— Paul Otchakovsky-Laurens

La Route des Estuaires

Julie Wolkenstein

« J’avais dix-huit mois lorsque mon petit frère est né, le 5 décembre 1969, et presque vingt mois lorsqu’il est mort, le 25 janvier 1970. Je n’en ai aucun souvenir. J’étais un bébé et, à l’époque, ce qu’on appelait un bébé était supposé incapable non seulement de mémoriser les événements de sa vie, mais tout simplement d’être affecté par eux. Je suis censée ne m’être aperçue de rien : ni que ma mère était enceinte, ni qu’un autre bébé était installé dans la chambre verte, à quelques mètres de ma chambre bleue, ni que,...

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La presse


L’enfant retrouvé


Si La Route des Estuaires était autre chose qu’un livre, ce serait une voiture lancée à vive allure, et à contresens, sur le chemin de la mémoire. Son point de départ est un souvenir proche : le voyage de la narratrice avec deux de ses fils et son « fiancé » vers sa maison normande de Saint-Pair, cadre de la plupart de ses romans. Le récit nous mène ensuite jusqu’au hameau de Marolles, où une fête est donnée chaque année aux alentours du 14 juillet. Puis il nous conduit à Paris, où la narratrice a grandi. II nous entraîne à Caen, où elle enseigne depuis vingt-cinq ans. II nous embarque à Tignes, où ses parents l’emmènent en vacances. Nous balade en Bretagne, patrie de sa nounou. La promenade a un but douloureux. Elle cherche à retrouver le moment précis où son petit frère, Éric, est mort accidentellement, à l’âge de 2 mois, alors qu’elle était toute petite. Aucun témoin ne se souvient que j’aie posé la moindre question, que j’aie paru d’une manière ou d’une autre me soucier de quelque chose qui, à les entendre, ne m’était pas arrivé à moi, écrit Julie Wolkenstein.


« Toi le frère ». Les adultes s’imaginent que les drames qu’ils traversent n’atteignent pas les très jeunes enfants. On a très peu parlé à Julie Wolkenstein de son petit frère disparu. Mais sur la bande-son de la vie de cette sœur endeuillée presque sans le savoir crépite une chanson de Maxime Le Forestier aux paroles qui l’ont tant fait pleurer sans qu’elle puisse vraiment se l’expliquer : « Toi le frère que je n’ai jamais eu... » Plus Julie Wolkenstein remonte dans le temps, plus ses souvenirs se diluent dans l’inévitable amnésie de l’enfance. Pour leur redonner vie, elle pioche dans de vieux albums de photos, fouille les archives du Monde, où écrivait son père, recense les phrases que ses proches ont prononcées au sujet d’Éric. Son récit capture des instantanés, réinvente des époques. La romancière ne perce pas le mystère de cette mort inexpliquée. Mais elle effectue un voyage salutaire hors du silence et vers la vie.


Élise Lépine, Le Point, avril 2023



La Route des Estuaires


Pendant cinquante pages, Julie Wolkenstein nous balade. Sur l’autoroute A13, à l’arrière d’une Fiat 500, les genoux pliés à hauteur de tête. À bord du train Paris-Granville, arrêté pour une durée indéterminée en gare d’Houdan. Au milieu de voitures accidentées, dans le prégénerique de la série The Walking Dead. La destination de ces tours et détours se floute et se dérobe. Politesse des vulnérables, l’amusement est de mise, l’autodérision picote. D’où viennent les coups de volant de cette narration enjouée ? Des secousses d’un souvenir longtemps tenu à distance. Bienvenue dans le biotope du refoulé, où l’air peut se montrer faussement vivifiant. Même au bout d’une route traversant six romans sur huit publiés par l’autrice, en bord de mer, du côté de Saint-Pair. C’est clair comme de l’eau de roche lacanienne. L’évènement enfoui depuis sa toute petite enfance le fut d’abord comme son père et sa mère, qui passèrent sous silence la mort de leur jeune nourrisson Éric, petit frère de Julie, alors âgée de 20 mois. Pas de photos, peu de mots : Aucun témoin ne se souvient que j’aie posé la moindre question, que j’aie paru d’une manière ou d’une autre me soucier de quelque chose qui, à les entendre, ne m’était pas arrivé à moi.


