La révélation touche Cassandre Mercier, professeure de français au collège, en ouvrant Le Bilan, un livre-somme sur le dérèglement climatique, inventaire des dernières ressources terrestres. Et en cela, peut-être, la « dernière oeuvre ». C’est aussi, dans le roman, le catalyseur de multiples désarrois sociaux et intimes. Croyant tenir entre ses mains les « dernières écritures », Cassandre se lance dans une lecture obsessionnelle du livre-monstre qu’elle impose à ses élèves. Très vite, collègues, responsables de l’Éducation nationale, parents, se retournent contre elle. Les parents d’une...
Voir tout le résumé du livre ↓
La révélation touche Cassandre Mercier, professeure de français au collège, en ouvrant Le Bilan, un livre-somme sur le dérèglement climatique, inventaire des dernières ressources terrestres. Et en cela, peut-être, la « dernière oeuvre ». C’est aussi, dans le roman, le catalyseur de multiples désarrois sociaux et intimes. Croyant tenir entre ses mains les « dernières écritures », Cassandre se lance dans une lecture obsessionnelle du livre-monstre qu’elle impose à ses élèves. Très vite, collègues, responsables de l’Éducation nationale, parents, se retournent contre elle. Les parents d’une élève accusent Cassandre de harcèlement moral. Son procès démarre comme un grand règlement de comptes, où s’éprouve une vérité : on ne peut imposer la fin. Enfance, mariage, carrière, les choses ne se liquident pas comme ça. Son procès est à la fois celui d’une missionnaire en quête d’horizon, d’une trentenaire en mal d’amour après une rupture amoureuse. Trois protagonistes se mêlent à son destin. Son avocate, brute de travail étanche aux désordres du monde mais hantée par un passé violent. L’avocat des parents, quarantenaire en plein divorce, qui refuse d’admettre qu’une vie de famille puisse se terminer. Et un scientifique, un des auteurs du Bilan, qui veut alerter sur la décompensation psychique qui guette à la lecture de ces pages. Il en a fait les frais et regrette d’avoir signé Le Bilan.
Hélène Zimmer s’inspire des pressions conservatrices actuelles sur l’enseignement, des débats sur la liberté pédagogique et du rôle des adultes face à la crise écologique, lesquels entrent alors en résonance avec la part meurtrie de ses personnages. La conscience de l’inéluctable peut-elle ouvrir sur une promesse de réparation ? C’est aussi une évocation puissante et originale de la fonction des écritures dans l’histoire humaine. À quoi pourraient ressembler « les dernières écritures » ? Les mots sont-ils un rempart au sentiment de « fin du monde » ?
Réduire le résumé du livre ↑
Dépasser la fin
Sorti en 2017, Fairy Tale, l’impressionnant premier roman d’Hélène Zimmer, dressait le portrait singulier de Coralie, une jeune mère plongée dans l’enfer de la vie ménagère qui voudrait croire au conte de fées proposé par une émission de télé qui promet de trouver un boulot à son mari, chômeur de longue durée. Après s’être essayée au roman historique (Vairon), puis intéressée au capitalisme vert et à la résistance écologique avec Dans la réserve, l’autrice revient avec Les Dernières Écritures, qui s’interroge, entre autres, sur la transmission du savoir, même quand il est terrible, et la fin, du monde et de la littérature.
Au cœur du livre, il y a la question de la finitude, confirme la romancière. Comment, en tant qu’individu, accepte-t-on que les choses se terminent, tout en continuant à vivre ?? Et les fins sont multiples dans Les Dernières Écritures. II y a la fin du monde tel que le connaît l’humanité, un monde exsangue, dévasté, où le vivant décroît, et dont une poignée de scientifiques s’est donné pour but de faire l’inventaire dans un livre-somme, Le Bilan. II y a la fin évitée in extremis d’une adolescente qui a tenté de mettre fin à ses jours, en écho à d’autres disparitions -celles du phoque moine, du rhinocéros blanc, du manchot empereur [...] de Léa Bergeron-Filippi.
Puis la fin du couple de Cassandre, professeure de secondaire, qui pour retrouver du sens décide de partager avec ses élèves l’urgence de la situation, en leur enseignant Le Bilan -et finit attaquée en justice par les parents de Léa.
Lequel restera-t-il ?
