Leni Riefenstahl en avait rêvé, Yann-Dieu l’a fait : demain va déferler sur les écrans un film de propagande aux dimensions inouïes. Véritable char d’assaut écolo, Home sera projeté simultanément dans 130 pays, sur les écrans géants du Champ-de-Mars et de Central Park, sur YouTube, France2, Al-Jezira, etc., gratuitement bien sûr, comme tout bon lavage de cerveau qui se respecte.
Avant même sa sortie, le film se paie le luxe d’être adoubé par les puissants, à commencer par ces nouveaux phares intellectuels que sont devenus Al Gore et le prince Charles. Notre bon Président s’y collera aussi, à pousser le dithyrambe obligatoire, sans trop se forcer d’ailleurs, puisqu’on apprend déjà, officieusement, que ce serait son « film préféré ». Demain, il sera impossible d’échapper aux images forcément « sublimes », pas plus que l’on ne pourra ignorer le message du film, aussi lourdingue que les poches pleines du konzern Pinault, sponsor du projet : l’homme serait une blatte nocive pour la planète.
Perché sur l’hélico, observant son monde avec bonté et paternalisme, Yann-Dieu assène prophéties glaçantes et déclarations dégoulinantes de sensiblerie. « Tout ce que tu vois n’est pas seulement un paysage, c’est le visage aimé de notre Terre. » Le tutoiement de la voix off cloue le bec et impose sa liturgie. On communie ad nauseam devant la beauté bio, écolo-guimauve d’un atoll en forme de cœur. La transe est accentuée par la musique, onirique à souhait, toute en trémolos vocaux et arrangements planants.
Yann-Dieu égrène sa vision binaire : homme – mauvais, terre – jolie. Homme – parasite, terre – richesse. Terre – notre maman adorée, homme – blatte. Pire que blatte – une blatte Sapiens sapiens. Vu d’en haut, c’est imparable : la blatte se démène dans les villes surchargées, aux fumées nauséabondes, accumulant les déchets, suçant l’eau, cultivant intensivement le sol. Cela dure depuis 200 000 ans, nous dit-on. 200 000 ans que la blatte détruit ce que dame Nature a patiemment tissé en 4 milliards d’années. Cela ne peut plus continuer. Encore veut-on bien tolérer la blatte africaine ou inuite quand on la voit ramper dans le désert mauritanien ou polaire, trainant péniblement son barda. Brave petite blatte, économe de ses besoins, si belle dans son dénuement ! Celle-là, on peut même faire l’effort de lui serrer la main : touchantes images du making ofoù l’on voit Yann-Dieu, littéralement descendu du ciel, telle la bouteille de Coca-Cola dans Les Dieux sont tombés sur la tête, prendre un bain de foule parmi les indigènes. Blattes des pays pauvres, votre mode de vie est tellement tendance ! Il en va autrement de la blatte occidentale. Franchement, on a envie de l’écraser, cette blatte-là ! Lui faire bouffer les stations de pompage, les plates formes off-shore, les usines qui puent, les aérodromes !
La blatte oserait-elle se montrer fière de sa civilisation, de ces 200 000 ans de galère pour émerger de sa caverne ? Sacrilège ! Quand il entend le mot culture, Yann sort son hélicoptère. Produit par Luc Besson, grand pourvoyeur de finesse devant l’Eternel, il nous assène quelques vérités grosses comme Las Vegas. Imagine-t-on combien il a fallu gaspiller de ressources fossiles pour construire cette ville inutile ? Et elle n’est pas la seule. Terrifiantes images de mégalopoles : la bande son devient angoissante, tendue. Los Angeles – quelle horreur ! New York, Dubaï – monstrueux ! Ne dirait-on pas des monolithes extra-terrestres, de vilaines colonies venues de l’espace ?... Et l’Ile de Pâques ? Ses habitants auraient mieux fait de s’occuper de leur forêt en péril plutôt que de perdre du temps avec de stupides statues. Regardez comme leur caillou est invivable maintenant ! Que cela serve de leçon. Tous les Homère, Newton, Brunelleschi du monde ne sont rien à côté de la beauté sauvage d’une chute d’eau. La civilisation peut aller se rhabiller devant un éléphant gabonais galopant dans la brousse. « Il n’y a plus une minute à perdre. »
C’est une question de foi. « Les jeunes sont en quête de sens », dit le réalisateur, émerveillé par tant de cerveaux vierges à conquérir. « Il faut donner du sens à nos affaires », précise sans ciller François-Henri Pinault. Quel meilleur choix que de surfer sur l’hystérie collective du réchauffement climatique ? Judicieux marketing ! Bon sens des gros sabots ! L’investissement dans la bonne conscience est rentable. Regardez les retombées presse ! La motivation des 88 000 salariés Pinault grimpe en flèche. Les marques du groupe (Gucci, Sergio Rossi, Conforama, etc. – longuement énumérées au générique) récoltent leur onction écolo. La gabegie consumériste des hommes, ô combien vomie dans le film, se refait une santé dans un sympathique tour de passe-passe. Chez Sergio Rossi, on trouvera un « escarpin écologique » à 370 €. Et chez Gucci, un tee-shirt en coton bio, estampillé Home, 140 €. Comme tout est simple, finalement.
Après-demain, le char d’assaut sera dans les écoles. On va l’y envoyer « accompagné d’une fiche pédagogique ». La rééducation forcée a commencé. Nature contre culture... L’opportunisme contre le génie humain. Je frémis et je me sens un peu seul.