Peut-on, à 50 ans passés, se réapproprier un pan de mémoire soigneusement découpé dans des langes ? Julie Wolkenstein pose la question dans ce livre autobiographique respectueux de tous les mutismes, à l’affût du vacarme qu’ils couvrent. Elle fait parler ses propres images mentales, revisite ses croyances, réinterprète les coïncidences. Elle relit les articles de son père, alors chroniqueur au Monde, à la lumière de cette perte tue. Interroge les témoins qui ne savent plus, ou dont les certitudes sont des remparts. Observe la spirale des ondes autour de ce secret de famille, capables de faire vaciller ses propres enfants. La densité émotionnelle de son récit émane de son acceptation du fait que la vérité se désagrège avec le temps, pour devenir multiple. Il y a dans son écriture une forme élégante et singulière de fatalisme aux aguets, qui s’appelle la pudeur.


Marine Landrot, Télérama, avril 2023



Frère à l’esprit – Julie Wolkenstein pousse plus loin que Saint-Pair-sur-Mer


Deux énigmes habitent ce récit. L’une, résolue, confère de la douceur et de la tendresse à la fin du livre. L’autre reste entière : qu’est-ce qui a provoqué chez le petit frère de l’autrice, à l’âge de 2 mois, un traumatisme crânien ayant entraîné sa mort? La Route des Estuaires raconte l’enquête que mène Julie Wolkenstein sur ce drame survenu en 1970, lorsqu’elle avait 20 mois, à une époque où l’on estimait inutile de parler aux enfants. En 2020, elle a rencontré la « nurse » qui s’occupait d’elle au moment des faits : Maryvonne, une Bretonne arrivée à Paris en 1968, s’est manifestée par un mail envoyé à l’autrice. Elle lui proposait de lui rendre visite en Bretagne, à Binic très exactement, pour discuter. Les révélations furent maigres, mais la visite a ouvert la porte à des souvenirs, et ce livre s’est écrit grâce à eux. Construit de façon (parfois trop) sophistiquée, comme tous les livres de Julie Wolkenstein, La Route des Estuaires restitue avec froideur et intelligence une géographie, des événements, un milieu.


Julie Wolkenstein est la fille de l’écrivain, journaliste du Monde et académicien Bertrand Poirot-Delpech, mort en 2006. II est présent dans ce texte comme il l’était dans le précédent, Et toujours en été (P.O.L, 2020). Sur l’autoroute qui mène à la maison de famille de Saint-Pair-sur-Mer, dans la Manche, maison Belle Epoque qui est au cœur également de Et toujours en été, « se superposent cinquante ans de souvenirs ». Les premiers évoqués sont les meilleurs, ceux « qui impliquent tant de monde qu’ils ne concernent personne en particulier », donc ceux qui nous concernent tous. Ils sont liés au passage de la jeunesse à l’âge adulte, à une tranche de vie qui se ferme. Julie Wolkenstein en restitue très bien la mélancolie et l’excitation : l’une aide à supporter l’autre et vice versa.


Plusieurs années de suite, elle a passé du temps avec des amis dans une maison située à Marolles, à une dizaine de kilomètres de Houdan. Ils dansaient, buvaient, se droguaient, faisaient des pâtes en grande quantité à n’importe quelle heure. L’autrice, qui raconte ces moments à la première personne, en retrouve la texture grâce aux films qu’un garçon de la bande a tournés. II s’appelait Hervé, il était radiologue et il est mort depuis. L’écrivaine peint la fin d’un monde ; elle se produit vers la trentaine : Adieux à la jeunesse, durcissement des positions et des inimités autrefois sans importance, blagues outrancières moins bien accueillies, pièces rapportées diversement intégrées, débuts d’échecs (conjugaux, professionnels) : la fin de l’insouciance.


Une autre parenthèse s’ouvre alors dans le livre. Elle contient la mort d’Éric et la petite enfance de Julie Wolkenstein, qui se déclare « historienne » pour l’occasion : « C’est pratique, un regard d’historienne, c’est rassurant.  » Pourquoi ? On ne sait pas, peut-être parce que les archives mettent le drame à distance. L’autrice est archiviste de son père et d’elle-même avec un même plaisir. Le portrait de Poirot-Delpech dessine un homme affectueux, gros travailleur, amateur de femmes, plusieurs fois marié et divorcé, « critique dramatique » jusqu’à la mort d’Éric. La mère de la romancière et lui vont énormément au théâtre, « une vie qui justifiait la présence d’une nurse à demeure ». Ils admirent leur fille dont les prouesses sont consignées par la mère dans une espèce de livre d’or : J’étais une enfant précoce, comme on ne le disait pas encore à cette époque. À l’école, on m’a fait « sauter » plusieurs classes, et j’avais donc tout à fait conscience, quotidiennement, de ce léger décalage avec les autres, de cette « avance » dont mes parents tiraient fierté et qu’ils ont beaucoup (trop) vantée autour d’eux.


