— Paul Otchakovsky-Laurens

La Trahison des images

08 avril 2025, 12h40 par Jean Frémon

L’autoportrait dans le jardin, le plus récent tableau de David Hockney a été choisi comme affiche de l’exposition à la Fondation Vuitton.  L’objet crée un petit scandale. Du genre dont David Hockney s’amuse : la bêtise administrative.

 

La cigarette que le peintre a ajoutée au dernier moment entre ses doigts peints, puis de nouveau entre ses doigts photographiés,  est la cause du drame. L’affiche pourra être placardée en plein air mais elle vient d’être interdite à l’affichage dans le métro parisien où fumer est prohibé.

 

Bel exemple du pouvoir des images, une cigarette peinte subit les mêmes régulations qu’une cigarette réelle. On ne fume pas dans le métro même en image, un point c’est tout. Courteline pas mort !

 

Les peintres de la Renaissance faisaient le portrait des saints ou des grands du monde avec leurs attributs. Les attributs de David Hockney sont le crayon et la cigarette. On voit ici l’un et l’autre passer alternativement de la main gauche à la main droite puis revenir en place. Le peintre est droitier mais dans le miroir l’image s’inverse et c’est le cas ici plusieurs fois puisque nous voyons l’artiste photographié tenant sur ses genoux le tableau qu’il est en train de peindre et qui se trouve derrière lui dans le décor même où il a été peint. Cette habile mise en abîme est soulignée par le titre de l’œuvre : Play within a play within a play, référence shakespearienne qu’utilisent les anglais pour dire l’effet de miroir ou la mise en abîme.

 

Les attributs : le crayon ou le pinceau et la cigarette. Avec le premier il crée des images, avec la seconde, il prend de la distance et réfléchit. La cigarette c’est le repos après l’effort, la détente après la concentration. C’est elle aussi qui met en marche l’esprit critique qui va apprécier ou corriger l’image. Fumer, pour David Hockney, c’est se relire.

 

Pouvoir des images ou bien plutôt Trahison des images, comme disait René Magritte qui avait intitulé ainsi le fameux tableau, aujourd’hui au Musée de Los Angeles, représentant une pipe de profil et en guise de légende, d’une écriture bien ronde pareille à celle que les instituteurs d’autrefois traçaient au tableau noir de l’école, ces mots : Ceci n’est pas une pipe.

Eh bien Messieurs les censeurs du métro parisien, écoutez bien : Ceci n’est pas une cigarette. Nul besoin de lire Michel Foucault* pour en être convaincu.

Pendant ce temps, Zazie, dans le métro, qu’est-ce qu’elle se marre !

*"Ceci n'est pas une pipe", Michel Foucault - éditions Fata Morgana

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