Le dimanche 11 avril 2010, un camion était garé sur le terre-plein devant l’entrée de l’usine. La remorque était vide, ses deux portes arrière largement ouvertes. On apercevait le chauffeur à l’intérieur, assis, seul, devant ce qui m’a semblé être une caisse en bois renversée. La semaine suivante étant chômée aux Ets Heuliez, j’ai imaginé cet homme restant là huit jours, sous le soleil, dans l’attente d’un hypothétique et miraculeux chargement. J’ai pris quelques photos à travers le grillage clôturant le site, du parking désert, des grands bâtiments verts, d’un compteur numérique affichant, au fronton de l’un d’entre eux, le nombre de véhicules électriques sortis des chaînes : 6419.
Je suis passé, plus tard, devant la propriété d’Henri Heuliez, le patron historique du groupe. Seul un grillage la sépare de l’extérieur. On aperçoit une pelouse montant en pente douce, de hauts arbres, certains dépourvus de feuilles, des buissons épars. Les deux grilles en métal vert du portail d’entrée étaient largement ouvertes. Le chemin, de terre et gravillons, bifurque, au bout d’une cinquantaine de mètres, vers ce qu’on imagine être la vaste demeure de l’ex maître des lieux disparu en 1996. Depuis le décès de son épouse en 2007, la maison est abandonnée.
De retour à Lille, j’ai repris les consultations quasi quotidiennes de mon « Heuliez-actu », y ai suivi la valse des repreneurs, petites phrases, hésitations et déclarations diverses. J’y ai vu surtout le soir du 17 mai que les choses s’étaient accélérées, lu qu’à 12h21, Le Monde annonçait le probable dépôt de bilan d’Heuliez, qu’à 12h59 lesechos.fr le prévoyait imminent, qu’à 13h27, pour France Info, c’était fait, qu’à 17h20 l’AFP démentait la nouvelle, la direction d’Heuliez ayant renoncé une nouvelle fois à faire la démarche instamment réclamée par le mandataire provisoire, qu’à 20h01, Le Figaro appelait cela jouer la montre.
Le temps s’est arrêté depuis le 21. L’équipementier est, pour la deuxième fois en un an et pendant six mois, en redressement judiciaire. « Les Heuliez » ont pu toucher leur salaire d’avril. Je ne suis pas retourné dans les Deux-Sèvres. Peut-être y a-t-il un autre semi-remorque garé devant l’usine, un autre chauffeur, assis, seul, sous le soleil. Le compteur affiche probablement toujours 6419 au fronton du grand bâtiment vert.