— Paul Otchakovsky-Laurens

Au pays du long nuage blanc, Journal VIII

Journal VIII (2003-2004)

Charles Juliet

Le titre de ce livre, Au pays du long nuage blanc est emprunté à une légende maorie très connue. C’est une manière poétique de désigner la Nouvelle-Zélande.

Charles Juliet a écrit ce journal au cours d’une résidence de cinq mois qu’il effectuée l’année dernière à Wellington. Il l’a tenu avec assiduité, afin de garder trace de ce qu’il a vécu au long de ce séjour.

On trouvera dans ces pages le récit de ses rencontres, de ses voyages à Auckland, et dans l’île du sud à Dunedin et Christchurch, puis de son passage à Singapour. On trouvera également des notes de...

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Traductions

Corée : Séoul National University Press

La presse

Bien qu’il porte en sous-titre le mot Journal, ce livre ne relève pas à proprement parler de l’entreprise de diariste de Juliet, qui en est à son cinquième tome avec L’autre faim, mais plutôt des notes de voyage des Carnets de Saorge. Sauf qu’ici, l’écrivain s’est rendu à 20 000 km de chez lui, invité pour une résidence de cinq mois en Nouvelle-Zélande. A Wellington, sa première visite est pour la maison de Katherine Mansfield, un de ces écrivains chers à son cœur avec qui il s’entretient fréquemment ; et c’est d’ailleurs encore sur l’évocation de ce modèle littéraire et moral qu’il termine son livre. Juliet découvre avec fraîcheur ce pays totalement inconnu qui lui offre des rencontres souvent étonnantes, il assiste à son premier match de rugby, visite Auckland, Cristchurch et quelques îles. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à lire (L’Étranger de Camus) et à écrire (sur le peintre Eugène Leroy). Ni de poursuivre son travail d’élucidation de soi, en mesurant le chemin parcouru de puis ses débuts, et la sincérité conquise avec L’Année de l’éveil, dont un exemplaire figure à la bibliothèque de Cristchurch, traduit en chinois !


Isabelle Martin, Le Temps, 19 février 2005



Très heureux de son séjour en Nouvelle-Zélande, Juliet confie avoir pris plaisir à rédiger les notes de son journal, ce que le lecteur constatera rapidement. Car ce livre, avec son écriture simple et précise, dépouillée, son ton si juste, est captivant. Jamais anecdotique. Comme toujours. L’écrivain réussit à atteindre l’universel avec une œuvre très personnelle, dans laquelle ses lecteurs se reconnaissent.


Lucie Côté, La Presse de Montréal, avril 2005



Juliet, la gravité sereine


Longtemps, parce que « l’écriture tenait du secret », Charles Juliet n’a pu s’y livrer que chez lui, entouré de ses livres et des toiles de ses amis peintres, Estève ou Madeleine Charbonnier. L’été, dans le « grenier » de Jujurieux – le village de l’Ain où il est né en 1934. Ou, non loin de la place Bellecour, à Lyon, dans cet appartement, au sortir duquel il aime retrouver « la pulsation de la ville ». « J’aime aussi, dit-il, écrire en marchant, surtout des textes brefs, des notes de Journal ou des poèmes. Je fais des ratures mentales ».
Aujourd’hui, d’une résidence de cinq mois en Nouvelle-Zélande, il rapporte un Journal qui prolonge celui qu’il tient depuis près d’un demi-siècle : Au pays du long nuage blanc. A Wellington, il a découvert le « plaisir d’écrire », de noter des impressions, de garder trace de ses rencontres. Notamment avec Chris Laidlaw, ancien capitaine des All Blacks. Car le fervent lecteur des mystiques a aussi la passion du rugby.


