— Paul Otchakovsky-Laurens

Bye Bye Babylone

Lamia Ziadé

Bye Bye Babylone est la version longue (comme l’on dit au cinéma) du premier livre de Lamia Ziadé, paru il y a dix ans, avant ses deux succès chez P.O.L : Ô nuit, ô mes yeux (2015), et Ma très grande mélancolie arabe (2017). Cette nouvelle édition, dans un nouveau format, est en réalité un nouveau livre, avec de nombreux nouveaux dessins inédits (une cinquantaire de nouveaux dessins), un texte entièrement revu et augmenté. Beyrouth 1975-1979 : une petite fille observe, raconte l’avancée imparable d’un conflit qui va ravager la Babylone chatoyante qui l’a vue naître. « Dans ce livre il y a Beyrouth, en feu, en flammes, en...

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Traductions

Arabe : Mauzoun | Espagnol : Sexto Piso

La presse

Lamia Ziadé, Liban mon Liban.


L’artiste libanaise, plasticienne et dessinatrice, compose une autobiographie originale en romans graphiques, sa vie se confondant avec celle du Proche-Orient depuis les années 1970.


Elle avait particulièrement hâte de rejoindre Beyrouth, en cette toute fin de mois. Lamia Ziadé, qui réside à Paris, retourne comme de nombreux Libanais plusieurs fois par an dans son pays natal pour de longs séjours, mais ce voyage-ci prend une coloration différente, avec la crise politique qui agite le pays depuis le 17 octobre. Moins inquiétante que beaucoup d’autres crises du passé, avec le goût plus léger de la liberté revendiqué par la jeunesse du pays. Malgré tous ses drames et traumatismes, « le Liban, pays des nuances et des paradoxes, arrive à garder cette joie », se réjouit Lamia Ziadé. Née à Beyrouth en 1968, elle y a traversé la guerre, y restant jusqu’à ce que survienne la nécessité de suivre des études d’art graphique à Paris, à 18 ans.
Débutera vite une carrière artistique chez le couturier Jean-Paul Gaultier, pour qui elle dessine des imprimés textiles. Son enfance sera comme sur imprimée par la guerre du Liban, comme peut l’être un motif sur un tissu. C’est cette histoire conte le superbe roman graphique qui vient de paraître, réédition augmentée de son premier livre, paru en 2010. Parallèlement à une carrière de plasticienne, exposant dans des galeries. Lamia Ziadé a publié deux autres volumes consacrés au Proche-Orient, et à cette histoire singulière recomposée par ses crayons colorés : Ô nuit, ô mes yeux, en 2015, entre les cabarets du Caire, les palais de Damas, les rues de Beyrouth et Jérusalem, dans le glamour d’une époque chantée par Oum Kalthoum ou Fayrouz ; et Ma très grande mélancolie arabe, en 2017, qui osait un martyrologe politique engagé à travers les portraits de figures célèbres ou anonymes, victimes et assassins ayant porté ou subi la guerre. « Dans ce livre, il y a des ruines et des martyrs, des vestiges, des temples, des sanctuaires (...), y écrivait-elle. Il y a des condamnés à mort. Il y a des miliciens et des dictateurs, des fedayins et des moudjahidins, une infirmière kamikaze, une miss univers et un prince rouge, des émirs, des sultans, des pachas, des califes, des patriarches et des poètes. Il y a le style, la flamme, la passion, l’idéal, la cause. Il y a Septembre noir et la bataille de Karbala, la corniche de Beyrouth et le discours d’Alexandrie, la tête de Jean-Baptiste et celle de l’imam Hussein. (...) C’était une danse macabre. Il y a un siècle au Proche-Orient. »
Peut-être pense-t-elle qu’elle est dessinatrice, peintre, plasticienne avant d’être écrivaine? Ce sont pourtant des textes très assurés et éclairants, souvent poignants, avec la juste distance d’humour et de regard faussement naïf pour accompagner ses dessins. Frappe le contraste fécond entre l’imaginaire de l’enfance, l’innocence des plaisirs simples et l’irruption violente de la guerre. Ainsi cette page faisant voisiner le papier cadeau du maga sin de jouets et un combattant kalachnikov à la main. Ou le récit du massacre de la Karantina, en 1976, bidonville du nord de Beyrouth où vivaient Kurdes, Palestiniens et Libanais du Sud, qu’elle apercevait sur la route de Kattine pour rejoindre la rituel de la « tournée des sept églises » qu’elle a dessinées. « C’est un folklore que j’adore, raconte Lamia Ziadé, dont un grand-oncle était évêque de Beyrouth. La semaine de Pâques au Liban est un moment magnifique : le lavement des pieds, la messe de la Résurrection... C’est dans ces traditions que se manifeste pour nous la foi. » Dans ce livre foisonnant d’anecdotes, de bonheurs familiaux et de Grande Histoire, le Liban est accessible dans un hier et un aujourd’hui mêlé, « vrai paradis, qui partira en fumée, comme tout le reste », résume-t-elle. En exergue d’un de ses livres, sur les couvertures desquels s’ouvrent de grands et beaux yeux plein de larmes, figurait une citation de l’écrivain libanais Amin Maalouf, que l’auteure semble vouloir faire sienne : « Il n’est ni botaniste, ni agronome, ni paysagiste et rien dans ce jardin ne lui appartient en propre. Mais c’est là qu’il habite avec les personnes qui lui sont chères, et tout ce qui pourrait affecter cette terre le concerne de près. » Lamia Ziadé offre une vision du Liban contrastée, entre l’imaginaire de l’enfance et la violence de la guerre.


