Frédéric Berthier avait passé son enfance dans la montagne. C’était une belle montagne, un de ces endroits qu’on ne regrette pas de connaître, et qu’on redoute de quitter. Berthier y avait ses amis, ses habitudes et la majeure partie de sa famille. Il vivait depuis des années dans un trois-pièces qui donnait sur les cimes. Pourtant, pour des raisons professionnelles, il dut quitter l’endroit et il rejoignit la ville.
La ville déplut aussitôt à Berthier : trop grande, trop bruyante, trop violente, trop polluée, trop chère. Il lui était impossible d’en parler autrement que de façon négative. Par bonheur, il y rencontra une femme. Elle était séduisante et intelligente. Elle était douce, compréhensive. C’était une de ces femmes qu’on espère tous rencontrer quand on est homme et dont on ne veut jamais se séparer. Leur formation leur permit, d’une part de se reconvertir, d’autre part de déménager. Comme la jeune femme était originaire de la côte, Berthier accepta de la suivre au bord de la mer.
Leur vie fut paisible et heureuse. Berthier n’était pas de ces hommes qu’éperonne l’ambition. D’un tempérament mesuré, le fait de vivre avec une femme à qui il pouvait parler, qu’il trouvait belle, dont il était complice, et d’avoir d’elle des enfants qu’il pourrait élever dans un lieu auquel il s’était habitué, outre les avantages financiers que leur permettait leur emploi respectif, lui parut pleinement suffisant.
Berthier fit bien son travail, il gravit lentement les échelons. Il ne fut pas tenté par l’adultère, la vie d’artiste ni l’engagement politique. Ses enfants furent élevés dans une atmosphère familiale qui les conduisit à de brillantes carrières et à des vies de famille elles-mêmes équilibrées ; jusqu’au jour où sa femme mourut. C’est alors que Berthier décida de se replier dans la forêt.