— Paul Otchakovsky-Laurens

Les Mauvestis

Frédéric Valabrègue

Dans le quartier de Bon-Secours, à Marseille, des jeunes gens se la jouent, se la racontent, se la pètent, en un romancement de leur personne, pétrifiés par leur dignité, tenant autour de leur roi-soleil, Antoine Ambrosi, une geste d’arrière-cour tissée par la gêne, la maladresse, l’amour-propre, l’espoir d’acquérir une tenue, une langue, une pensée. Mais peu à peu, leur superbe s’abîme sur de nombreux récifs, ceux de la carte du Tendre et de l’Utopie.

 

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La presse

Un coup d’éclat marseillais


Dans Les Mauvestis, Frédéric Valabrègue raconte le destin, les rêves et les révoltes de quelques habitants du quartier du Bon-Secours à Marseille. Un livre imprévisible, étonnant, d’une rare hardiesse.


Avec Les Mauvestis, son cinquième livre, Frédéric Valabrègue n’a pas écrit un roman. C’est le mot « chronique » qu’il a inscrit sur la couverture. Chronique au singulier. Ce parti pris n’est pas de simple commodité. Il donne à réfléchir et oriente la lecture comme il a, on peut le supposer, déterminé le projet d’écriture. Le découpage en vingt-cinq séquences (plus que des chapitres), l’attention déportée de l’intrigue et de la narration sur les personnages eux-mêmes. Les uns après les autres, ils deviennent les héros, ou plus précisément les récitants, de chacune de ces séquences, donnant au livre une scansion particulière, tout à fait originale. Ainsi, la chronique – le pluriel orienterait vers l’idée d’une promenade, avec scènes de genre et démonstration du savoir-faire de l’auteur – peut-elle se soustraire aux lois du roman et gérer autrement la fiction.


À chaque avancée du livre, l’auteur complète ses portraits, les affine. Car c’est cela qui l’intéresse : les personnes, leur destin – tragiques, cela va sans dire –, leurs soucis, leurs rêves, leurs révoltes. Et par-dessus tout leur voix, leur parole. C’est l’aspect le plus exemplaire des Mauvestis, son coup d’éclat, son audace. Frédéric Valabrègue, pour parler de ces héros ou pour les faire parler, n’use pas du langage stéréotypé qui est censément celui des banlieues. Il invente, redéploie une langue, confère un style. Et donc une dignité, une profondeur, une complexité. Une rhétorique. C’est là que le terme de « réparation » trouve son sens. « Ne plus subir l’éternelle gueule de bois proposée par le tout-venant des opinions, des vocabulaires, des images et des objets », tel est le combat que Valabrègue confie aux Mauvestis : « ce désir de vivre, d’accéder à une vie meilleure ». Le détail de leurs aventures, entre noblesse et misère, est l’expression dramatisée de ce désir.



À la fin de ce livre étonnant, imprévisible et d’une rare hardiesse, avant le dénouement tragique, une question collective est posée : « Nous qui jouons avec les Lego des époques, la sémiologie facile des labels, des marques, dont même la conversation est interrompue par des spots publicitaires, qui sommes des patchworks, des assortiments, quelle parole pouvons-nous encore prononcer qui ne soit pas d’occasion, de seconde main ? » Loin d’être anecdotique, la question engage la part essentielle de l’humanité – et qu’elle ait à voir avec la parole est tout sauf un hasard – dont, confusément, chacun des personnages, et l’auteur dans leur sillage, sent qu’elle est menacée. Sinon déjà détruite.


Patrick Kéchichian, Le Monde, 29 avril 2005


Les mots dits


Avec ce cinquième livre, Frédéric Valabrègue met à mal les banalités de la télé, d’abord en offrant à chacun de ses personnages un langage propre, loin du parler estampillé « banlieue ». Plutôt que le folklore et le « sexy frelaté des cités, du sous-prolétariat, de la délinquance », Valabrègue les dote d’une langue châtiée et mouvante, d’une rhétorique qui s’élabore en même temps que la pensée. « Notre luxe, dit l’un d’eux, il réside dans le verbe (le verbeux ?) ».



Et c’est bien leur seul luxe : comment refaire le monde autrement que par le « verbeux » quand la génération précédente a tout fait, et échoué en tout ? Comment (s’)inventer, alors qu’on est né « après les remake », « quant il n’y a même plus eu d’histoires à bégayer » ? Comment s’accrocher à quelque chose quand on sait que l’amour lui-même n’est pas rédempteur, et que dans chaque idylle se joue une répétition ?



Vers la fin, les « mauvestis » découvrent que le langage aussi est frappé du sceau de la redite, et donc de l’échec : « Quelle parole pouvons-nous prononcer qui ne soit pas d’occasion, de seconde main ? » Forcément, le dénouement sera tragique. Tragique mais surprenant, fidèle au reste de ce roman téméraire et sensible, ou plutôt, comme le désigne la couverture, à cette « chronique ».



Non pas un assemblage de chroniques plurielles, celles qui valent moins par leurs personnages et leur contenu que par leur auteur, ses humeurs, son regard et son style, mais bien une chronique unique, cousue par et sur les êtres qui la peuplent. Et c’est ainsi, en écrivant son livre comme une chronique, que Frédéric Valabrègue a réussi, avec humanité, son pari de mettre au centre cette population de la périphérie, et cette génération de tous les « après ».


Raphaëlle Leyris, Les Inrockuptibles, 18 mai 2005


[…] je trouvais, et le sentiment s’est accru depuis que le livre est fermé, que c’était tout à fait malin et pertinent de tantôt se soumettre amoureusement au réel, et de tantôt le soumettre, le réduire à jouer le rôle de porte-voix : le réel, c’est moi, c’est ce que je dis, c’est ce que disent tous mes personnages car je ne suis pas seulement Hofferer mon héros, je suis tous mes personnages. Ils m’appartiennent entièrement, ils ne disent rien que je leur ai soufflé. Quitte à faire des jeux de mots approximatifs, quitte à être bavard. Et ce que j’aimais aussi lisant le livre, ce dont je me souviens avec tendresse maintenant qu’il est lu, c’est cette abondance de la parole que j’imagine être typiquement marseillaise, ce désir d’épuiser son imagination qui va de l’Astrée, premier roman français de l’amour idéal qu’Honoré d’Urfé (né à Marseille) écrivit au début du XVIIe siècle, aux diatribes du groupe IAM, en passant par le comte de Monte Cristo […] auquel Valabrègue, dans son premier roman rendit un si bel hommage.

Ah ! Continue de parler intarissable Frédéric, continuez pages serrées de laisser échapper secrètement la voix qui vous fit naître afin que nous le gardions en mémoire et que nous ayons la patience d’attendre son prochain chant.


Michéa Jacobi, CCP 11


Et aussi

Frédéric Valabrègue, Prix Louis Guilloux 2011 pour Le candidat

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