Sabine Audrerie, La Croix, 07 novembre 2019



Des obus et des ballons


A propos des manifestations qui ont mobilisé récemment une grande partie du peuple libanais, Le Mondedu 21 octobre notait : « Jamais la population n’a ressenti de manière aussi douloureuse le décalage entre l’image glamour du Liban et la réalité du quotidien, marquée par un taux de pauvreté de 35 %, des pénuries à répétition d’eau et d’électricité et des infrastructures en déliquescence. » Ce « jamais » n’inclut évidemment pas la guerre dont a souffert le pays pendant plus de quinze ans après que, le 13 avril 1975, un accrochage entre Palestiniens et conservateurs chrétiens a déclenché les hostilités. Pour les Libanais qui, jusque-là, voyaient leur pays comme « à la fois la Suisse, le Paris, le Las Vegas, le Monaco et l’Acapulco du Moyen-Orient », le manque de tout s’est fait si cruel que prendre une douche est devenu « un luxe » et qu’à l’Hôtel-Dieu de Beyrouth, parmi des violences sans répit, on opérait à la lueur d’une bougie.


Lamia Ziadé raconte les premiers actes de cette tragédie dans Bye Bye Babylone, Beyrouth 1975-1979, souvent présenté comme un roman graphique lors de sa parution en 2010, mais qui, par la précision des souvenirs personnels et de la chronologie historique, s’apparente bien plutôt à un récit autobiographique – autobio-graphique, si l’on veut –, ici réédité dans sa version longue, enrichie d’une cinquantaine de dessins. Le caractère hybride de cet ouvrage original vient de ce qu’il mêle non seulement texte et dessins, mais aussi deux points de vue différents formant un seul regard, celui de l’auteure, artiste franco-libanaise née en 1968 à Beyrouth, ville que ses parents, « des Orientaux suicidaires », n’ont pas voulu quitter. L’avancée de l’horreur nous apparaît donc à travers les yeux, les sensations et les frayeurs d’une petite fille de 7 ans qui grandit au milieu des bombardements, et simultanément la complexité du conflit sociopolitique nous est expliquée et commentée par Lamia Ziadé adulte, forte d’une documentation exceptionnelle parmi laquelle les livres de Joseph Chami, « le fantastique site Facebook "La guerre du Liban au jour le jour" » et divers reportages écrits ou filmés.


