— Paul Otchakovsky-Laurens

J’étais derrière toi

Nicolas Fargues

« C’est dans la trentaine que la vie m’a sauté à la figure. J’ai alors cessé de me prendre pour le roi du monde et je suis devenu un adulte comme les autres, qui fait ce qu’il peut avec ce qu’il est. J’ai attendu la trentaine pour ne plus avoir à me demander à quoi cela pouvait bien ressembler, la souffrance et le souci, la trentaine pour me mettre, comme tout le monde, à la recherche du bonheur. Qu’est-ce qui s’est passé ? Je n’ai pas connu de guerre, ni la perte d’un proche, ni de maladie grave, rien. Rien qu’une banale histoire de séparation et de rencontre. »

 

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La presse

Cinéma nova


Avec un récit de rupture tourné comme un film, Nicolas Fargues signe un roman retors sur le cinéma amoureux.


Nicolas Fargues est un écrivain trentenaire doué et très malin. Un garçon sur qui se sont penchés beaucoup de fées. Et qui s’emploie toujours, cinq romans après, à observer ses contemporains avec une lucidité cruelle, élégante et distanciée. Ici, il met en scène comme dans le remarqué One man show un homme qui ressemble à tant de petits Blancs de sa génération : friables, oscillants qui ont besoin de se raconter que leur vie est plus belle et plus grande que celle des autres. Mais conscients aussi, croient-ils. Pas dupes de leurs propres faiblesses dont ils se servent pour nous montrer combien ils les assument. Celui que J’étais derrière toi est père de famille, marié, deux enfants, beau gosse. Il raconte à un proche, qu’il prend sans cesse à témoin, sur un ton relâché la fin volcanique de son mariage et le début d’une nouvelle histoire d’amour. Comment ces six mois de chaos sentimental lui ont permis de se rendre compte qu’il était « comme les autres »… mais cet aveu est au moins autant un soulagement qu’une déception et tout le récit va s’appliquer à explorer cette contradiction-là. Scrupuleux d’interpréter l’histoire sans complaisance, le narrateur enferme peu à peu son interlocuteur muet dans ses « Tu vois ce que je veux dire ? » piégés. « Rien qu’une banale histoire de séparation et de rencontre », prétend-il tout en tentant de sortir par tous les moyens le scénario de sa banalité. Au point que l’autodénigrement qu’il pratique souvent sans doute comme gage de sa sincérité apparaît comme un masque d’une vanité par ailleurs ostensiblement revendiquée. Tout en passant son temps à relativiser le caractère exceptionnel de ce qu’il vit, il ne peut s’empêcher de faire remarquer à plusieurs reprises à quel point ce qui lui arrive – comme le fait qu’une Italienne inconnue lui laisse son numéro de téléphone sur une carte de restaurant – se voit d’habitude dans les films ou les romans. Il se la joue, dans un cinéma amoureux où tout le monde est beau, les acteurs, le cadre, la lumière. Dans la mise en scène d’un certain romantisme avec son dosage nécessaire d’érotisme, de passion violente, où tout, glauque et médiocre compris, est rhabillé glamour. Un pays africain pauvre comme un « rade terminus », une Italie très « art de vivre toscane », une mégapole d’Asie du Sud-Est chargée de testostérone où la femme trompe le mari avec un amant-étalon dans la touffeur d’une chambre d’hôtel : l’exotisme des décors permet de décoller du simple vaudeville. Jusqu’à la bande-son – une vraie « playlist » de Radio Nova –, avec ses chansons de R&B lascif et ses languides crooners latinos, parfaitement raccords.

Rompu la rhétorique amoureuse et sexuelle contemporaine, Nicolas Fargues manipule les codes du récit de rupture, pris presque comme un genre à part entière. La distance, la capacité d’autoanalyse qu’est convaincu d’avoir le narrateur impose un léger décalage avec les figures imposées et les clichés. C’est très bien fait, assez redoutable même, cette façon de verrouiller le récit en tricotant très serré les fils de la lucidité et du mensonge à soi-même pour régler son compte, mine de rien mais non sans compassion finalement, au pauvre cinéma de l’introspection amoureuse. Bien vu. Comme dans les livres précédents. Mais plus équilibriste dans la posture de l’observateur à qui on ne l’a fait pas. Plus subtil dans la caricature. Et la légère amertume que cela laisse signe aussi à la réussite de ce roman à l’ambiguïté perverse et désenchantée.


Véronique Rossignol, Livres Hebdo, 10 février 2006



La guerre des sexes


Un couple marié, avec enfants, se déchire. Sur l’amour, la jalousie, l’humiliation, le désir et l’enfer, le trentenaire Nicolas Fargues a écrit un roman magnifique.


C’est une chose qui se voit, se dit, s’écrit, se chuchote : le mâle (et surtout le mâle français) va mal, il est prêt à abandonner la partie, il est fatigué, usé, déprimé, contradictoire, ruminant, ralenti, poussif. Il perd le pouvoir, les femmes s’en emparent, retour de bâton historique, revanche normale. Un effondrement a donc eu lieu, mais pourquoi ? Le stupéfiant roman de Nicolas Fargues radiographie la situation. Jamais on n’a encore aussi bien décrit, dans un style soutenu et vif, la nervure de la guerre des sexes et l’aliénation masculine de notre époque, celle des hommes de 30 ans dont les mères semblent avoir perturbé le tonus. Modiano nous a déjà dit les ravages de sa mère « au cœur sec ». Houellebecq, de son côté, a insisté sur le traumatisme subi dans son enfance par l’absence de tendresse de la sienne. Fargues, lui, va plus loin : son narrateur est constamment lessivé par sa vie de couple. Il va s’en tirer, mais à quel prix.


