Marseille, le 11 décembre 2017. Il pleuvote pour la première fois depuis des mois. Les trottoirs sont des patinoires. Le Café de la Banque est ouvert. La dernière fois nous avions dû nous rabattre dans un kiosque à frites. Paul y avait croisé les jambes au soleil. Le vrai gentleman habite en soi-même, et des tasses ébréchées, il en a vu d'autres.
Rien n'est ébréché au Café de la Banque. Les cuivres chantonnent, le serveur dort debout, Paul est assis à une table minuscule. Il sourit. Son regard me rappelle celui d'un boxeur. Poids-plume, peut-être, mais un boxeur. Il en a gagné, des combats ; il peut sourire avec modestie.
Aujourd'hui, c'est jour de repos. Marseille est loin du ring. Nous parlons. Les phrases s’égrènent. Paul est un horloger suisse. Il sait qu'entre un tic et un tac se niche un silence ; il sourit quand sonne l'heure.
Il ne me laisse pas payer. Il ne m'a jamais fait payer, ni maladresses, ni états d'âme. C'est un prince, pas un ponte.
Nous marchons dans la rue. Paul fait fi du crachin qui vole. Les rues sont vides ; pas une voiture à l'horizon ; le monde est parfait. Il hume le vent, rentre la tête entre les épaules. Matelot, capitaine, il en a vu d'autres, des vastes cieux, au-dessus des tuiles.
Il me parle gentiment, comme on doit parler à un écrivain. Nos chemins se séparent devant la préfecture. C'est un éditeur. Notre éditeur. Il traverse la place, entre deux bassins qui débordent. Il a l'ultime grâce de diminuer de taille en s'éloignant. Il fendille la foule rue Saint-Fé. Il disparaît. Il n'est plus là. Paul Otchakovsky-Laurens.
Texte paru dans Le Nouveau Magazine Littéraire, en février 2018