La gravité, pourtant, n’est jamais loin. Visitant la maison natale de Katherine Mansfield, il évoque sa souffrance, l’aventure intérieure qui, dans les derniers mois de son existence, l’a conduite, dit-il, du « moi » au « soi ». Un article sur les hôpitaux psychiatriques, où « on a, dit-il, fait mourir de faim 50 000 malades pendant la guerre – un fait qui a été occulté longtemps », le renvoie à l’histoire de sa mère, dont, âgé de 1 mois, il a été séparé. « En apprenant sa mort, à 7 ans, j’ai appris son existence. Sans cette blessure initiale, je n’aurais sans doute pas eu le besoin d’écrire. »


De son enfance paysanne, dans une famille adoptive, il dit avoir gardé la ténacité, la lenteur. « J’ai gardé des vaches pendant des années : je n’allais à l’école que cinq mois par an, de la Toussaint à Pâques. » De sa vie d’enfant de troupe, à Aix-en-Provence, l’angoisse et la rébellion. « Beaucoup de jeunes gens sont morts parce qu’ils avaient fait cinq fautes au brevet élémentaire : c’était éliminatoire. Il fallait qu’ils s’engagent et très tôt ils partaient en Indochine ».
« J’aurais aimé », dit-il, « être médecin ». A 23 ans, il renonce à ses études, à l’Ecole du service de santé de Lyon, pour se consacrer à l’écriture. C’est le début d’une descente aux enfers. « Je n’avais pas les moyens d’expression à la mesure de ce que je voulais ». Ses rencontres avec d’autres solitaires, Beckett ou le peintre Bram Van Velde sont intenses, ponctuées de longs silences : il note, de mémoire, de rares propos, fulgurants.


Ascèse douloureuse



La hantise du suicide ? « Travailler en soi-même pour se connaître : pour cela, il faut, dit-il, passer par une sorte de mort à soi-même dans laquelle le corps est vraiment impliqué ». Les titres des cinq tomes déjà parus du Journal – de Ténèbres en terre froide à L’Autre Faim – évoquent une ascèse douloureuse qui, de 1957 à 1992, mène à une sérénité lentement conquise. « Il m’a fallu des années pour comprendre que je me servais de l’écriture comme d’un instrument pour me clarifier, m’unifier. J’étais soutenu par une sorte de nécessité intérieure ».
« Gratitude à Haldas », qui, en 1973, se souvient-il aujourd’hui, publie son premier livre, Fragments, aux éditions Rencontre, à Lausanne. A Bernard Noël, qui transmet à Fata Morgana les admirables Rencontres avec Bram Van Velde. Et à Paul Otchakovsky-Laurens, qui publie en 1978 le premier tome du Journal chez Hachette, et qui, aux éditions POL publiera la plupart de ses poèmes et de ses proses : plus de vingt ouvrages.

Il aura fallu aussi s’affranchir des « admirations excessives ». Beckett ne lui écrit-il pas : « Éloignez-vous et de mon travail et de vous-même » ? « C’est moi, précise Juliet, qui ai renoncé à aller le voir. Je sentais que son œuvre avait sur moi une action mortifère. C’est une œuvre très importante dont je me suis senti très proche toutes ces années. Je n’étais pas loin d’être un personnage de Beckett ». Si Leiris a beaucoup compté pour lui, il regrette finalement qu’il ne se soit jamais « désapproprié de lui-même ».


Sa passion pour la peinture ne s’est, elle, jamais démentie. « J’ai réalisé plus de trente livres avec des peintres, dont Au long de la spirale – chez Maeght – avec Bram : c’était vraiment un ami. J’avais sans doute de grandes affinités avec lui : ce n’est qu’après coup que j’ai osé me le dire ». Grâce à Claude Mettra, il a réalisé sur France-Culture nombre d’entretiens avec des peintres, Ubac, Soulages, Bazaine, Velickovic. « Je prépare actuellement une émission de télévision sur Cézanne. Je me sens très proche de cet homme, qui a été très lent à se trouver. J’aime beaucoup les artistes de la maturité qui réalisent le meilleur de leur œuvre dans le dernier tiers de leur existence, comme Giacometti ou Louise Nevelson ».
Il en va de même pour Charles Juliet, que deux récits autobiographiques ont fait connaître, assez tard, d’un large public : L’Année de l’éveil (1989), qui le libère de son enfance en uniforme, et Lambeaux (1995), poignant diptyque dédié à ses « deux mères », qui le délivre de l’inconsciente culpabilité d’être né. Lambeaux, rétrospectivement, livre le sens d’une histoire, d’un parcours, de la masse du Journal aux ellipses des poèmes.