Ce dispositif narratif à deux entrées permet au lecteur tantôt de s’identifier à la sensibilité enfantine en partageant ses émotions, tantôt de s’en éloigner grâce à un récit plus factuel ou volontiers ironique. Encore n’est-ce pas si binaire, puisque la fillette fait souvent preuve d’un détachement teinté d’humour ou d’une puissance vitale que bien des adultes pourraient lui envier. Les dessins nous invitent à adopter essentiellement sa perception : les couleurs très vives, le trait enfantin donnent au livre sa tonalité majeure, même si le gris et le noir nous montrent aussi la mort, telles ces armes guerrières – la Kalachnikov AK-47, le Tokarev, le G3, le FAL, le MAT – comme sorties d’un catalogue de vente ou d’un inventaire funèbre, avec références précises en bas de page. En ouverture, le premier dessin représente déjà un Bazooka, mais c’est le nom d’un « bubblegum » qu’apprécie beaucoup la petite fille. Tout son univers d’enfant, l’atmosphère heureuse de Riviera consumériste avec lunettes de soleil, est confronté, souvent sur la même page ou en vis-à-vis, à la destruction et à la barbarie : les couleurs d’un treillis militaire sur un homme armé se retrouvent sur une affiche de publicité pour la limonade 7-Up ; la dégustation d’un sirop d’eau de rose voisine avec des images ensanglantées de têtes et de bras coupés à la hache ; le rouge des ballons et des balançoires est aussi celui du sang, des explosions et des incendies qui ravagent la ville.


Le livre, dans son génie de la juxtaposition, dans l’énumération des joies perdues et des malheurs féroces, des noms propres et des microsouvenirs, a quelque chose, en plus violent, du Je me souviens de Perec ou du poème Il y a d’Apollinaire, écrit pendant la première guerre mondiale. « Dans ce livre, (...) il y a des croix et des turbans, des chemises hawaïennes et des sahariennes. Il y a les néons de Hamra et le hamburger du Holiday Inn, la bataille des hôtels et le massacre des camps, l’incendie des souks et le pillage de la rue des Banques (...). Il y a des bulles de savon, une panoplie d’Indienne et ma collection d’éclats d’obus. Il y a le magasin de mon grand-père et le foulard en soie de ma grand-mère, la Nivea de ma nounou et le Petzi de Walid. » L’efficacité de l’illustration l’emporte souvent sur celle du texte. Ainsi, quand l’auteure écrit que tous les protagonistes politiques du conflit lui « font peur, très très peur » et « hantent [s]es nuits », le lecteur comprend plus concrètement son effroi grâce aux dessins de chimères monstrueuses qui, griffes sanglantes et langues fourchues, ont les têtes de Yasser Arafat, chef de l’Organisation de libération de la Palestine, de Bachir Gemayel, chef maronite des miliciens des Kataëb, ou d’Hafez Al-Assad, le président syrien de l’époque.


Les autres récits illustrés de Lamia Ziadé, O nuit, ô mes yeux et Ma très grande mélancolie arabe (P.O.L, 2015 et 2017), ont par la suite confirmé la force active d’une forme artistique au succès mérité, où mots, dessins et peintures créent l’album des cauchemars et des jours qui font à la fois son histoire et celle du monde.


Camille Laurens, Le Monde, novembre 2019



Sous les obus, l’enfance. Lamia Ziadé dessine la déroute à Beyrouth, en mâchant un Bazooka


Voilà un livre d’un genre hybride, qui combine texte et dessin de manière inhabituelle. Disons que c’est un récit autobiographique illustré, qui raconte la guerre du Liban vue de Beyrouth par une petite fille qui a 7 ans au début du conflit en 1975. Bombardements et fêtes de famille, miliciens et vieilles parentes protégeant leurs bibelots, friandises d’enfants et corps démembrés par la barbarie des combattants, toutes ces images nous sont montrées par Lamia Ziadé, devenue adulte, peintre et graphiste, avec une feinte désinvolture et un vrai humour.


