— Paul Otchakovsky-Laurens

Comment le comique attrape le réel.

13 décembre 2009, 17h49 par Leslie Kaplan

 Comment le comique attrape le réel:
transgression, subversion, comique et politique.


exposer la méthode :
prendre quelque chose qui fait rire
et la retourner dans tous les sens, associer

projection d’un dessin de Copi
du livre La femme assise (Stock), page 15 :
« Maman, enlève ça »
mère-fille
la mère a un escargot sur le nez
la fille a un nœud dans les cheveux
la fille fait une grimace
la mère et l’escargot ont le même air, lequel ?
un air bienveillant
ils planent un peu
« Mais voyons chérie il a le droit de regarder le paysage ! »
la fille écoeurée s’en va, veut pas voir ça, ça quoi ?
plein de sous entendus, « Oh, non… »
la stupidité de sa mère, la relation de sa mère avec cet escargot, les adultes, la vie…
dialogue gentil, bon et beau, le paysage, « Vous avez vu comme le monde est grand », et « Votre nez est si doux, Mademoiselle »
séduction, Arthur, Arthur
lui l’a appelée « mademoiselle » alors que sa fille vient de lui dire maman
Innocence
tout baigne dans la douceur
petite rougeur
même sourire
la petite fille écrase l’escargot
on rit : sadisme, autorisé, sans culpabilité
marre de cette gentillesse trop sucrée
mais déjà avant :
cette histoire d’amour entre une dame (la femme assise) et un escargot
les doux propos échangés
l’amour et la tendresse : ridiculisés ?
non, plutôt mis dans une situation déplacée, décalée, inhabituelle
importance du contexte
le contexte : une relation mère fille
toutes les relations mère fille
la difficulté des relations mère fille
et : la liberté moderne
une mère peut mener sa vie
une fille doit admettre ça
difficile pour une fille…
et en même temps : pourquoi pas ? vraiment, pourquoi pas ?
+ la ressemblance de la mère et de la fille : même nez, même cheveux, même robe, même allure
le trait de dessin est drôle :
l’escargot et la dame ont le même trait pour la bouche, tranquilles, ensuite, même sourire
le départ furieux de la fille, la main sur les yeux, veut pas voir ça
la mère indigne = de tolérer et d’encourager un escargot sur son nez
pas une sexualité très habituelle
(oh, une sexualité ? qu’est ce que vous allez chercher…)
les phrases, « le monde est grand », « votre nez est si doux »
échange hollywoodien années 50, innocence
« Arthur, Arthur »
la façon dont la gêne amoureuse est dessinée, les joues rouges pour les deux, le même sourire, les yeux au ciel = parlons d’autre chose
contexte, écart, déplacement
mise en perspective des discussions, affirmations, valeurs de
l’époque
en l’occurrence, relations parents enfants, question des générations, liberté
tout ça dès qu’on le dit c’est lourd ?
plutôt : ça fait ressortir justement que « le monde est grand »
allusion = comique au vaste monde
inclusion du lecteur, distance critique (voire, à la fin, sadique…)
une des façons de maîtriser le monde, c’est de le mettre en perspective, le distancier, le renverser, jouer avec lui
le monde est grand, tout est possible, l’amour avec un escargot pourquoi pas
le monde est grand = on le prend dans tous les sens
le comique vient du jeu avec ce monde qui est grand
importance du contexte
allusion
le contexte = le monde
DONC
le comique accélérateur d’intelligence
« chaque chose se divise en elle-même à l’infini »
accumulation des détails, rapidité des passages d’un détail à un autre
allusion, contexte
condensation, déplacement
le monde est grand

page 38
doit-on aimer les pauvres
ben oui
pourquoi
parce que c’est des gens très pauvres

accélérateur d’intelligence
rôle critique, subversif…politique en ce sens…
éveil

accélération
cf Devos : ah là faut suivre, hein
exemples
« prendre la porte », Olympia 94
Sens dessus dessous, page 7

