Pendant que les champs brûlent
Il y a certains jours, quelque chose d’absurde, d’indécent à continuer, faire ces choses, je veux dire, simplement vivre, persister là-dedans, dormir, manger et lire, en jouir même, prendre du plaisir, tandis que, tandis que de l’autre côté du monde, je veux dire, quelque chose d’absurde à se tenir là, ce soir, sur une scène et vouloir chanter ensemble, y prendre du plaisir, pendant que, et pourtant que peut-on faire d’autre, que doit-on faire d’autre, que chanter, que danser, que de se chercher les un.es les autres, tandis que, il fait déjà très chaud ici mais que l’on ne peut pas y penser à chaque seconde que cette chaleur est suspecte, qu’elle fait peser sur nos épaules le poids d’une culpabilité dont nous ne voulons pas, personne n’en veut, personne ne veut penser à chaque seconde que l’on sue parce que le monde lentement se consume, parce que nous l’avons fait se consumer, que nous avons enflammé les déserts et les plaines, de millions de barils, de millions de missiles, et de bombes qui ont creusé des plaies qui ne cicatrisent pas et incendié jusqu’à l’intérieur de la matière elle-même, le monde désormais fait de cette matière incandescente, qui ne cessera jamais de se consumer, et jusqu’à l’intérieur de nos cellules quelque chose de ces bombes brûle qui ont laissé derrière tant de terre brûlées, parce que l’on ne peut pas penser à chaque seconde alors que l’on marche en suant dans une ville irrespirable qu’à cet instant même, et pourtant peut-on penser à autre chose, aux explosions, aux flammes, à cette, politique de la terre brûlée mais puisque que ceux qui y vivent y sont tant lié, à cette terre, peut-on penser à autre choses qu’aux enfants autour desquels le monde s’effondre, à la vie qui malgré tout persiste, qui s’acharne en elles, en eux, et nous sommes-nous coupables ou innocents, ou rien de tout cela, simplement tombés à la bonne place dans un monde dont il nous est permis encore de jouir, et alors nous devrions le faire, pendant que là-bas la vie est aux abois en chacune, chacun, comme si le réel était déchiré en deux, comme si le temps n’était pas fait de la même étoffe partout, et pourtant, il ne fait pas de doute qu’il faut quand même continuer, qu’il faut alors même que tout brûle embrasser tout ce que l’on peut embrasser, et beaucoup beaucoup danser, qu’il faut chanter, encore pendant que les champs brûlent.
Avant de commencer, il faut que je te dise quelque chose, il faudrait toujours se dire des choses avant de commencer, pour que ce soit plus clair, je veux dire, qu’on n’ait pas besoin d’attendre la fin pour dire qu’on la refuse, pour te dire que je suis anti-fin en ce qui te concerne, je suis pour le début, pour l 'éternel retour du début, c’est Pavese qui a écrit la seule joie du monde est dans les commencements, mais sache que j’ai une façon bien à moi de comprendre cela, et je ne crois pas qu’il s’agisse de commencer beaucoup mais de commencer encore et toujours, de s’acharner dans le commencement, qu’il ne s’agit pas d’allumer partout de petits feu follets comme on le fait désormais ici, comme si on n’avait pas le courage du feu et de s’y tenir, mais de nourrir toujours un grand brasier et pour cela moi, j’y jetterai tout, tout ce qu’il est possible d’y jeter, des amitiés et des souvenirs, des livres et des villes s’il le faut, oui, et sache que je ne te laisserai pas commencer ailleurs, que je me débrouillerai pour que ce soit toujours ici, que tu commences, que tout recommences, il faut que tu saches que je suis particulièrement acharnée, déterminée et inventive, et que je ne crois pas à l’abandon, au vide, que je le refuserai, que je ne suis pas du genre de celles qui s’allongent par terre, sur la carrelage froid, dans le silence, de celles qui étouffent dans leurs pleurs, de celles qui acceptent ou de celles qui refusent d’un refus de soumise, de résignée, un refus qui ne peut rien, qui fait pitié, mon refus sera sauvage et tout-puissant, il saura faire plier les montagnes et dissiper les orages, il saura faire fleurir à tout heure du jour et de la nuit, des fleurs que tu n'auras jamais vues, des jardins en Espagne, l’été en hiver tu sais, je le ferai venir et des chèvrefeuilles partout sur ton passage, des jasmins, des lilas, je convoquerai des puissances dont tu ignores tout, je saurai ranimer de vieilles sorcelleries, fabriquer des potions et des filtres, et comme Circé et comme les sirènes retiennent leurs amants captifs sur les rives, et, inventer des couleurs que tu ne soupçonnes pas et des heures nouvelles au cadran des horloges, distordre le temps et l’espace et rapprocher l’horizon, le faire coucher dans notre lit et je ferai apparaître des rayons verts bleus rouges et des arc-en-ciel aux plafonds des lits où nous coucherons, oui, je préfère te le dire que je ne te laisserai pas, finir de m’aimer, que je changerai jusqu’au cours des saisons pour que tu m’aimes encore.