Ce livre parle de mai 1968.
Deux personnages occupent la scène : Stéphane et Miss Nobody Knows. L’un et l’autre sont désespérés. Mais tandis que l’un ment, raconte et se raconte des histoires, l’autre fait de son angoisse un moteur pour elle-même, peut-être, pour les autres sûrement. Pour la narratrice, par exemple, qui, on peut l’imaginer, écrit ce livre à cause d’elle.
Il s’agit à la fois d’une évocation et d’une enquête.
Évocation de la grande grève de 1968. » Quelque chose se passe. » L’espoir, l’attente, la reprise, la déception, ou la stupeur,...
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Ce livre parle de mai 1968.
Deux personnages occupent la scène : Stéphane et Miss Nobody Knows. L’un et l’autre sont désespérés. Mais tandis que l’un ment, raconte et se raconte des histoires, l’autre fait de son angoisse un moteur pour elle-même, peut-être, pour les autres sûrement. Pour la narratrice, par exemple, qui, on peut l’imaginer, écrit ce livre à cause d’elle.
Il s’agit à la fois d’une évocation et d’une enquête.
Évocation de la grande grève de 1968. » Quelque chose se passe. » L’espoir, l’attente, la reprise, la déception, ou la stupeur, plutôt. Miss Nobody Knows en est comme la figure vivante. Elle ne cesse de poser des questions, les questions. Elle disparaît comme elle est apparue, sans explication ni justification. Elle reviendra.
L’enquête, elle, concerne le suicide de Stéphane, oncle de la narratrice, brillant publicitaire, enfant apparemment gâté des trente glorieuses, et en même temps, nœud de contradictions, mauvaise conscience, une angoisse à faire payer aux autres. Comment, pourquoi, est-il mort ? Qui était-il ?
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Miss Nobody Knows a de jolies idées, comme inventer des choses parfaites, une journée idéale. Comme la narratrice, elle cherche quelque chose et ne sait pas ce que c’est. Mais elle lui paraît plus présente au monde, simplement parce qu’elle est une autre. C’est le fil qui court dans ce livre si fluide, mélancolique. Où s’est enfuie la présence aux choses ? Cette sensation qu’il y avait dans la grève : « Tout arrive, tout peut arriver, c’est le présent, le mode se creuse et enfle, et les parois reculent, laissent la place, et c’est maintenant, et maintenant, et maintenant. »
Geneviève Brisac, Le Monde, 24 mai 1996
Kaplan depuis mai
L’un croyait tout comprendre, l’autre voulait tout voir. S’appuyant sur deux personnages opposés, Leslie Kaplan ressuscite un peu de Mai 68.
Deux personnages, deux pôles entre lesquels le roman circule jusqu’à ce que la pensée se fixe. Marie, alias Miss Nobody Knows, rencontrée dans un café, venue de nulle part et bientôt disparue, a posé ses valises ( « en septembre, après les événements » ) chez la narratrice, dont le jeune oncle, Stéphane, se pend en mai 69. Qui est responsable, et pourquoi est-il mort ? Peut-être représente-t-il une idée à combattre, une vision du monde pour laquelle l’auteur imagine une incarnation afin de l’assassiner, car elle est mortifère.
C’est Miss Nobody Knows la plus vivante, elle sait poser les bonnes questions, précises, non générales, non syndicales : « Le mur, comment il était ? La femme blonde ? Le contremaître ? La pause à midi ? » Parler avec elle permet de ramener à la surface des images, des portraits, des récits, la substance même d’une époque pendant laquelle on aura, justement, beaucoup parlé, mais dont on ne sait plus quoi dire s’il s’agit de traquer les buts, les conséquences, les revendications. La grève, l’occupation : Leslie Kaplan évite d’écrire « 1968 », label réducteur renvoyé à la périphérie du livre, sur la quatrième de couverture.
Stéphane publicitaire, pionnier de la dérision, croit maîtriser son rôle dans la société du spectacle. Pour lui, « rien n’avait jamais lieu », contrairement à Marie l’errante, dont l’auteur dit ; léger glissement poétique, qu’ « elle était un lieu ». Stéphane aurait pu s’appeler Mister I Know Everything. On apprend peu à peu la sincérité de son intérêt pour les ouvriers de mai, et qu’il a eu l’intuition de la seule chose à savoir : « Pendant la grève, je m’en rends compte, j’ai retrouvé le plaisir de l’ignorance. » Quand il revient en arrière pour détruire l’illusion, c’est de son désengagement qu’il meurt. « J’ai menti toute ma vie » est l’ultime message, à partir de quoi l’enquête romanesque commence.
Que s’est-il passé dont la déception provoquée par Stéphane soit la contradiction absolue ? Rien d’autre que le sentiment irréductible qu’il se passe quelque chose. Ce roman est une brèche (« tout est signe, tout a un sens ») ouverte dans l’univers infiniment fou cerné par le premier livre de Leslie Kaplan, L’Excès-l’usine. Les machines arrêtées, les gens s’approprient l’espace, dansent, sortent pique-niquer, accueillent des visiteurs, étudiants, agriculteurs, anciens prisonniers, sans aucun préjugé, sans autre objectif que l’énergie de l’action présente, d’où le titre Depuis maintenant, et le message qui passe : « Une sorte de retour dans les territoires sans hiérarchie de l’enfance, et en même temps, la prévision, il faut penser. Tenter de le faire. »
Claire Devarrieux, Le Monde, mai 1996