Observations
Plutôt la lune que le soleil. Le gris plutôt que la nuit ou le jour. Il y a donc les astres, les éléments, le cours du temps, la matière. Des phénomènes, naturels, météorologiques, rencontrent des gestes humains, quelques faits, des usages, animaux même, et même plantes. Ce qui revient varie, progressivement, et l’attention dévolue au détail jamais ne se perd dans le précieux comme dans le banal : il est ici question de choses éternelles, pas communes, non supérieures.
Intervient, plutôt que la musique, le son d’une autre langue – le traducteur n’en est pas un. Des échos, bribes, le reflet de travaux...
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Observations
Plutôt la lune que le soleil. Le gris plutôt que la nuit ou le jour. Il y a donc les astres, les éléments, le cours du temps, la matière. Des phénomènes, naturels, météorologiques, rencontrent des gestes humains, quelques faits, des usages, animaux même, et même plantes. Ce qui revient varie, progressivement, et l’attention dévolue au détail jamais ne se perd dans le précieux comme dans le banal : il est ici question de choses éternelles, pas communes, non supérieures.
Intervient, plutôt que la musique, le son d’une autre langue – le traducteur n’en est pas un. Des échos, bribes, le reflet de travaux précédents, différents : Naples et la Corse, mange, la loterie, les simples, la foudre, les animaux, manger, figures de cire et bien sûr le noir et blanc, cette fois mieux imprimé que jamais. Plutôt que le quotidien, un mouvement qui demeure hors du temps, de l’époque. Plutôt que le bruit de nos jours, le monde des livres, ou l’univers de la pensée. (Moi et ma cheminée).
Il arrive qu’il y ait à l’étranger deux mots pour dire brume et brouillard. Composent les diptyques : une tonalité grise, lisse, ou un grain, le motif et sa répétition, la lumière utilisée pour faire des réserves, un blanc. La même farine, la même eau (de la colle ?). Dentelle de papier et paille, insecte et feuille nervurée, spirale rayée, coupe sous microscope, on peut continuer. Parfois c’est impossible à reconnaître, identifier.
Surviennent des merveilles, écoutez : « La terre repose sur l’eau comme un morceau de bois ou de quelque chose de semblable ou de quelque chose capable de flotter sur l’eau, la terre repose sur l’eau et flotte comme un navire, la terre flotte sur l’eau comme un bout de bois ou tout autre chose capable de surnager ». Ailleurs : « Le végétal est un animal produit par la terre ». Ou : « Les plantes éprouvent des appétits (…) elles réagissent à la musique ». Tout cela, si on n’y avait pas pensé, va de soi.
On trouve encore des trames, une oreille tramée. Puis : un bistouri qu’une main introduit dans l’oreille d’une tête en cire, l’autre main la maintenant.
C’est aussi par intermittences une relation des humeurs affectant les grands hommes, esprits élevés, de leurs suppositions. Autant d’histoires, de rapports, ce ne sont pas pour autant des légendes. Héraclite, Empédocle, Démocrite, Zénon, Pythagore : comment ils sont morts, certains très vieux, d’autres vite, ce qu’avant ils auront dit. Il est à noter que lorsque l’on dit Vies brèves, l’accent ne porte étrangement pas sur la durée de l’existence.
« Pour ceux qui veillent, le monde est commun, mais chacun en s’endormant retourne dans le sien. » Chance ou discrétion, aucun rêve n’est cité. On voit pourtant une seiche, de l’eau, les rêts qui s’y dessinent, des épinards sont nommés. Des gommettes éparses, un doigt pointé sur un rond fait un quartier de lune, tour facile. Des oursins, des ombres tremblées, cela s’agence. Les chapitres se succédant, il ne faut surtout pas compter sur la face d’un dé pour savoir où l’on est. Encore des fèves, malgré le danger. Alors, un livre de recettes ? Tout dépend pourquoi. Cela distrait, embarque ailleurs, on se demande.
On s’accommode pourtant si bien de phrases qui ne dévident pas le fil de leur sens uni, mais préfèrent heurter, ne tiennent pas debout, bancales avec brio, trouvailles. J’ai pris des notes en lisant sans réfléchir. Image et texte ont ici partie liée, plus étroitement, librement que jamais, atteignant l’équilibre et l’instant d’après faisant tout tomber.
