père, le narrateur tient le journal de sa vie avec la rigueur d’un livre de comptes. Puis vient le moment où il s’essaie à la fiction, avec maladresse, mais sans céder au découragement. Ses mots se libèrent peu à peu, tout comme son père, autrefois, à apprivoiser une syntaxe défaillante pour passer ses commandes dans les carnets de livraison retrouvés par son fils… Pour cette autofiction, Patrice Robin s’est gardé de tout effet inutile. Le style est précis, juste, dévoilant le trajet intime d’un fils vers son père que l’on pourrait résumer ainsi : peut-on prétendre à la création sans s’être mis en paix avec soi-même et avec les siens ?


Bruno Bouvet, La Croix


Le commerce du père est une quincaillerie des Deux-Sèvres tenue par les parents d’un futur romancier nommé Patrice Robin. Ce pourrait être le commerce du pire : d’origine modeste, silencieux et méfient, le père fixe le malentendu familial. Un jour, son fils envoie un manuscrit à un écrivain qu’il admire et qui rappelle Annie Ernaux. Elle lui répond que « le travail sur vous-même n’a pas été poussé assez loin ». Il continue d’écrire des textes que des éditeurs refusent, de les envoyer à l’écrivain qu’il admire, de vivre de dettes et d’allocations, d’observer et de chercher à comprendre ce père qui regarde le foot et confond les mots, appelant les manouches des « manuscrits » – métonymie qui définit assez bien la plupart des écrivains. Le père a un cancer et, « quelques mois après la sortie de l’hôpital, il a fait savoir à ma mère qu’il désirait me voir porter sa chevalière après sa mort ». Le livre devient alors ce qu’il n’a jamais cessé d’être : une histoire d’amour embarrassé entre père et fils, et l’acte de naissance d’un écrivain. Ceux qui n’aiment pas Annie Ernaux n’aimeront pas le cinquième livre de Patrice Robin, comme écrit à l’ombre de La Place. Ceux qui l’aiment vérifieront qu’un écrivain c’est d’abord quelqu’un qui en a lu d’autres, les accueille chez lui, la nuit, et grandit sous leurs yeux comme un enfant.


Philippe Lançon, Libération, 26 février 2009


Écriture et quincaillerie


Croyait-on possible de lire dans les carnets d commerce d’un quincaillier des fragments de littérature ? C’est pourtant ce que recèle Le Commerce du père, de Patrice Robin. Les carnets sont ceux de son père, quincaillier dans les Deux-Sèvres pendant trente ans, que l’auteur a retrouvé par hasard et qu’il explore dans la dernière partie de son livre. On peut y lire, outre des phrases plus ou moins adroites et communes, des listes de commande de « paniers de Poitou, faucilles Cholet, serpes à tiges, faux Mouettes, liens à bœufs, brosses à crinière Le Tigre, mousquetons à touret, vilebrequins à mandrin, étrilles Stella… » qui ont une incontestable résonance poétique. Soit. Mais ces carnets restent forts peu intimes et pourraient apparaître anecdotiques. Pourquoi la lecture qu’en fait le fils en vient-elle à être chargée d’une si grande émotion ? A dire vrai, des dessins, des photos ou tout autre chose qui ne serait pas de l’écrit n’auraient pas le même effet. Car il s’agit bien de cela : avec ces carnets, Patrice Robin tient dans ses mains les « livres » de son père, alors que celui-ci est mort avant de connaître ceux de son fils écrivain. Plus douloureux encore : le père s’est désintéressé des activités de son fils, et réprouvait silencieusement que celui-ci se contente de petits boulots, alors que lui-même avait « réussi ». Ainsi, comme c’était probable, « le commerce du père » est à prendre à son double sens : la quincaillerie, où travaillait aussi la mère de l’auteur, ainsi que le type de relations entretenues avec cet homme. Or, sur ce qui s’est avéré être une nécessité absolue pour Patrice Robin, c’est-à-dire l’écriture, et sur les difficultés matérielles et psychologiques, régnait l’omerta.

C’est cette époque que raconte Patrice Robin dans la première partie de son livre. Comment il a jonglé entre les contrats à durée déterminée et le chômage, sauvegardant ainsi du temps pour écrire, au prix de la précarisation sociale. Mais aussi les époques de travail enthousiaste suivies de douches froides, comme celle occasionnée par la lettre d’une écrivaine admirée mais non nommée (on devine qu’il s’agit d’Annie Ernaux), dont les conseils justes et francs refroidissent l’emballement du jeune auteur croyant dans le manuscrit qu’il lui a envoyé. En tout treize années d’obstination, conclues enfin par la réponse positive d’un éditeur, après bien des refus. Ce récit a une valeur emblématique sur les débuts de la plupart des apprentis écrivains. Mais il donne aussi à voir ce que de sa vie Patrice Robin a fait dans ses premiers manuscrits, publiés ou non, dont il raconte les intrigues. Il y aurait là une étude passionnante à faire sur l’usage de la fiction dans ces « romans autobiographiques ».

Le Commerce du père est un beau livre de réconciliation (comme l’était déjà Mathieu disparaît, P.O.L, 2004). Non que l’amour se serait évanoui entre le fils et le père, mort d’un cancer avant la publication du premier livre de Patrice Robin. Mais il y a quelque chose de l’ordre de la transmission impossible qui enfin se réalise quand l’auteur comble les pages laissées blanches dans l’agenda de son père. Il reconstitue ce qui s’est passé pendant ces quelques jours hors commerce dans la vie de son père, et qui s’est terminé par une longue et magnifique marche nocturne. Patrice Robin redonne vie à cet épisode à proprement parler extraordinaire. Et ce, avec ce que son père a préféré ignoré : son talent d’écrivain.


Christophe Kantcheff, Politis, 26 février 2009