« Commencer le livre par cette rupture me permettait de dresser une analogie entre la fin du couple et de son idéal et la fin d’un monde idéal dans lequel on rêvait de vivre mais qui ne correspond plus à notre présent, et encore moins notre futur, décode Hélène Zimmer. Et puis, il y a ce Bilan du dérèglement climatique. Un titre comme une clôture des comptes, administrative, mathématique, qu’on doit intégrer, digérer, sans pour autant que cela ne nous empêche de vivre ». Ce livre-somme est un livre monstre, meurtrier presque, qui suscite le désespoir de ses auteurs comme de ses lecteurs. C’est aussi un livre qui en épuisant le vivant, puisqu’il le circonscrit dans son intégralité, figure le possible épuisement de la littérature.
« Je me suis vraiment interrogée sur le dernier livre que l’humanité pourrait conserver, assure l’autrice. Préfèrerait-elle un livre qui l’aide à surmonter la crise écologique, plutôt pragmatique, ou serait-ce une forme de littérature plus poétique qui aiderait à supporter l’insupportable ? Dans le roman, l’une des protagonistes évoque une thèse selon laquelle les premières écritures qui ont existé sur Terre étaient celles qui recensent les ressources, donc les dernières le seront aussi. Une façon d’aller au bout de l’intention originelle de l’écriture. En ce sens, peut-être Le Bilan “tue”-t-il l’acte d’écrire ? On ne peut pas aller plus loin que ça. »
Promesse de résurrection
Pourtant, à travers son livre, Hélène Zimmer réaffirme le pouvoir de la littérature. D’abord, parce qu’il en adopte plusieurs formes, celles du journal, du livre de procès, de la biographie. Ensuite, parce qu’il prend une forme polyphonique, suivant tour à tour le point de vue de plusieurs personnages. « C’est un procédé qui permet de proposer un livre qui ne soit pas théorique, et qui présente les parcours incarnés d’une réflexion. Les quatre protagonistes principaux sont autant de traversées du sujet. Ils permettent de mettre en place un débat sur la crise environnementale et la transmission du savoir à ce sujet, et d’aller au-delà de l’idéologie. II y a aussi un cinquième personnage, crucial, celui de Léa, qui face à l’incurie des adultes, pose un acte. « Léa choisit de ne pas prendre les armes, le seul constat raisonnable qu’elle dresse, c’est que pour que le monde survive, l’humanité doit disparaître. Elle est en prise directe avec la catastrophe, et sa lucidité est de tirer sa révérence, chose qu’aucun adulte responsable dans le livre n’arrive à faire. Où se place la résistance et la résilience des adultes ? Comment et pourquoi eux tiennent encore le coup ? Dans quel but et avec quelles conséquences ??
Au-delà de la fin (ou en l’attendant), l’une des thématiques principales du livre est celle de la transmission, même lorsque le savoir est inconfortable. « Cela me questionne comme citoyenne et comme parent, avoue Hélène Zimmer. Transmet-on à nos enfants des traditions qui leur permettront de se positionner dans le monde tel qu’on le connaît aujourd’hui, ou leur transmet-on des connaissances pour affronter le futur tel qu’on peut d’ores et déjà l’envisager ? La question qui devrait se poser est celle de la médiation. Les connaissances à transmettre sont déprimantes. À partir de là, comment digérer ces données pour en faire quelque chose de positif ? Cassandre réagit de manière pulsionnelle, irréfléchie. Mais on peut imaginer un cours qui soit le résultat d’une réflexion moins instinctive, basé sur des travaux d’économistes, de penseurs de l’environnement qui proposent d’autres modèles. » La médiation est justement l’un des rôles de la littérature, et le livre prend bien soin d’ouvrir des possibles. « Je fais des choix narratifs qui dépassent la fin annoncée, note l’écrivaine. Je voulais illustrer la contradiction constante, quotidienne, que nous oppose la vie. Le rire revient parce qu’il y a une part de joie, de ridicule, une volonté d’attachement, d’amour, il y a des promesses de résurrection. Je ne voulais pas accabler les personnages plus que le monde ne les accable déjà.
Aurore Engelen, Vif, août 2025
« Les Dernières Ecritures », d’Hélène Zimmer : sur fond de crise climatique
Avec son nouveau livre, l’écrivaine déjoue les attendus du roman écologiste pour livrer une fine comédie de mœurs.