Le père apprécie la littérature française, la fille préfère les auteurs britanniques et américains, ce dont témoignent les citations qu’elle place en exergue des chapitres. Elle cite James, Fitzgerald, met aussi en guise de citations d’auteurs des propos tenus par ses fils, son « fiancé », son père et sa mère. Cette fantaisie ainsi que des formules qui sont de très bonnes trouvailles font qu’on ne lâche pas ce récit, bien qu’il ne porte pas à la sympathie, notamment lorsque la normalienne qui enseigne la littérature comparée à l’université de Caen note que cette « affectation » universitaire lui a semblé au début comme une « sorte de punition », au regard de ses succès scolaires. Dans l’album rédigé à la gloire de sa fille, la mère mentionne à un moment la « tendresse » de l’enfant. Puis le mot est corrigé et devient « patience ».


Virginie Bloch-Lainé, Libération, mars 2023



La route d’autrefois


Au volant, plus Julie Wolkenstein avance, et mieux elle recule. On la croit partie, elle revient déjà. Ainsi, par la route des Estuaires, ou du moins son tronçon normand, elle n’en finit pas de rejoindre, de livre en livre, la bien nommée commune de Saint-Pair-sur-Mer (Manche), où elle a grandi entre son père, l’écrivain et journaliste Bertrand Poirot-Delpech, disparu en 2006, et sa mère, Bénita Jordan, qui reste, après son éditeur, sa deuxième et précieuse lectrice. Après avoir exploré, dans Et toujours en été, chaque pièce de la grande maison avec vue sur la mer dont elle a hérité, elle reprend la route, depuis Paris jusqu’à la baie du Mont-Saint-Michel, afin d’en réviser le tracé et de documenter son passé. Cette fois, elle prolonge son escapade côtière jusqu’à Binic, en Bretagne, où vit Maryvonne, qui fut, à 20 ans, sa nounou, et qui, à la fin du dîner de retrouvailles, lui glisse : « Tu le sais, que tu as eu un petit frère ? » Oui, bien sûr, elle sait C’est même le cœur battant de son livre. Il se prénommait Éric. Né le 5 décembre 1969, il est mort le 5 janvier 1970. D’un traumatisme crânien inexpliqué. Maryvonne étant alors retournée en Bretagne, sa cousine la remplaçait auprès du bébé, elle jura ne pas l’avoir laissé tomber. Une enquête fut lancée et l’affaire, vite classée.


En poursuivant le fantôme du petit Éric sur la route des Estuaires, le long d’une Manche sur laquelle Bertrand Poirot-Delpech aimait tant naviguer et se fuir, Julie Wolkenstein veut comprendre comment ses parents ont vécu avec et après ce drame. Elle relit les articles – critiques dramatiques et reportages depuis Tignes, frappé par une avalanche meurtrière - écrits à l’époque par son père dans le Monde, comme si elle y cherchait une trace de l’enfant mort. Elle demande à sa mère si le choix du prénom d’Éric a un rapport avec Pierre Joubert, l’illustrateur de la saga du « Prince Éric » et de la collection « Signe de piste », où Poirot-Delpech publia son premier roman sous pseudonyme. Elle interroge sa propre enfance précoce, demande des comptes au passé et inspecte, une fois encore, les moindres recoins de la maison de Saint-Pair. Rien de morbide dans cette instruction, rien de sentimental dans cette enquête. Julie Wolkenstein, qui avoue ne jamais assister à l’inhumation de ses morts, ne dévie pas de sa route. Elle est forte. Son livre, aussi.


Jérôme Garcin, L’OBS, mars 2023



Sœur d’âme.