Ketchup. Le livre s’ouvre sur un Bazooka, normal pour un livre de guerre, sauf qu’il s’agit de son chewing-gum préféré. Les couleurs éclatantes des premières pages sont un hommage ému aux produits de l’industrie alimentaire américaine : marshmallows Kraft, cacahuètes Planter’s, Smacks de Kellog’s, ketchup Lilly’s... autant d’images d’un bonheur occidental. Lamia Ziadé nous explique que les Beyrouthins sont persuadés que leur ville est à la fois « la Suisse, le Paris, le Las Vegas, le Monaco et l’Acapulco du Moyen-Orient ». Elle ajoute que, des terrasses où la famille va « prendre un banana split, on ne voit pas les bidonvilles chiites et les camps palestiniens. Et, de toute façon, les lunettes de soleil empêchent de voir la crasse ».


La fin de l’innocence a une date précise dans la vie de la jeune Lamia. 13 avril 1975. Au retour d’un pique-nique dominical (balançoires dans le jardin, robe à smocks en vichy rouge), la voiture familiale se retrouve au milieu d’hommes en armes. Crépitements des mitraillettes, panique, cris, flammes, « c’est parti, nous entrons dans l’euphorie de la guerre ». Lamia Ziadé parle des armes automatiques avec la même familiarité que des bonbons de son frère ou des parfums de sa mère. FAL, M16, AK 47 (« le joujou de tout le monde »), Slavia (arme des Palestiniens, avant de devenir l’arme de ceux qui les tuent, les Kataëb), B7 soviétique (une arme antichar utilisée localement comme arme antipersonnel), char 48 (qui passera des mains de l’armée, à celles des Kataëb, des Mourabitoun, puis d’Amal, à la faveur d’un enchaînement de massacres). Elle fait aussi défiler une magnifique série de portraits de miliciens de toutes convictions et religions, qui ont en commun Ray Ban, moustaches et chaînes en or. Seul un expert peut dire qui est plutôt ceinture Gucci et qui plutôt béret ou keffieh. Tout est d’une grande précision sociologique, et en même temps discrètement et atrocement ironique.


Dans un style qui évoque la naïveté d’un crayon d’enfant, Lamia Ziadé dessine aussi la collection d’éclats d’obus qu’elle ramasse chaque matin avec son frère sur le toit de la maison comme d’autres des coquillages à marée basse, ou Beyrouth la nuit dans les faisceaux croisés des projecteurs ennemis.


« Avec le samedi Noir, l’heure des massacres et de la terreur va prendre un nouvel essor », annonce-t-elle, avec la satisfaction d’un commentateur de foot décrivant un coup de boule. Les Libanais font leurs valises, « laissant le pays aux seigneurs de la guerre, aux assoiffés de sang et aux trafiquants en tous genres. Bien que n’appartenant à aucune de ces trois catégories, mais à une quatrième, celle des Orientaux suicidaires, mes parents n’ont jamais voulu partir. Ce qui me permettra de passer une enfance rythmée par des événements funestes » : massacres, champagne sabré pour fêter la destruction d’un camp, assassinats et enlèvements.


Sifflement. Comme tous les Beyrouthins, la jeune Zadia devient experte en décryptage de bombardements. Un sifflement strident, c’est rassurant parce que ça veut dire que l’obus passe au-dessus de la tête et se dirige donc plus loin. Une détonation sourde de « départs », rassurant aussi parce que ça annonce un « obus que notre camp destine aux autres ». A croire que tous les bruits de bombardement sont rassurants. Quand apparaissent des dessins au feutre, des images en noir, blanc et rouge, c’est pour décrire les horreurs et cruautés que les camps s’entre-infligent : immeubles incendiés, corps traînés par des voitures jusqu’à ce que mort s’ensuive, croix dessinées au couteau sur la peau... Mais tout ça n’est qu’un début, la guerre durera encore onze ans.


