« Grâce à une caméra Paillard-Bolex 8 millimètres qu’on m’a offerte quand j’ai eu onze ans, j’ai rapidement saboté mes études et me suis retrouvé assez vite aux Laboratoires de tirage cinématographiques de Saint-Cloud ». Yann Dedet, monteur des films de Truffaut, Pialat et Stévenin, entre autres, raconte ici sa découverte du métier. Il décrit tout un « paradis perdu », dans une langue burlesque, émouvante, « paradis » qu’il confronte alors aujourd’hui au récit pudique de la vieillesse. C’est à la fois le temps retrouvé et le temps où « on se met...
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« Grâce à une caméra Paillard-Bolex 8 millimètres qu’on m’a offerte quand j’ai eu onze ans, j’ai rapidement saboté mes études et me suis retrouvé assez vite aux Laboratoires de tirage cinématographiques de Saint-Cloud ». Yann Dedet, monteur des films de Truffaut, Pialat et Stévenin, entre autres, raconte ici sa découverte du métier. Il décrit tout un « paradis perdu », dans une langue burlesque, émouvante, « paradis » qu’il confronte alors aujourd’hui au récit pudique de la vieillesse. C’est à la fois le temps retrouvé et le temps où « on se met à connaître plus de morts que de vivants », écrit l’auteur.
C’est à ce moment que les deux extrémités se rejoignent, opposées mais pourtant semblables, aussi pulsionnelles l’une que l’autre : apprentissage d’un côté, envie de tout recommencer, romancer, de l’autre.
« En 1965 je plonge pour un long bain dans un laboratoire de cinéma au milieu des pellicules et des ouvrières et ouvriers en blouses blanches. Le travail et le social s’ouvrent de concert, et quel concert, un tournant radical se dessine au bon moment, celui où on se dit qu’on n’est rien parce qu’on n’est pas encore. C’est un "paradis perdu" dans le temps mais gagné pour la vie, un bon demi-siècle de démultiplication. À l’autre bout de la chaine, je retrouve un autre paradis de blouses blanches. Il aurait pu être un enfer mais je ne cède pas à l’ombre dégoutante du renoncement et aspire à sublimer la fin des haricots. Pour le six-milliardième terrien que je suis se dessine un retour aux sources dans le même foisonnant bain d’enfant gâté qui m’a vu grandir et ne me verra pas tout de suite emporté, comme certains de mes proches contemporains, qui sont partis. »
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Le Principe du clap, Silésie. 1970 (Positif)
Pourquoi rendre compte de manière conjointe d’ouvrages de Yann Dedet et de Jean-François Stévenin ? Sans doute parce que le premier fut non seulement le monteur de Passe montagne et de Double messieurs mais surtout l’ami du second, rédigeant la préface du curieux objet qu’est Silésie 1970. Ce journal du tournage des Cloches de Silésie (Das Unheil), de Peter Fleischmann, a été enregistré au magnétophone dans la chambre d’hôtel de Stévenin, souvent après minuit, entre la mi-août et la fin septembre 1970. La forme orale permet de plonger sans médiation dans le Zeitgeist des années 1970 commençantes (les joints circulent, Hendrix meurt, le marxisme n’agonise pas encore...), où les mots de rigueur, d’anticipation et d’organisation avaient des connotations fascistes... Le chaos journalier n’était pas pour désemparer un assistant réalisateur qui avait auparavant travaillé avec Rivette et Rozier, mais l’atmosphère épique dépeinte avec force effets de réel tient tout autant du happening que du « monôme anar ». Écriture du scénario au jour le jour, choix des comédiens à la dernière seconde, départs d’acteurs sans rôle pendant un mois, psychodrames divers... Le pandémonium initial, que l’on croirait écrit par Strindberg et retranscrit par Zulawski, ne laisse place à un minimum de pragmatisme qu’à la suite des démissions successives des incompétents, de sorte que Stévenin se voit occuper les fonctions de script, régisseur, premier assistant et, finalement, de coréalisateur. Le livre refermé, demeurent en tête les portraits pittoresques des notables de Wetzlar, dans le prospère Land de la Hesse, une bourgeoisie pas tout à fait dénazifiée et tout à la griserie du miracle économique. Les éboueurs sympathisent avec les gérants et clients grecs de l’Akropolis, où coule à flots le retsina, pendant que des quintaux de déchets sont déversés sur les gazons proprets des villas, sans l’assentiment de leurs propriétaires, et que les producteurs de la United Artists s’aventurent à passer une tête sur le tournage. La forme brute (imitations de Johnny Hallyday et de Jean-Paul Belmondo) conservée dans la dactylographie donne l’impression d’être partie prenante de cette odyssée délirante en milieu corseté. Rien de tel dans l’ouvrage de Yann Dedet, dont l’écriture d’orfèvre marie introspection, anamnèse et encyclopédie. Le plus célèbre monteur français revient sur son apprentissage de jeunesse en documentant avec la passion intacte du novice qu’il fut des laboratoires LTC des années 1960 et leurs multiples corps de métiers : le service sensitométrie, le tirage des positifs, le service synchronisation, le service Truca, etc. On apprend au passage ce qu’est une « Lily », à savoir la charte des couleurs filmée juste à côté d’un visage, pour étalonner le plan. Cette initiation à l’« aval » d’un film, à partir duquel allait se décider la vocation de monteur, s’entrelace de rêveries autour des égéries féminines guidant le très jeune homme dans les arcanes de l’incontournable laboratoire de développement, acquis au communisme et à la CGT, qui font de cette introduction aux Moritone et à l’acétone une sorte d’éducation sentimentale aussi poétique qu’envoûtante. Cette manière d’hybrider technique et émotions se retrouve dans la seconde section du livre, où la nosographie (le journal de bord d’une intervention chirurgicale) se mâtine de réminiscences amicales et amoureuses, où le cinéma que l’on fait ou que l’on admire n’est jamais très loin, comme s’il se confondait avec la vie organique. Mais n’est-ce pas, pour tout cinéphile, la définition qui s’impose ?
Baptiste Roux, Positif , juillet-août 2023