« comme le monde est grand »
autre façon de prendre le réel
et de remarquer qu’on est dépassé (c’est tragique)
alors le comique : comment on se débrouille avec ça, qu’on est dépassé : on essaye d’être actif
même si ultimement ça rate
on se débat, on dérape, on glisse, on tombe, on se relève
disharmonie, dissonance, décrochage
burlesque…
rapport avec « l’hétérogène »
cf ouvrir « une brèche »
Cohn-Bendit, « mai 68 a ouvert une brèche »
(titre de Lefort, Castoriadis, Morin : La brèche, 1968)
l’accueil de ça
l’homogène = le « normal social familial habituel »
tendance cliché
= le comique est toujours une façon de souligner un cliché possible, et de le déplacer, retourner, etc

dictionnaire des idées reçues de Flaubert
la lecture dessine un personnage, Homais for ever
pour qui la culture est un bien à engranger, qui sert à vous poser, dont on peut se vanter, etc
« la culture », la non exception absolue, le non risque absolu
le dictionnaire : c’est souligner que tout, absolument tout, peut devenir cliché
donc :
ABELARD : ignorance crasse
et /mais : là où on montre ses connaissances, c’est une allusion sexuelle + bien entendu sadisme
romantisme fleur bleue, besoin d’illusions
ABRICOTS : le monde va mal, l’agriculture aussi, un pied à la campagne, on connaît, + critique des agriculteurs
ABSALON : bon sens , moi je, blague (encore méchanceté) ABSINTHE : on connaît + contradiction+ critique des journalistes
ACADEMIE FRANçAISE : ah cette ambivalence…
ACTRICES : la ruine = le bourgeois, mais certaines excellentes mères = la morale + montrer son absence de préjugé

mais justement on le fait par le préjugé= la généralité
le vide = la généralité
1) imparable
2) creuse
càd l’idée reçue : pas seulement on la connaît
mais elle exclut le conflit
en fait dans le vide des idées reçues, énormément de monde, d’idées, de choses
tous niveaux, on passe d’un niveau à un autre= sexe, critique littéraire, métaphysique, le destin, la vie, les connaissances scientifiques, etc
le lecteur le voit passer tous ces niveaux mais lui ne se voit pas
= ses niveaux pas pensés entre eux, dans leur rapport
le vide c’est ça, qu’ils soient posés comme ça= à côté, sans pensée
comme des objets, des bibelots sur une étagère
et
3) le vide est agressif
le vide n’est pas rien, le vide est actif, agressif, le vide cherche activement à empêcher de penser, littéralement ferme la pensée
et je ne suis pas la seule à avoir été stupéfaite récemment d’entendre le président de la République déclarer, mercredi 19 avril, que « l’important dans une démocratie c’est d’être réélu »

alors
projection d’une séquence de
La voie lactée, de Bunuel
scène où le maître d’hôtel discute avec des garçons et une femme de ménage
et où arriveront deux clients
ce qui est tellement comique : les choses sont dites simplement, prises dans l’arrangement de la table, le ménage, etc
_Moi ce que j’ai du mal à comprendre, Monsieur Robert, c’est que le Christ est un homme et c’est un Dieu
_Evidemment c’est difficile
Enlevez moi cette poire, elle est blette
_Si Jésus était un dieu comment a t il pu naître et mourir, demande le garçon avec son pot de cornichons, et ensuite pour montrer comment on le représente, il fait le geste de Jésus, les paumes
et ensuite on voit Jésus en costume drapé de Jésus en train de marcher
=
tout est sur le même plan
ce qui est drôle : le dogme est montré en tant que dogme, chose fermée
= la parole étrange ? contradictoire ? bizarre ?
dite platement = comme si de rien n’était, comme si ça allait de soi, comme si c’était évident
question : si le Christ est semblable au Père ou s’il lui est consubstantiel
on rit du caractère fermé donné comme tel, il n’y a rien à dire
scène avec l’évêque , qui envoie au bûcher, et plus loin, les deux duellistes, discutant sur la nature corrompue, la grâce, etc, leur propos repris par les deux mendiants, liberté, libre arbitre, nécessité, toute puissance de Dieu, etc,
et encore les deux hérétiques, leur propos n’étant pas moins bizarre
= on ne rit pas parce que les gens meurent pour leurs idées
on rit parce que leur idée est fermée, rigide, pas vivante mais le contraire du vivant= le cliché, au sens de pose, immobile

à l’opposé du dogme, recherche d’une vérité = d’un rapport entre un sujet et le monde
cf LK, Le psychanalyste qui peut faire penser à Chaplin
accumulation, accélération
lire « Un personnage des Temps modernes »dans Le psychanalyste
cf
in City Lights, la scène avec les spaghettis
joue avec, sifflet etc
riche pauvre
adulte enfant
autorité, flic
derrière plane le désastre
boxeur professionnel pas du tout
toujours beaucoup de niveaux
sexy, agressif, cruel, etc

cf Woody Allen, dans Crimes et délits
dans une fête sa sœur qu’il n’a pas vue depuis longtemps lui raconte qu’elle est complètement déprimée, pourquoi ?
elle a rencontré l’homme de sa vie
amour fou, réciproque
son amoureux l’a emmenée chez lui, l’a attachée et lui a déféqué dessus
« Why » demande le frère
déplacement, contexte, vaste monde
le pourquoi est déplacé
pourtant bonne question…
condensation dans ce mot, tout petit, de l’horreur, de l’absurde, de la liberté = why, why not, de tous les sentiments (de la sœur pour son amoureux, de WA pour sa sœur, etc…)