Natalie Levisalles, Libération, décembre 2010



L’air de la guerre


On ne s’en est pas aperçu tout de suite : Bye Bye Babylone est une réédition. Il était sorti une première fois, discrètement, chez Denoël Graphic en 2010. Aujourd’hui, il se lit comme le troisième tome d’un travail plus vaste, celui que Lamia Ziadé a entrepris autour du Moyen-Orient comme territoire des passions. Paru chez P.O.L en 2015, Ô nuit ô mes yeux racontait l’Orient des chanteuses et chanteurs de cabaret, leurs voix se cassant systématiquement sur leur destin. Deux ans plus tard, avec ce même alliage de dessins bigarrés, avec des textes sombres et aiguisés, Ma très grande mélancolie arabe prenait de front l’histoire politique, de Nasser à la guerre civile libanaise, et comptait les rêves effrités, fracassés, recouverts par le bruit des armes – un livre que l’on refermait en pleurant. En se souvenant d’avoir fait ce rêve nous aussi, d’y croire encore, même si on s’en est voulu, certains soirs, de s’être résigné à le voir échouer systématiquement.


Bye Bye Babylone ressort, donc. L’ensemble forme désormais un arc, et au milieu de ce vaste travelling dans le XXe siècle, il est le volume qui s’attarde soudain sur un pays, une période plus resserrée : le Liban de 1975 à 1979 – le premier temps d’une guerre civile qui durera jusqu’en 1990. Ça n’en rend pas la méthode plus simple : comment raconter une guerre menée non par deux ou trois camps adverses, mais par une trentaine d’acteurs, tour à tour alliés et ennemis jurés, motivés par des raisons chacune différentes et perdus dans une mécanique d’horreur pure d’une violence telle qu’elle a fini par recouvrir la raison de cette guerre – mais depuis quand une guerre a-t-elle besoin d’une raison ? Elle est absurde. Sa couleur est celle de la déflagration, du blanc aveuglant, du rouge sang. Son odeur est celle de l’insoutenable et son bruit, assourdissant. Non, aucune raison à cela.


En apparence, Bye Bye Babylone est un livre simple, enfantin : le récit de la guerre par une petite fille qui n’a pas 10 ans quand le conflit éclate, un dimanche après-midi alors que Lamia, son frère et ses parents étaient allés déjeuner en famille. En réalité, c’est un livre autrement plus complexe, car pour ne pas être partisan, il choisit de passer par l’autobiographique, raconter, à bonne distance de la politique, la guerre de chaque Libanais, peu importe son camp, sa croyance, la provenance de son arme : ­comment aller à l’école ? quel type de radio acheter pour écouter les infor­ma­tions tout en courant pour se cacher dans les abris ? quel stock de piles constituer pour quand l’électricité sera coupée ? comment traverser une rue couverte par les tireurs embusqués ? comment reconnaître un bruit d’obus et quel chemin prendre lorsqu’on l’entend ? Et sous chacun de ces dessins pleins de vies – mystérieusement pleins de vie – aux couleurs non pas naïves mais survivantes, une question abyssale : un événement explosif qui dure quinze ans est-il encore un évènement ?


Philippe Azoury, Vanity Fair, décembre 2019-janvier 2020



Lamia Ziadé, guerre et pop


L’artiste libanaise raconte les conflits du Moyen-Orient dans des livres aux dessins colorés et aux textes plus politiques qu’il n’y paraît.


