C’est l’histoire d’une fuite et d’une quête sur cinq jours. Bébé, la jeune héroïne de ce premier roman, quitte brusquement son compagnon pour aller chercher une boîte qu’elle a enterrée dans le jardin de la maison où elle a vécu enfant. Cette boîte renferme des babioles secrètes qui, au fil du récit, se manifestent sous la forme de flashbacks.
La fuite de Bébé donne lieu à un avis de « disparition inquiétante ». Cinq jours de suspense, d’accidents, de souvenirs qui remontent à la surface, mais racontés à rebours. Le roman s’ouvre sur le chapitre 16, le dernier, où Bébé...
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C’est l’histoire d’une fuite et d’une quête sur cinq jours. Bébé, la jeune héroïne de ce premier roman, quitte brusquement son compagnon pour aller chercher une boîte qu’elle a enterrée dans le jardin de la maison où elle a vécu enfant. Cette boîte renferme des babioles secrètes qui, au fil du récit, se manifestent sous la forme de flashbacks.
La fuite de Bébé donne lieu à un avis de « disparition inquiétante ». Cinq jours de suspense, d’accidents, de souvenirs qui remontent à la surface, mais racontés à rebours. Le roman s’ouvre sur le chapitre 16, le dernier, où Bébé atteint son but et retrouve sa boîte, pour remonter dans le temps jusqu’au premier chapitre dans lequel Bébé bifurque étrangement, s’échappe d’un quotidien auquel elle ne peut plus appartenir. Pourquoi disparaître ainsi, uniquement pour retrouver une vieille boîte en métal ? Bébé n’a pas la réponse. Et ça ne l’intéresse pas. Elle vit une aventure à tiroirs. Les projectiles, ce sont des souvenirs, des traces, des objets et des mots qui déboulent dans le récit, et apparaissent sous forme d’impacts. Quelque chose n’est pas à sa place ou n’en a pas. Cette lecture à rebours permet de jouer avec le récit et les attentes du lecteur, comme dans un jeu de piste et un puzzle.
Roman virtuose, burlesque, plein d’humour, d’énigmes, de suspense, où les jeux de langage participent de la quête. Le moindre détail devient signifiant. La fuite crée un léger trouble dans le temps et l’espace, dans la vie elle-même. Le roman est une échappée reliée à un objet dérisoire et immobile mais où toute l’émotion d’une existence semble se concentrer et vibrer. L’objet de la quête est un secret, enfermé dans une boîte dont les objets modestes sont eux-mêmes des secrets en forme de souvenirs. Comme si Bébé devait quelque chose à l’enfant qu’elle a été, un pacte indicible, infime et intime. Un pas de côté qui nous propulse dans une autre dimension que tente de nous faire vivre ce récit à rebours.
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Les Projectiles, premier roman
C’est à rebours, à contresens, que l’on prend connaissance de l’histoire de Bébé. Étrangement ce n’est pas un problème, c’est même une partie du magnétisme qu’exerce ce formidable premier roman de Louise Rose, porté par une écriture dont l’énergie, les ruptures de rythme et les embardées lexicales semblent le miroir des pensées embrouillées, des sensations bouillonnantes, des émotions confuses, chatoyantes et instables qui habitent sn personnage et qui lui dictent ses actes. Bébé, donc. Perdue et déterminée. « Elle cherche une activité simple et efficace qui raccroche à l’essentiel. Compet. Quand ça ne va pas dans la vie de d’habitude, elle compte tout ce qui passe. Au travail les clients qui disent bonjour, dans la rue les voitures rouges, à la maison les taches sur la nappe, les gouttes de pluie par la fenêtre, les secondes du micro-ondes…» Et si elle n’a rien d’autre sous la main, Bébé compte ses dix doigts…
Quand on fait sa connaissance, la jeune femme est en train de franchir tant bien que mal la clôture d’un jardin, avant d’entreprendre de creuser le sol afin de retrouver un trésor enfoui sous le gazon. Un trésor d’enfant dérisoire : une boîte en carton décorée de « fleurs sui font trembler les yeux » dans laquelle, quand Bébé était petite fille et vivait dans cette maison avec d’autres enfants, elle avait rassemblé puis enterré la poignée de babioles qui lui tenaient lieu de richesses. Et qui, alors qu’elle a grandi – ou devraient avoir grandi –, pourraient désormais lui faire office de souvenirs, de mémoire, d’ancrage. Et motiver cette fantasque, minuscule, intrépide et entêtante odyssée.
