— Paul Otchakovsky-Laurens

Heuliez intime – 3 –

07 avril 2010, 16h47 par Patrice Robin


S., licenciée en mai 2009 : « En 1995, au moment de la Citroën Xantia, pour la première fois Heuliez a recruté des femmes. J’ai été une des premières. On était aux petits soins avec nous, jusqu’à nous donner un savon plus doux que celui des hommes pour ne pas abimer nos mains. C’était quelque chose Heuliez à cette époque, la sécurité de l’emploi, une prime d’ancienneté, le treizième mois. Mon travail c’était de mettre dix litres de carburant dans le réservoir de la voiture et de remplir le circuit hydraulique. Après les roues étaient posées et le moteur pouvait tourner. On avait la possibilité de remonter la chaîne, de prendre un peu d’avance, le temps de fumer une cigarette. Quand il passait dans l’usine, Gérard Quéveau, le patron, n’avait pas peur de venir nous serrer la main, c’est vraiment important ça pour un ouvrier. Au bout de dix huit mois, nos contrats terminés, on a été repris en intérim. J’ai continué comme ça pendant un an et demi, jusqu’à la fin de la Xantia.
J’ai été réembauchée pour la mise en fabrication de l’Opel, fin 2001. Au début, j’ai travaillé sur les articulations du coffre puis la pose des pare-brise. Après, je suis devenue « jockey », je déplaçais jusqu’à 200 voitures par jour d’un endroit à l’autre de l’usine. On en profitait pour détecter les bruits anormaux. Il fallait être vigilant parce que les contrôleurs de chez Opel étaient intraitables. Heuliez acceptait tout parce qu’on avait besoin de travail. Le fils de Gérard, Paul, le nouveau patron, ne nous saluait pas. C’étaient des mauvaises conditions pour tout le monde. En 2005, j’ai eu un enfant et pris un congé parental.
Je suis revenue début 2009. Il n’y avait plus rien à faire. On passait notre temps à nettoyer et repeindre les bâtiments. On a tout fait, les postes de gardiennage, les soubassements des toits, un réfectoire. Ma dernière occupation a été d’effacer les bandes blanches délimitant les zones de fabrication sur le sol de l’usine. On avait un pot de décapant de cinquante litres, un produit horrible, irrespirable. On travaillait sans masque, juste avec une spatule, mains nues. »
Cerizay, Avril 2010.


 

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