— Paul Otchakovsky-Laurens

Jean de La Ciotat confirme

(Du Mont Ventoux au Chrono des Balmes - une saison)

Jean de La Ciotat

Les années se suivent et ne se ressemblent pas pour Jean de La Ciotat. Si la fin des années quatre-vingt-dix a vu le « Petit Jean de La Ciotat en Ligne de l’Art Contemporain » (www.mudam.lu/Magazine) s’imposer sur la scène artistique européenne, 2003 aura été l’année du retour impensable de l’intellectuel provençal sur la scène cyclosportive nationale. De l’ascension du Mont Ventoux à l’annonce de son retour à la compétition après plus de vingt-et-un ans d’interruption en passant par sa chevauchée fantastique dans la fameuse trilogie pyrénéenne – Aspin, Tourmalet, Luz-Ardiden –...

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La presse

[…] En fait, c’est plus subtil. Il s’agit, au fil de dépêches de presse régionale et cyclotouristique parues l’an dernier, de narrer l’aventure d’un certain Jean de La Ciotat, ancien espoir Junior surclassé de l’Association sportive mantaise, qui abandonna le sport cycliste et sa pratique en 1982 pour s’exercer à l’art contemporain de haut niveau, à ses arcanes, et qui décide à trente-huit ans, un jour de 2003, sur un VTT pas fait pour ça, de se taper d’un trait les 177 km de La Ciotat et retour en passant par Saint-Maximin et la montagne Sainte-Victoire, véritable exploit de la part d’un type non préparé, qui réveille la presse spécialisée. Il remet ça le 4 mai 2003, comme le titre une dépêche de l’AP de Carpentras : « Jean de La Ciotat confirme », avec une performance dingue et sous un vent délirant, il se hisse au sommet du mont Ventoux en deux heures dix : « J’avais décidé de monter à mon rythme, sans forcer. Le problème, c’est que je ne savais pas quel était mon rythme. Ça faisait vingt ans que j’avais pas gravi un col hors catégorie »… Écrasé par le vent, le grand gamin heureux parcourt les 15 derniers mètres à pied.


Sans préparation, avec un équipement nul, il impressionne, dans la montée d’Isola 2000, s’effondre dans le col de la Couillole (il grimpe deux fois moins vite sur une pente deux fois moins longue que lors de son ascension du Grand-Saint-Bernard à l’âge de quatorze ans), s’effondre ici et « tutoie le ciel » là, le 4 juillet dernier, en pleine canicule, où il enchaîne les 155 kilomètres de la redoutable trilogie pyrénéenne : les cols d’Aspin, du Tourmalet et la terrible montée vers Luz-Ardiden. Les observateurs lui décernent la « palme de l’inconscience », alors qu’il n’a qu’un peu plus de 3 000 kilomètres d’entraînement depuis qu’il a reposé les pieds sur une pédale… Risée du cirque cyclotouristique parce qu’il ne se rase pas les jambes, l’essentiel est visiblement pour lui de participer tout en gagnant d’affectueux sobriquets de la part de la presse : le « néo-cyclotouriste »,l’« ancien coureur de l’Association cycliste bonnièroise »,l’« ancien théoricien de la conscientisation des processus de l’aliénation ordinaire », « le grimpeur luxembourgeois par sa mère », « l’ancien enfant de chœur aux oreilles décollées »,l’« ancien cols-killer de Mantes-la-Jolie », « l’essayiste de formation catholique romaine »…


Le 10 août 2003, au plus fort de la canicule, « l’enfant de la Colombière s’effondre dans Joux Plane », victime du « triple plateau, du manque de préparation et des souvenirs ». Une défaillance d’anthologie, donc, puisque Jean de La Ciotat, entre deux colloques savants à Hambourg ou Stockholm, veut reprendre la compétition cyclosportive, ce qui est bien sûr un « coup de tonnerre dans le cyclotourisme français » selon la presse, « une appropriation en acte du mythe écrit par les géants de la route […] et une sublimation libératrice du cyclisme de loisir », selon une ex-curatrice new-yorkaise; enfin, d’après un célèbre concepteur de l’esthétique post-objectale des années 90, notre ami Jean « a tout simplement pété un câble ». […]


Dominique Durand, Le Canard enchaîné, 9 juin 2004