Kafka, Grégoire Samsa devenu cafard qui ne s’intéresse qu’aux horaires des trains
devant une situation d’horreur : déplacement, déni…résistance…
malgré la métamorphose, on ne peut pas le transformer en autre chose
cf Antelme : On peut tuer un homme, on ne peut pas le transformer en autre chose
Grégoire Samsa témoigne de ça paradoxalement

DONC
joie paradoxale de penser :
le monde est grand
si grand
qu’il nous dépasse
mais peut être
ce n’est pas si grave
le monde n’est pas si dangereux
il n’est pas si sérieux

et
Freud sur le surmoi dans L’humour
« …la visée que l’humour réalise, qu’il s’exerce sur la personne même ou sur les autres. Il veut dire : Regarde, le voilà donc ce monde qui a l’air si dangereux. Un jeu d’enfant, tout juste bon à ce qu’on en fasse une plaisanterie. »

= lire extrait de « Berthe » …

ah j’ai faim, j’ai faim

tu veux manger ?

je veux manger

tu veux quoi, une pomme ?

une pomme
une cuisse de poulet
une feuille de salade
n’importe quoi
j’ai faim

tu ne manges pas n’importe quoi
quand même

non, pas n’importe quoi
je veux une cuisse de poulet
français

un poulet français ?

oui, un poulet français
pas un poulet étranger

tu veux un poulet
que tu connais ?

oui
un poulet que je connais
pas un poulet inconnu

moi j’avais un ami
qui élevait des vaches
une fois on dînait
tout d’un coup
il s’est arrêté
il a regardé son assiette
il a dit Mais, c’est la cuisse de Berthe

la cuisse de Berthe ?

Berthe était une de ses vaches
préférées

il l’a mangée ?

oui
il l’a mangée
il avait faim

tu pourrais manger
une vache que tu connais ?
je mange
la cuisse
de Berthe
je mange
un mot
cuisse
je mange
un nom
Berthe
je mange
mon amour
mon amour
est un mot
mon amour
est un nom
je mange
ce que j’aime
je mange
le proche
le très proche
j’avale
la cuisse
j’avale
la cuisse
de Berthe
j’avale
la cuisse
de Berthe
que j’ai souvent
caressée
je caresse
la cuisse de Berthe
je la mange
Berthe mon amour
la cuisse chaude de Berthe
la manger
je ne peux pas
le dire
je ne peux pas
parler
silence
dans la tête
au secours
les mots
je ne distingue plus rien
carambolage
les mots s’écrasent
les uns sur les autres
ils s’écrasent
ils se taisent
ils se ferment
Berthe
cuisse
manger
carambolage
confusion mentale
silence
tu pourrais manger
une vache que tu connais ?

je ne veux pas manger
une vache étrangère

tu mangerais
la cuisse de Berthe ?

je ne connais pas Berthe
je ne connais aucune vache

oui mais
si tu la connaissais
Berthe

je ne la connais pas
je ne la connais pas

oui mais
si tu la connaissais

je ne peux pas imaginer

moi si je connais un cochon
je ne peux pas le manger

il y a des gens
qui ne mangent pas
de cochon

ils ne veulent pas manger
un cochon qu’ils connaissent ?

ils ne mangent aucun cochon

ils connaissent peut-être
tous les cochons ?

c’est Dieu qui connaît tout

Dieu ? Il ne mange pas de cochon

Il connaît tous les cochons ?

Il ne mange pas, Dieu

comment ça ? comment ça ?

Dieu ne mange pas

Il ne mange pas, Il ne mange pas ?
comment tu peux dire ça
Il mange, Il mange pas
Il fait tout ce qu’Il veut, Dieu

Dieu-ne-mange-pas

Il ne mange pas
ou
Il ne mange pas de cochon

de quoi tu parles
je ne comprends rien à ce que tu dis

écoute
moi Dieu je Le vois
assis
là haut
dans le ciel
et je sais qu’Il ne mange pas de cochon

….
 

Leslie Kaplan (au  théâtre de Gennevilliers
le 6 juin 2009 dans le cadres des "rencontres philosophiques"de Marie-José Mondzain)


 

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