— Paul Otchakovsky-Laurens

Deux courts romans de dames

Jacques Jouet

Jacques Jouet a déjà publié, chez P.O.L, de « courts romans de dames », ayant pour personnage principal une héroïne dotée d’un destin particulier, et avec l’ambition de travailler sur des figures féminines possibles, liées au temps présent : Une mauvaise maire (2007), La seule fois de l’amour (2012), Un dernier mensonge (2013). À terme, Jacques Jouet rêve d’une galerie de personnages comme on en trouve dans les romans et nouvelles de Henry James, et poursuit son catalogue de « vies potentielles ». Avec ces deux nouveaux romans, également situés de nos jours, il tente à chaque fois de décliner avec...

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La presse

Divans, Dieu et des poussières, Jacques Jouet sur plusieurs terrains

Jacques Jouet propose prose et poésie. D’abord Deux Courts Romans de dames: «Valentine expliquée» et «Madame Greuse» qui ne ménagent pas les surprises. Chacun rapporte la vie d’une femme. Valentine est une chercheuse en catalyse organométallique et vit une existence sans histoire. Elle est en plus sympathique puisqu’elle a en horreur les dîners en ville avec les inévitables paradeurs relous, arrogants diplômés et séducteurs de vaudeville. Elle ne pourra refuser cependant l’invitation lancée par son patron, le bien nommé M. Labo. Valentine joue la montre, mais, quand au cours de la soirée, la conversation tombe sur la psychanalyse (une loi en établit la forte probabilité entre le bar de ligne et les macarons), Valentine se sent un peu bête de n’avoir rien à dire. Dès le lendemain, elle décide d’entrer en analyse, à la différence près que ne voulant pas faire erreur sur la personne, elle aura trois analystes en parallèle. Mais là comme dans les dîners il faut parler, avoir quelque chose à leur dire et Valentine doit illico romancer sa vie en névroses et en traumas qui l’obligeront à tenir une comptabilité des symptômes qu’elle confie à chacun pour ne pas se couper. On verra qu’on ne joue pas gratuitement avec l’inconscient, même à 50 euros la séance...

Madame Greuse a aussi bien des soucis mais elle, avec ses femmes de ménage. Du moins c’est ce que pense sa voisine qui passe son temps à l’épier car son comportement est plutôt bizarre. Madame Greuse est à la recherche de la perle capable en une poignée d’heures de laisser une maison impeccable, et la trouvera en la personne d’une étudiante qui ne tarde pas à comploter avec la voisine. Car il y a là un mystère, pourquoi Madame Greuse a-t-elle besoin d’une femme de ménage alors que sa maison ne souffre d’aucune poussière ou désordre? Ce Fenêtre sur cour ancillaire n’est pas sans réserver des révélations fort étranges dont rend compte seulement en partie l’adage portugais «Uma empregada de limpeza nao tem uma empregada de limpeza» («une femme de ménage n’a pas de femme de ménage»).

Mais place à la poésie. Depuis le 1er avril 1992, Jacques Jouet écrit un poème par jour. Il y a eu ainsi les célèbres poèmes de métro, cette fois-ci il a décidé de les écrire à partir des Pensées de Pascal. La célèbre édition Brunschvicg qui au siècle dernier faisait partie du paquetage du futur bachelier a offert à l’oulipien une contrainte car les Pensées y sont organisées en 925 fragments qui donnent ici naissance à autant de poèmes. Il ne s’agit pas d’une apologie moderne de la religion chrétienne, ni de méditations sur les infinis de la mécanique quantique, mais d’un dispositif où Jouet doit néanmoins relever le gant en mettant Dieu entre guillemets. Confronter l’un et l’autre texte fait partie de la règle tacite de ce jeu et souligne la virtuosité de Jouet. Le livre fait partie du projet PPP (Projet poétique planétaire) qui, depuis 2013, a recruté d’autres poètes et intensifié le poème par jour, en en faisant parvenir un, toujours original, à un humain de la planète pris au hasard. Regardez votre courrier, on ne sait jamais!

Jean-Didier Wagneur, Libération, 8 juin 2024