Qu’est-il arrivé à son petit frère disparu à 2 mois ? Une enquête gracieuse de Julie Wolkenstein dans laquelle ELLE joue un grand rôle…


Qui aime l’œuvre de Julie Wolkenstein a déjà pris la route avec elle, direction Saint-Pair-sur-Mer, pour sa maison de famille avec vue sur la Manche. De la joie dans l’air salé, et des fantômes aussi. Dans ce théâtre intime qui est bien plus que le décor de plusieurs de ses romans, Julie Wolkenstein s’invente une chambre à elle, construit livre après livre une œuvre malicieuse et proustienne, à la recherche du temps perdu et des siens disparus : son aïeule Adèle, toujours un peu son père, l’académicien et marin Bertrand Poirot-Delpech, et aujourd’hui son minuscule petit frère, Éric. C’est dans cette villa que, naturellement, avec deux de ses enfants, et celui que le monde appelle son « fiancé », l’écrivaine trouva refuge lors du premier confinement pour un séjour et un projet littéraire dont elle ne connaissait pas l’issue. La romancière voulait écrire La Route des Estuaires, du nom de ce bout d’autoroute tellement de fois empruntée au cours de son existence, cette ligne qui relie tous ses souvenirs comme des petits points dans les cahiers d’activités des enfants. Pour la première fois, elle voulait aussi poursuivre le voyage au-delà de la Normandie, jusqu’en Bretagne, jusqu’à Maryvonne, sa nounou, alors qu’elle était une toute petite fille – et qu’Éric mourait sans qu’on lui donne d’explication.


Le 4 juillet 2014 le magazine ELLE publiait, dans le cadre d’une série estivale, un article sur les grandes vacances de Julie Wolkenstein, illustré notamment par une photo de l’autrice enfant, habillée d’un gilet de sauvetage orange, à la barre d’un dériveur. Cette photo, Maryvonne était tombée dessus des années plus tard. Et le 26 janvier 2020, cinquante ans, à un jour près, après la mort d’Éric, elle écrivait un mail à Julie Wolkenstein. Objet : « Le temps retrouvé ». Alors, enfin, après avoir passé sa vie à s’étonner de pleurer lorsqu’elle entendait Mon frère, la chanson de Maxime Le Forestier, l’autrice allait enquêter pour connaître la vérité sur cette mort. Elle avait 18 mois lorsque son frère est né, presque 20 mois lorsqu’il est mort. Elle n’en garde aucun souvenir. Ce récit est écrit pour tenter d’approcher le mystère de cette disparition et de saisir les traces qu’elle a imprimées sur la fillette qu’elle était, et l’écrivaine qu’elle est devenue. Elle dont le livre préféré est Portrait de femme, d’Henry James, qui « ne mentionne la mort d’un petit garçon que pour mieux la taire ». Cette Sherlock, naviguant toujours entre la gaieté et la gravité, rassemble ses souvenirs, interroge les légendes écrites par sa mère dans l’album de photos familiales, questionne les chroniques écrites par son père dans Le Monde juste après la mort d’Éric, prend la route pour aller rencontrer Maryvonne. La Route des Estuaires est l’histoire d’un silence. Sa clé se trouve dans le dernier paragraphe, l’une des phrases les plus bouleversantes et magnifiques données à lire sur ce que peut faire, par amour, une mère.


Olivia de Lamberterie, ELLE, mars 2023



Un petit fantôme égaré sur « La Route des Estuaires »


Julie Wolkenstein raconte comment la mort tragique de son frère a surligné en silence, pendant plus de cinquante ans, la chronique familiale.


C’est toujours pareil, toujours le même secret de lecteur. On a beau prétendre n’en avoir que pour les aventures de l’imaginaire, il suffit qu’un écrivain connu et aimé pour s’en être tenu à cette ligne mélodique s’annonce avec un opus où il serait cette fois-ci question des aléas du moi, et on se dédie volontiers. Adieu les rêves, bonjour l’État civil. Voyeurisme ? Pas forcément, plutôt la prescience que si l’auteur(e) ose enfin s’avancer à visage découvert, c’est que sans doute cela en vaut la peine (dans tous les sens du terme).


Ainsi Julie Wolkenstein, depuis L’Heure anglaise ou le merveilleux Les Vacances, parmi nos plus délicates romancières des tours et détours de la fiction, sacrifie elle aussi à cette forme impure qu’est l’autofiction pour son nouveau livre, La Route des Estuaires. Seulement, puisque bon sang ne saurait mentir (on ne saurait mieux dire, on le verra), elle s’y emploie avec les armes d’un « marabout de ficelle » joliment piégé qui faisait déjà tout le charme des précédents volumes.