Dans les Carnets de Coleridge, un choix traduit par Pierre Leyris, plusieurs entrées paraissent écrites exprès pour Suzanne, la première : « Hartley est tombé et s’est fait mal – Je l’ai relevé pleurant et hurlant – et l’ai porté dehors en courant. – La Lune a capté son regard – Il a immédiatement cessé de pleurer – et ses yeux avec leurs larmes, comme ils miroitaient au Clair de Lune ! » Ou encore : « Le mouvement du Lézard et de la Libellule – tous deux partant en flèche et obliquement, bien différents pourtant / celui de la Libel. toujours et naturellement oblique : celui du Lézard oblique seulement par choix / »
Cette voix a son timbre, rythme, sa couleur, elle chante, bouche fermée, clame, raconte ce qu’il en est d’autres, de nous. À la fin l’auteur reprend ses billes, les lance de nouveau, cela fait ce qu’elle appelle un résumé (plusieurs possibles). On retrouve le gris, la boule, la trace arrondie du lait sous un verre, les nuées, raies, friture, les pois et points, petits carrés, le Carré noir en raccourci, pendant ce temps la lune se remplit malgré l’éclipse, on en a fait le tour, toute ronde. Bref c’est fini.
Anne Bertrand
Le fragment 99 du poème « De la nature » d’Empédocle, dit que l’oreille est semblable à une cloche. L’oreille, donc au moins quelque chose.
Ce travail est directement inspiré de la pensée des philosophes qu’on appelle présocratiques ou plutôt de ce qu’il en reste, c’est-à-dire des fragments : les textes d’origine sont mutilés, délabrés. Des œuvres perdues, dont les témoignages parfois contradictoires nous laissent des images simplifiées, manipulées, somptueuses ou familières, que de nombreuses traductions cherchent depuis longtemps à restituer.
Le sens réel du texte demeure souvent une énigme et c’est entre autres choses ce qui a intéressé Suzanne Doppelt. Tout comme cette tentative de mise en ordre des connaissances qui rappelle et précède le savoir encyclopédique, chez Démocrite notamment.
Les premiers philosophes ne cessent d’interroger la nature et le cosmos, ils ont le désir de comprendre les phénomènes à travers les faits les plus ordinaires.
Les fragments témoignent d’un intérêt pour les champs les plus variés, d’une curiosité inlassable et libre.
Ce sont quelques-unes de ces questions que ce livre tente de reprendre sous la forme de huit chapitres et d’un neuvième qui les résume : le cosmos, la météorologie, les plantes, l’anatomie, les animaux, les couleurs, les aliments, le jeu.
Quelque chose cloche est donc un pseudo livre de philosophie, le second volet de Totem (P.O.L, 2002) qui était lui, un pseudo livre d’ethnologie, une tentative de fabriquer une vraie/fausse anthropologie.
Les photographies en noir et blanc, toutes du même format (sauf celles qui ouvrent les chapitres), apparaissent de façon régulière, regroupées en 50 diptyques. Ils associent des images plus ou moins figuratives et un motif géométrique, photogramme qui marque à la fois la répétition et la permanence.
Les images s’agencent, se répètent donc parfois, mais toujours dans une légère variation, comme est variée la réalité entrevue par les fragments.
Analogies, similitudes : les photographies se renvoient les unes aux autres, jouent avec les lacunes, suggèrent, et toujours désignent un monde qui vacille, semblable au fil sur lequel se tient souvent la pensée présocratique, à la fois triviale et poétique, terre à terre et sublime.
Les photographies reconstruisent en partie ce qui a été perdu, comme le font les différentes traductions, en ce sens elles sont une traduction de plus. Mais parfois aussi, elles évoquent les choses de façon très littérale.
Ainsi, elles créent le réseau des éléments à cataloguer.
Pour mieux marquer la confusion et le mélange, les images sont enchassées dans un texte continu qui lui aussi joue avec les variations, les renvois, les recoupements : images et textes se déplient dans un seul mouvement, une seule matière.
Quelques fragments, ça et là, ont été retraduits par Georges Aperghis dans une langue phonématique, imaginaire.
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