Avec elle, la guerre fait pop. Orange acidulé des vêtements seventies, rose fuschia du sang qui s’écoule, rouge clinquant des paquets de cigarettes... Depuis une dizaine d’années, Lamia Ziadé déroule l’histoire tragique du Moyen-Orient dans des livres en Technicolor, des récits étoffés d’illustrations à la gouache qui rappellent les toiles de Warhol ou de Tom Wesselmann. Cette terre endeuillée à laquelle elle donne des teintes éclatantes, c’est la sienne. Lamia Ziadé est née à Beyrouth, en 1968. Elle a 7 ans quand éclatent les premiers affrontements entre milices ennemies au Liban. Une enfance sous les bombes qu’elle a racontée dans « Bye Bye Babylone », paru pour la première fois en 2010 et réédité aujourd’hui, enrichi de nouveaux textes et dessins. Ses souvenirs candides de fillette - les emballages des chewing-gums Bazooka, les hamburgers de l’Holiday Inn, les manuels d’arabe - se télescopent avec les images hyperréalistes d’immeubles en flammes et d’hommes en armes, de Kalach et de cadavres. Elle évoque aussi les jours de combats intensifs, où elle et son petit frère Walid restaient enfermés dans l’appartement familial de Beyrouth-Est. Leur mère les occupait en leur faisant faire du découpage, du collage, de la peinture. La naissance d’une vocation. « J’ai su très tôt que je voulais faire du dessin mon métier », dit Lamia Ziadé dans son appartement parisien. Les murs ressemblent aux pages de ses livres, blancs et rehaussés de tableaux inspirés de vieux films égyptiens. Partout, des éclats de couleurs : coussins bleus et fleuris, bonbons pastel servis avec le café libanais, tapis aux tons chauds. « Me frotter aux vrais Parisiens me fichait la trouille. »


Lamia Ziadé est arrivée à Paris après son bac, en 1987, pour intégrer Penninghen, une école d’art réputée. « Mes parents m’ont presque forcée à partir, se souvient-elle. Je connaissais très bien Paris, ses rues et ses cinémas, mais me frotter aux vrais Parisiens me fichait la trouille. Et cela me semblait étrange de quitter Beyrouth alors que la guerre continuait. Quand il y avait des bombardements, c’était bizarre pour moi de me trouver à Paris. J’aurais préféré être là-bas. » Elle envisage de suivre une formation à l’école de la rue Blanche pour devenir décoratrice de théâtre, mais craint que ce désir ne passe pour un caprice dérisoire en regard de ce qui se joue dans son pays. Elle rentre donc dans la vie active, travaille un an chez le couturier Jean Paul Gaultier, puis comme illustratrice free-lance. En 2001, elle signe les dessins du livre érotique de Vincent Ravalec « l’Utilisation maximum de la douceur » (Seuil). Dans les mêmes années, ses oeuvres sont exposées à la galerie Kamel Mennour. Son éditeur l’encourage à écrire sur sa jeunesse libanaise, mais elle ne se sent pas prête. Tout change en juillet 2006. « J’avais mes billets d’avion pour Beyrouth. Le conflit avec Israël a éclaté la veille de mon départ. J’étais bloquée à Paris, très inquiète et surtout révoltée. J’ai commencé à écrire "Bye Bye Babylone" cet été-là et je n’ai plus arrêté de parler de la guerre. »


Cinq ans après « Bye Bye Babylone » paraît ainsi « Ô nuit, ô mes yeux », sur les splendeurs et misères des grandes divas du Proche-Orient - Fairouz, Oum Kalthoum... -, puis, en 2017, « Ma très grande mélancolie arabe », un « voyage dans le deuil et la destruction », son livre le plus politique car, dit-elle, « il ne correspond pas à la façon de voir occidentale » : « J’ai adoré me replonger dans le Liban des années 1970. J’ai une certaine nostalgie de cette époque même si je n’ai aucune envie que la guerre recommence. Au Liban, il n’y a pas d’archivage institutionnel, mais, depuis quelques années, les sites et les blogs qui entretiennent cette mémoire se multiplient. »