Dans son journal de Wellington, Juliet cite « l’unique trait de pinceau » dont parle Shitao, peintre chinois du XVIIe siècle.
Des mots qui évoquent densité et dépouillement. « Ils me font penser à cet unique poème qu’au début de mon parcours j’aurais voulu écrire, à l’exclusion de tout autre ». N’est-ce pas une façon d’évoquer cette « seconde naissance » – cette harmonie, au-delà du déchirement, à laquelle il n’a cessé d’aspirer ? « Ce n’est pas un renoncement, dit-il, mais un apaisement ».


Monique Pétillon, Le Monde, 6 mai 2005



Au pays des merveilles de Juliet


D’août 2003 à janvier 2004, l’auteur de L’Année de l’éveil a vécu en Nouvelle-Zélande. Voici le journal qu’il en a rapporté.


Jamais il n’est si longtemps allé si loin. Il n’en revient pas – au sens propre. Cinq mois en Nouvelle-Zélande, lui qui ne parle même pas l’anglais ! Il a donc voulu tenir le journal intime de sa propre stupéfaction, la chronique exhaustive de son dépaysement. C’est très émouvant. Car si Charles Juliet a vieilli, il n’a pas changé. A 70 ans et à vingt mille kilomètres de chez lui, il demeure le petit gardien de vaches adopté par des fermiers de l’Ain et le rugueux enfant de troupe d’Aix-en-Provence. Il s’étonne de voyager comme il s’émerveille d’être devenu écrivain, avec une part de naïveté qu’il revendique et dont il tient qu’elle le protège du désenchantement où tombent la plupart de ses contemporains. Pour celui qui a vaincu la pauvreté, l’ignorance, le mutisme, la dépression, la tentation du suicide, qui a été « entravé » , « verrouillé », tout semble en effet une manière de miracle. L’année de l’éveil sans cesse recommencée.


Sur cette île que les Maoris appellent « le pays du long nuage blanc », il assiste à des matchs de rugby, sa passion, et fait la connaissance de Chris Laidlaw, le légendaire capitaine des All Blacks. A Waiheke, il est saisi par la beauté picturale des plages de sable. Dans le bush, il tombe en admiration devant un kiwi – « pas d’ailes, un long bec fouisseur, et il ne sort que la nuit ». Au coin des rues, son regard se pose avec ravissement « sur les belles poitrines avantageusement mises en valeur par les sweaters qui les moulent ». Il aime la lumière du soir sur la baie de Wellington, le mugissement des grands vents et les encouragements silencieux de ce jeune homme qui, l’apercevant à sa table de travail, chaque jour le salue d’un signe de la main. Tel un rescapé, il n’en finit pas de se surprendre à être heureux de vivre. Des poèmes, glissés au fil des pages, expriment ce bonheur conquis de haute lutte, qu’il ne craint plus désormais d’exposer. Parfois, il est rattrapé par son passé. Il suffit qu’il relise L’Étranger, de Camus, ou découvre un article consacré aux dizaines de milliers de malades mentaux morts de la faim, pendant la dernière guerre, dans les hôpitaux psychiatriques pour qu’il pense à sa mère, dont il a raconté, dans Lambeaux, le tragique destin.


De toutes les rencontres qu’il a faites en Nouvelle-Zélande, la plus marquante est celle d’une morte, la poétesse et nouvelliste Katherine Mansfield. Il visite sa maison natale à Wellington. Il s’imprègne de son enfance et des rhododendrons qu’elle a respirés. Il caresse ses manuscrits à la National Library. Il relit sa correspondance et la tutoie comme une sœur ombrageuse. Il pense avec la jeune tuberculeuse que la seule façon d’atteindre à la connaissance et à l’amour, c’est la douleur. Il a l’impression de se retrouver dans sa solitude et son exil – elle est morte à Fontainebleau, sous la coupe de l’inquiétant Gurdjieff, à l’âge de 34 ans. Et lorsqu’il est de retour à Lyon, il regerette déjà les paysages dont Katherine Mansfield avait la nostalgie. On a l’impression que Charles Juliet n’a tenu ce Journal que pour offrir à l’auteur de La Maison de poupée de revoir, une dernière fois, son pays natal. Cadeau.


Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur, 31 mai 2005

Et aussi

Charles Juliet Grand Prix de Littérature de l'Académie Française 2017

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