— Paul Otchakovsky-Laurens

À mon tour

Hubert Lucot

À mon tour est le dernier livre d’Hubert Lucot, il clôt « Le Cycle de la mort », commencé avec Je vais, je vis (2013, P.O.L) après le décès de sa femme en 2010, « A.M. » (pour Anne-Marie). Il s’agit d’un journal des années 2015 et 2016, alors que l’auteur apprend « qu’à son tour » il est atteint d’un cancer. Hubert Lucot meurt le 18 janvier 2017.

« Je cajole le Cycle de la Mort dont À mon tour constituera le quatrième tome si demain, vers 14 h 40, le verdict scintigraphique en décide ainsi. Je nomme conjuration ma pensée, puis un expert hypothétique vient me...

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La presse

HUBERT LUCOT le cycle du cancer et de la mort



Le scanner a détecté «des taches blanches». Lundi 28 septembre, 16 h 19, Hubert Lucot « horodate le choc historique »  :  « Nous allons procéder ainsi: scintigraphie, bronchoscopie avec biopsie. » Depuis 2013, chacun de ses livres contribue à ce Cycle de la mort. Je vais, je vis accompagne A.M, la femme aimée avec laquelle il a partagé plus d’un demi siècle, emportée par un cancer du pancréas. Puis la force répétitive et funèbre de la maladie frappera sa soeur (Sonatines de deuil) et un ami (la Conscience). Avec À mon tour, Lucot se retrouve face à l’épreuve de la prolifération inéluctable et ravageuse du mal où soudain le temps presse et enfonce chaque jour davantage dans une attention démesurée à toute explication rassurante. Commence alors l’attente qui ronge comme un acide, et dépossède de toute consistance. L’attente des rendez-vous, des médications, des examens, des résultats, des bilans, des entrées et des sorties des hospitalisations, l’attente du verdict des constantes (tension, pulsations, taux d’oxygénation, glycémie), l’attente dans les couloirs, les salles d’accueil, de repos ou sous le goutte-à-goutte limpide. Dans ce corps « aux jambes flottantes », livré à la solitude, à l’incertitude, à la fatigue, au dégoût de la nourriture, « sans cesse naît à l’improviste un surcroît d’agression ».



RÉEL RÉMINISCENT



Malgré la dureté de la maladie et les contraintes de son parcours médical, Lucot ne perd pas son sens de l’observation et de la captation: « La fraîcheur de l’air et celle des hu mains auxquels, sur la place des Vosges, le couchant donne un rayonnement d’or expriment, au fond, mon mal-être. » Son écriture puise dans les nombreuses impressions notées sur le vif. Puis, elle passe par un long exercice d’assemblage et d’ajustage. Elle procède par juxtaposition et non par un quelconque mélange. II s’agit de faire réagir les différents éléments les uns par rapport aux autres, mais c’est par le biais d’un maintien de l’autonomie de chacun d’entre eux qu’un tel effet est recherché. Souvenirs remontés à la surface, informations du soir, actes médicaux, considérations sur l’état du monde, phénomènes du « Réel Réminiscent », affaiblissement physique, tracasseries du quotidien se présentent isolément, distinctement et néanmoins délibérément associés: « Le sang du Bataclan s’écoule en moi par des canaux douloureux charriant l’odeur des "sous" (le syndic) et les temps morts de l’hôpital. » L’épaisseur autobiographique enclenche un double mouvement de mise à nu et de distanciation. Mais sans aucune complaisance, sans aucune certitude non plus dans cette élasticité qui alterne opacité et transparence, passé et présent. De près ou de loin, tout commence par une sensation poussée en direction d’une autre, un sentiment qui déborde son feu central, l’extérieur qui pénètre l’intérieur. Dans cette représentation horizontale, le travelling l’emporte sur le cadrage. Le déplacement est un atout et produit une acuité de la vision.
Lucot a de plus en plus peine à échapper à la maladie qui dirige sa vie. II lui reste encore le
« plaisir d’agir sur un texte longtemps poli  ». Mais la crainte de ne pouvoir aller au bout de sa tâche l’effraie. II s’interroge: « Est-ce que "tiré d’affaire" pourra remplacer le mot "guéri" que jamais je n’emploierai? » II clôture son livre par « rémission » mais laisse planer la menace de ne pas profiter de « la belle clarté » de ce mot. II décède le 18 janvier 2017.À son tour.


Didier Arnaudet, artpress, juin 2022.






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