— Paul Otchakovsky-Laurens

Jusqu’au bonheur

Patrick Varetz

« Persévérer jusqu’au bonheur exige une infinie patience. Les malades nous arrivent de partout, charriés par wagons entiers, et il me faut personnellement tout reprendre de zéro, avec chacun. Je dois argumenter pendant des heures devant des gens qui n’y comprennent rien. Je dois sonder les âmes, calmer les esprits. Vous n’imaginez pas tout ce que cela me coûte en acharnement !  »

Les patients du docteur Kuzlik sont-ils déjà morts ou toujours vivants ? S’agit-il d’une fable qui, dictée par le devoir de mémoire, nous rappellerait les dangers de toute théorie totalitaire sur le bonheur ? N’est-il pas question, plutôt, du voyage...

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La presse

Jusqu’au bonheur Patrick Varetz


Né à Marles-les-Mines en 1958, aujourd’hui lillois, Patrick Varetz vient de sortir en février un premier roman chez P.O.L. L’univers qu’il y déploie rappelle ceux de Kafka, Philip K. Dick et des récits concentrationnaires. Dès les premières phrases, il plonge le lecteur dans une entreprise de démolition systématique : "On nous a réunis là pour nous transformer, en prenant grand soin de nous convaincre du caractère anecdotique de notre existence. Nous n’avons aucun droit et tout est mis en oeuvre pour éradiquer nos différences ". Le " camp de réhabilitation mentale " qui est décrit ici a des allures de camp de la mort. Les êtres humains y sont tout autant parqués, décharnés, condamnés au travail. La distinction entre les sexes s’estompe. Les visages finissent par se ressembler tous. Mais la finalité du processus diffère : dans ces camps-là on ne tue pas les individus, on se contente d’en supprimer l’humanité. Avec Jusqu’au bonheur, Patrick Varetz signe un véritable oxymoron aux dimensions d’un livre. Le bonheur dont il est question ne semble exister que dans la destruction, voire la mort. La méthode mise en place par le bon docteur Kuzlik et qui séduit les foules est composée de six étapes qui constituent les six chapitres du livre. Leurs titres donnent une lecture à rebours de la Genèse, conduisant de " Mâle et femelle " à " Lumière ", comme un lent processus de retour au néant originel.

Le narrateur perd peu à peu son identité et se bat avec son passé - ou ce qu’il pense être son passé car la frontière entre souvenir et délire, réalité et imaginaire est ici très poreuse - jusqu’au dépassement, voire à l’anéantissement de sa mémoire. L’orgueil, l’espoir et les souvenirs sont noyés par ce travail de sape fondamentale où seule surnage la figure du docteur tel un Messie (on pense au syndrome de Stockholm). Une étape supplémentaire est encore franchie lorsque le narrateur, qui espérait au début du roman le salut des hommes, prédit ensuite que " le plafond de ténèbres va s’entrouvrir, une pluie plus noire que l’oubli va se répandre et inonder la terre de nouveaux océans. Les villageois d’ici vont fuir, partout des villes vont disparaître, des continents entiers seront engloutis. Le cataclysme ne doit épargner personne : je n’imagine pas le bonheur autrement ". L’écriture de cette fiction médicale est en accord avec le propos : chirurgicale, parfois désincarnée, souvent noire, glauque, visqueuse, sans espoir. Une redoutable plongée dans une société totalitaire.


François Annycke, Eulalie, 2010


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Patrick Varetz, Jusqu’au bonheur, lecture par l'auteur.