Nathalie Crom, Télérama, août 2025
Une cavale à rebours pour renouer avec l’enfance
Sur ses bras nus, elle arbore des tatouages animaliers qu’elle appelle ses « créatures »: une chèvre du désert, un oiseau encadré par deux arbres, un mammifère à trois pattes. Mais aussi un bidon d’huile près du coude, pour « l’huile de coude »,parce qu’elle carbure aux jeux de mots et aux calembours – son livre en est truffé.
De son propre aveu, Louise Rose a la bougeotte. Elle arrive du Havre, où elle s’est installée il y a trois ans pour suivre le master de création littéraire. Après vingt premières années passées dans la campagne nancéienne, elle a vécu à Bourges, en Auvergne, à Grasse et à Montluçon, au gré des ruptures amoureuses, des rencontres amicales et des petits boulots. Circassienne pendant ses années de collège et de lycée, elle a été femme de ménage, cuisinière dans un établissement pour personnes handicapées, serveuse, bricoleuse polyvalente dans un tiers-lieu. Titulaire d’un CAP de cuisine, elle travaille aujourd’hui pour une société de catering (traiteur) qui nourrit les artistes dans les concerts et les festivals. « J’ai bougé tout l’été, même si c’est un métier difficile, c’est vivant, jamais dans la routine. »
La routine, c’est justement ce que fuit Bébé, le personnage des Projectiles, premier roman ludique composé comme un jeu de piste, où la chronologie est inversée. En 16 chapitres numérotés dans l’ordre décroissant, on suit la cavale échevelée d’une caissière de supermarché qui quitte son compagnon pour retrouver une boîte aux trésors qu’elle a enterrée dans son enfance. Au fil de son périple et de ses rencontres reviennent les souvenirs de la Monique et de Tonton Bermuda, sa famille d’accueil, et de leurs chiens Omelette et Magma. « Je ne sais pas trop d’où vient Bébé, elle n’a pas de visage, je n’arrive pas à lui donner de corpulence, de taille, d’âge, de couleur de cheveux », constate Louise Rose, installée dans un petit bureau des éditions P.O.L.
Du yaourt nature par la fenêtre
De son personnage, qui porte le même nom que le léopard apprivoisé dans l’Impossible Monsieur Bébé, le film d’Howard Hawks, elle dit que c’est un « pantin » dont elle tire les ficelles. Avec une dimension absurde et drôle qui évoque l’enfance malgré les angoisses et le tragique des situations. Les projectiles du titre renvoient aux yaourts nature que Bébé balance par la fenêtre alors que Boris, son compagnon, vient de gravir 42 marches pour les lui apporter. « Tu as vu, j’ai pris tes préférés », lui dit-il : cette phrase, qui se retrouve dans le dernier chapitre du roman, est l’une des premières écrites au master de création littéraire.