Aujourd’hui, c’est le présent qui la passionne, la révolte spectaculaire qui a récemment secoué le pays du Cèdre et poussé le gouvernement à la démission. « Pendant quinze jours, je n’ai fait que regarder les nouvelles de "l’Orient-le-jour" sur mon téléphone, raconte-t-elle. J’étais très excitée, tout en ayant peur. Peur que ça se termine en guerre civile. Ça tient toujours à un fil, au Liban. Peur aussi que ça retombe comme un soufflé. » Avant de pouvoir se rendre sur place, Lamia Ziadé a réagi aux événements avec un dessin posté sur Instagram, des flammes orangées assorties de cette légende : « Mettre le feu. »


Elisabeth Philippe, L’OBS, novembre 2019



Bye Bye Babylone. Beyrouth, l’innocence et la fureur


Le livre se présente comme un carnet de souvenirs illustrés, partagé entre dessins aux traits naïfs et récit factuel du quotidien d’un enfant dans la guerre, créant une terrible confrontation entre l’horreur et l’innocence.


Beyrouth 1975. Lamia a 7 ans. Elle aime les chewing-gums Bazooka, s’extasie devant le Spinney’s, un supermarché ultramoderne et ses rayons dignes de ceux qu’on trouve à Londres ou à New York. Pendant ce temps-là, les milices s’arment. Et le conflit éclate officiellement le 13 avril par un accrochage entre des Palestiniens du camp de Tal et Zaatar et les phalangistes de Pierre Gemayel.


Avec un graphisme très inspiré par le pop art, Lamia Ziadé raconte le Liban de son enfance, où les souvenirs familiaux se mêlent à l’histoire de cette guerre fratricide. Ce livre patchwork mêle légèreté et innocence enfantine à la gravité du conflit. Aussi s’autorise-t-il une description quasi clinique des armes avec force détails sur la provenance, les atouts et les utilisateurs privilégiés de l’AK47, de la Slavia, de l’Uzi ou du lance-roquettes RPG. Mais il offre également un tableau très précis des forces en présence donnant un aperçu des tendances multipolaires et du nombre pléthorique des combattants. Alternant couleurs et noir et blanc, traits précis et dessins naïfs, Bye Bye Babylone apparait comme le récit de la fin d’un rêve. C’est aussi un roman d’apprentissage foisonnant, passionnant et incontournable, qui derrière son apparente simplicité, cache la complexité de ce pays fascinant.


L’Humanité, décembre 2010

Agenda

Du 25 septembre 2025 au 1er mars 2026
Lamia Ziadé à la Fondation Boghossian de Bruxelles – Exposition FIRE

Fondation Boghossian
Villa Empain

Avenue Franklin Roosevelt, 67
1050 Bruxelles
Belgique

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Du 17 octobre 2025 au 11 janvier 2026
L'oeuvre de Lamia Ziadé au musée Sursock (Beyrouth)

Musée Sursock,

Greek Orthodox Archbishopric Street,

Beirut 2071 5509,

Liban

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Vendredi 7 novembre à 18h30
Lamia Ziadé à la librairie Le Tome 47 (Vitry-sur-Seine)

47, avenue Guy Môquet,

94400 Vitry-sur-Seine

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Mercredi 12 novembre à 19h
Lamia Ziadé à la librairie La Régulière (Paris)

43, rue Myrha,

75018 Paris

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Jeudi 13 novembre
Lamia Ziadé à la librairie Le Cheval Vapeur (Vanves)

71, rue Jean Jaurès

92170 Vanves

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Vendredi 14 novembre à 19h
Lamia Ziadé à la librairie Le Square (Grenoble)

Le Square

2, place Docteur Léon Martin

38000 Grenoble

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Mardi 18 novembre à 19h
Lamia Ziadé à la librairie Gallimard (Paris)

15, boulevard Raspail,

75007 Paris

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Vendredi 12 décembre
Lamia Ziadé à la librairie Le Verre Liseur (Paris)

82, boulevard Saint-Michel,

75006 Paris

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Vidéolecture


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