La tragédie du non-dit


De quoi est-il question ? De tant de choses… Mais d’abord d’un petit fantôme. Un enfant, frère d’une petite Julie alors âgée de dix-huit mois, née le 5 décembre 1969. Et mort un mois et vingt jours plus tard. Des suites probables d’une chute. Probables, car en ces matières de tragédie, intime avant toute chose, les causes pas plus que les conséquences ne font l’objet d’un examen méticuleux. C’est en tout cas dans cette « ignorance » volontaire, ce silence surtout, cette douleur marmoréenne, que se tiennent le père (le romancier et journaliste Bertrand Poirot-Delpech) et la mère. Leur fille grandira dans cette inquiétude, ce non-dit, sans que cela toutefois ne paraisse trop lourd à porter. Et pourtant, retour du refoulé il y aura.


Il y faudra une vie, une mort (celle du père), des souvenirs, des fêtes de 14 juillet, une pandémie, une lettre envoyée depuis la Bretagne par une vieille dame qui elle non plus n’a pas oublié, des mariages, de grands enfants, des vacances au ski (et la terrible avalanche meurtrière de février 1970 à Val d’Isère qui emporta 39 gamins dans un chalet de l’UCPA), un bout d’autoroute normande traversé sans cesse, qui mène au berceau familial, du côté de Saint-Pair-sur-Mer, « la route des estuaires ». Parmi tant d’autres trucs dans cette brocante de la mémoire.


Chanson douce


La façon dont Julie Wolkenstein « fait sa pelote » de tout cela est impressionnante à la fois de maîtrise et de sensibilité. L’admirable équilibre de la construction du livre y contribue grandement. Un désordre chronologique foisonnant et fécond. La douleur est tamisée par l’usage de l’art, des lettres. Une chanson douce sur fond de paysage français. Les années qui passent et le passé qui revient. Et le motif caché dans le tapis du visage d’un enfant. Perdu et retrouvé.


Olivier Mony, Sud Ouest, février 2023



Trip nostalgique


Le voyage intime auquel nous invite l’autrice convoque fantômes et souvenirs. Empruntant tours et détours, il se révèle poignant et imprévisible.


Trois ans après Et toujours en été, un escape game littéraire et mélancolique qui nous conduisait dans les moindres recoins de sa maison de vacances familiale à Saint-Pair-sur-Mer, près de Granville, dans la Manche, Julie Wolkenstein poursuit son émouvante entreprise autobiographique. Elle façonne un nouveau conte de l’enfance où viennent s’entremêler les souvenirs, et adresse une poignante déclaration à ces lieux magiques qui nous habitent autant que nous les habitons. Mais cette fois, l’universitaire spécialiste de Henry James et traductrice de Fitzgerald nous emmène plutôt du côté de Kerouac et nous fait prendre la route. La route des Estuaires plus précisément, celle-là même qui pendant cinquante ans l’a conduite de Paris jusqu’en Normandie, celle qui traverse encore aujourd’hui son existence de part en part. L’ombre de son petit frère, mort mystérieusement d’un traumatisme crânien à l’âge de 2 mois alors qu’elle n’avait pas encore 2 ans, plane sur ce voyage intime dans les méandres de sa vie. Car si La Route des Estuaires mène à la maison de Saint-Pair, elle pousse plus loin jusque chez Maryvonne, leur nurse bretonne qui veillait sur eux quand ils étaient petits.


Mais n’attendez pas de ce livre désarçonnant une enquête et une résolution, préparez-vous plutôt pour un étonnant spectacle où les fantômes chantent à l’unisson. Peu importe la destination, ce qui compte c’est le voyage dit l’adage, et le roman de Julie Wolkenstein n’est jamais aussi beau, drôle et touchant que quand il se perd en chemin. Des détours que l’on emprunte avec elle, des divagations qui l’assaillent, l’écrivaine fait de sublimes envolées littéraires. La scène d’introduction de la série The Walking Dead, les règles alambiquées des Aventuriers du rail, un vieux jeu de société ferroviaire, les critiques théâtrales et les articles de son père, Bertrand Poirot-Delpech, dans Le Monde, Mon frère de Maxime Le Forestier qui passe sur Nostalgie ou encore les héroïnes de Sébastien Japrisot : les pensées qui jaillissent sans prévenir deviennent le moteur d’une histoire émouvante et imprévisible comme la vie.


Léonard Desbrières, Lire, mars 2023

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