Avant d’y entrer, Louise Rose a étudié aux beaux-arts de Nancy : « Au lycée, j’aurais pu avoir d’excellents résultats si je n’avais pas dessiné, mais je m’ennuyais beaucoup. Les beaux-arts étaient un peu l’échappatoire pour ne pas être assise toute la journée. J’y ai passé de très belles années. » C’est là qu’elle se met à écrire, notamment après un atelier où est invité Jean Fauque, le parolier d’Alain Bashung : « J’ai commencé à faire des collages, Bashung m’a ouvert sur l’écriture. J’ai trouvé un moyen de l’intégrer à la pratique artistique sans que ce soit trop littéraire. Ensuite j’ai fait un mémoire sous forme de site Internet qui se présentait comme un plan de métro, avec plusieurs lignes de texte comme des arrêts, des rhizomes. »
Après son diplôme, elle gagne un concours de nouvelles interactives, avec des histoires à choix multiples. Entrée au master de création littéraire du Havre sur les conseils d’un ami, elle se retrouve « dans un petit cosmos de gens » qui s’écoutent et partagent leurs visions de l’écriture et de la littérature. Son tuteur, le poète Frédéric Forte, lui souffle de soumettre son manuscrit à P.O.L : « Le lendemain de la soutenance, j’ai fait quelques corrections et je l’ai envoyé. Deux jours plus tard, alors que j’étais à Barcelone avec les copains du master, j’ai reçu une réponse positive. »
Une BD en chantier
Si elle a arrêté le cirque, les pyramides humaines et la boule chinoise, Louise Rose continue la peinture, la sculpture, joue de l’accordéon et organise des soirées. Elle a aussi en chantier une BD et un nouveau livre, Mavie en slip, pour lequel elle a décroché une résidence à l’Imec (Institut mémoires de l’édition contemporaine) : « Tous les jeunes s’appellent "Ma vie", j’en ai donc fait un nom propre. Le projet parle d’amitié, de besoin de solitude, de ruptures amicales, du fait qu’on ne connaît les gens que par fragments. » En attendant les festivals et rencontres en librairie, elle termine la lecture de Trésor caché, de Pascal Quignard : « Le personnage principal s’appelle Louise, elle va enterrer son chat et déterre une boîte remplie de pièces d’or. » De quoi aborder la rentrée littéraire sous de bons auspices, à défaut d’espérer la fortune.
Sophie Joubert, L’Humanité, août 2025
Louise Rose, compte à rebours
Par où commencer?? Les Projectiles s’ouvre sur le chapitre XVI, le dernier. Si l’on raconte le début de ce roman, on racontera donc sa fin. Et si l’on choisit de parler de son excipit, on révélera sa chute. Voilà qui n’est pas simple?! Mais voilà exactement ce qu’est ce livre qui se mord la queue : un serpent. Il est fuyant, fourbe, piquant. La bête décontenance. Alors, avouons-le, il faudra accepter de ne pas le comprendre tout à fait. Les pages se lisent à rebours d’une histoire qui fluctue selon les intempérances de son auteur et de son personnage principal.
Bébé, c’est le nom de l’héroïne, vient de quitter son compagnon. Cela fait cinq jours et quatre nuits qu’elle est en cavale. Elle dort ici et là, se nourrit de café, de compotes qu’elle a chapardées et de goûters pour enfant. Sa fuite a donné lieu à un avis de «?disparition inquiétante?». Pour quelle raison a-t-elle déguerpi?? Au moment où l’on découvre la jeune femme, elle est à la recherche d’une boîte qu’elle a enterrée dans le jardin de la maison de son enfance. Que contient-elle?? Ça non plus, on ne le sait pas encore.
Mille et une embûches
Avançons. Bébé tombe d’une clôture, escalade un trampoline, elle se prend pour l’héroïne d’un thriller. Mais la réalité la frappe d’un coup. «?Deux hommes en bleu courent dans le jardin.?» Ils la somment de lever les mains. Est-on finalement dans un film de gangsters?? Bébé a une imagination débordante. Pensées catapultes. Elle nous bombarde d’images et de scènes tandis que son voyage est semé de mille et une embûches.
Alors, dans cette lecture qui avance à reculons, on comprend mieux le titre du livre. Les Projectiles, ce sont tous ces souvenirs, ces dialogues qui ont eu un impact sur elle, ce qu’elle était et ce qu’elle est devenue. Chaque détail devient une pièce dans le puzzle de la vie de Bébé pour comprendre les raisons de sa fugue. Mais il faut suivre. Car Bébé galope. Elle va vite, toujours plus vite. Elle est sauvage, naïve, paranoïaque, puérile, impulsive. Elle mange ses mots qui deviennent régressifs, jusqu’à sombrer parfois dans la phonétique. Louise Rose ne s’embarrasse d’aucune forme ni d’aucune logique. Et cette liberté est une réponse à la fuite de Bébé. «?Partir, c’est déjà une raison.?» Si son roman n’a pas de sens, Louise Rose ne nous empêche pas de lui en donner un. Au lecteur de le trouver maintenant. Sacrément insolent?!
Alice Develey, Le Figaro littéraire , septembre 2025