Le compte à rebours était lancé : 490, 466, 459… Ces trois dernières années, le nombre de romans publiés pour la rentrée littéraire n’a cessé de reculer. Puis, cette année, voilà que les chiffres repartent à la hausse, pour atteindre 484 romans. La parution, dans ce contexte de reprise, des Dernières Ecritures, d’Hélène Zimmer, n’est pas sans ironie, puisque la romancière y joue avec le postulat que la littérature pourrait un jour atteindre son terme. A l’heure de la sixième extinction de masse, ne serait-il pas temps d’envisager une potentielle extinction de l’écriture ?
Au cœur du quatrième roman de l’écrivaine se trouve un autre livre : Le Bilan, « un bouquin écrit par une cohorte de scientifiques » et faisant l’inventaire des bouleversements environnementaux, sorte de double fictif d’un rapport du GIEC(Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Un beau jour, sans préméditation, Cassandre Mercier, professeure de français au collège, annonce à ses élèves et à ses collègues qu’elle « lâche le programme » et qu’elle fera désormais « étudier Le Bilan jusqu’à la fin des temps ». Pour l’enseignante, l’époque des métaphores est révolue : « Car direz-vous autre chose que le feu le jour où vous verrez les flammes embraser les nuages ? Parlerez-vous de brûlures d’orgueil tressées vers le ciel ? » Les grandes questions ne tardent pas à arriver dans ce roman qui joue cartes sur table et souligne consciencieusement les vertiges provoqués par sa mise en abyme inaugurale.
Ce didactisme initial se trouve toutefois rapidement déjoué. L’intrigue relègue au second plan Cassandre Mercier, accusée de harcèlement moral après qu’une de ses élèves a tenté de mettre fin à ses jours, pour se focaliser sur trois nouveaux personnages qui convergent vers le procès de l’enseignante. Entrent en scène, un par un, Céline et Thomas, les deux avocats qui s’affronteront dans cette affaire, et Bertrand, un scientifique ayant participé à la rédaction du Bilan avant d’être lessivé moralement par les conclusions de ses travaux. Rien de particulièrement remarquable chez ces trois-là, figures essentiellement domestiques, un poil falotes, dont les vies se résument à de petits imbroglios sentimentaux et émotifs. Des histoires de divorce, de burn-out, de réunions de travail ; de menues lâchetés et d’espoirs ordinaires ; d’une « part de pizza froide et molle » et de décisions importantes prises après un kouglof chez maman.
Une littérature sans emphase
Le changement de registre, qui nous fait passer d’un roman à la fois méta et politique à une forme de comédie de mœurs raillant sans cruauté les ambitions d’un trio de bourgeois, a de quoi surprendre. On s’attendait à tous les marronniers sur l’écologie, et voilà que la romancière se met à collecter du petit bois. Le geste ne réduit cependant pas les ambitions du roman, mais, au contraire, les réaffirme : en tournant le dos à la grandiloquence potentielle de son sujet, Hélène Zimmer semble chercher une littérature dénuée d’emphase dans l’analyse mi-clinique, mi-comique d’une poignée d’existences sans grande envergure. C’est qu’au fond, en dépit des défis que nous impose la crise climatique, ou peut-être du fait de leur immensité qui les confine à une forme d’abstraction lointaine, le petit théâtre des conventions continue de tourner à plein régime : « Tout s’effondrait, certes, à l’exception des rôles sociaux. »
Parangon de la mise en scène des passions sociales, une salle d’audience de tribunal sert de décor à la troisième partie au roman. Nouveau changement de registre. Le procès donne à voir la collision entre les grands enjeux environnementaux et les petites motivations personnelles. Thomas, avec sa mentalité de winner, roule des mécaniques pour se prouver qu’il vaut encore quelque chose après un divorce humiliant. Céline, transfuge de classe ayant appris à masquer ses origines modestes derrière une attitude scolaire, cite les grands auteurs. La catastrophe climatique est toujours là, mais elle n’est définitivement plus qu’une toile de fond devant laquelle chacun s’agite pour ses propres raisons. On retrouve ainsi le « tout le monde a ses raisons » de La Règle du jeu, film de Jean Renoir (1939), qui semble animer la plume d’Hélène Zimmer et qui justifie le fait de se relancer inlassablement dans l’écriture, quand bien même la littérature pourrait devenir caduque.
Pierre-Edouard Peillon, Le Monde des Livres, septembre 2025