C’est une confession crue, brûlante et hâtive. Le narrateur blanc adore sa femme noire, ils ont deux enfants, ils vivent dans un drôle de pays tropical. Le contrat est celui d’une fidélité absolue et d’une transparence réciproque constante. On est donc en pleine idéalisation fusionnelle, fatale erreur. Le narrateur fait un petit écart de conduite et il l’avoue : deuxième erreur. A partir de là, sa femme le trompe à son tour, mais le lui reproche, et c’est la violence déchaînée, la cruauté jalouse au jour le jour. Le narrateur ne se fait pas de cadeau, il se trouve monstrueux, sacrilège, coupable, il parle de « sa sale gueule de saccageur d’épouse et de mère », il accepte toutes les humiliations, au point de se faire tabasser par son épouse avec un manche à balai en aluminium dévissé de sa brosse. « En fait, constate-t-il, j’ai épousé une folle. » Portrait : « Alexandrine m’impressionne trop, elle est trop grande, trop femme, trop froide, trop distante, trop sévère, trop altière, trop intelligente, trop exigeante, trop imprévisible, trop foudroyante, trop punitive, trop crispée, trop âpre, trop perpétuellement insatisfaite de tout, trop orgueilleuse, trop agressive […], le cul entre nous, c’était pas de la rigolade, c’était un drame, c’était devenu pour moi un vecteur d’angoisse absolue, et pas moyen de rigoler avec ça… »


Voilà l’enfer : on ne rigole pas, on s’appartient corps et âme, on n’a pas droit au secret, on doit dire la vérité en jurant sur la tête des enfants, on ne passe rien, on s’espionne, on se soupçonne, on souffre, on croit qu’on a raison de souffrir. Et tout cela parce que le narrateur, « Don Juan contrarié, fidèle, idéaliste, romantique », a cru pouvoir éviter la guerre, ce qui revient à la porter à son comble. Moralité : « Je viens de réaliser que je viens de perdre tant d’années de ma vie à chercher et à recevoir de la douceur et de la bonne humeur d’une femme qui me trouvait trop doux, pas assez mec à son goût. » En somme, il est resté « comme un môme avec sa môman ». Stupide.
Et voici le contrepoison : le narrateur est en Italie, il dîne dans un restaurant avec des membres de sa famille, il va très mal, mais le serveur lui apporte un petit mot en italien signé Alice : « J’étais derrière toi », avec un numéro de téléphone. Une fille le drague donc. « Je trouvais ça osé, sexy, féminin, italien. » Fargues n’a pas assez de mots admiratifs pour la vie en Italie, la vie toute simple, l’air, la détente, au-delà des clichés et des stéréotypes culturels. Il va téléphoner à son Italienne, une étudiante de 20 ans. Elle est très jolie, c’est « une nana vive, vivante, marrante, alerte, critique, pas narcissique ». Les plus belles pages du livre racontent cette rencontre. C’est tout de suite l’entente consciente, la souplesse, et pourquoi pas, l’amour. Bien entendu, la guérison n’est pas immédiate, le narrateur retourne en enfer, avoue, obéit à sa femme, lui promet de rompre avec son Italienne, se trouve minable, lâche, odieux, se voit obligé de jouer dans une mauvaise série télé, plaint sa femme en larmes, dont il dit très justement : « Elle me haïssait de ne pas être aussi malheureux qu’elle. » Il apprend la clandestinité, les coups de téléphone en douce, les SMS envoyés à des milliers de kilomètres, avec des réponses en italien qu’il est obligé de traduire. (Alice et lui, quand ils se parlent, le font dans un anglais approximatif.) Pour finir, il cesse de se sentir coupable, apprend à être « impie » en mentant sur la tête de ses enfants, et va même, miracle, jusqu’à citer Nietzsche : « Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort. » C’était bien une question de vie ou de mort. Adieu donc Alexandrine, bonjour le désir, bonjour l’Italie, bonjour Alice, et surtout bonjour à soi-même, après une vie de chien tenu en laisse par sa propre peur. « Je me suis sauvé la vie », dit-il. On sent décidément que ce magnifique roman est beaucoup plus qu’un roman, et c’est pourquoi on a envie de souffler à l’auteur : bonne chance.


Philippe Sollers, Le Nouvel Observateur, 16 mars 2006



Fragments d’un déboire amoureux


C’est l’écrivain de l’envers des décors. Malgré sa gueule d’ange à qui on donnerait le bon Dieu sans confession et même tous ses saints en prime, Nicolas Fargues possède une manière bien à lui de décaper les apparences au Kärcher.


Après avoir rhabillé la télé dans One man show, désacralisé les charmes de l’exotisme dans Rade terminus, il éreinte le couple et la mythologie amoureuse dans J’étais derrière toi. Un roman-confession captivant et (à double) tranchant qui en dit des sévères sur les hommes d’aujourd’hui.
L’histoire est aussi vieille qu’Adam et Ève si, avant la chute, ils avaient eu le temps de se marier et d’avoir des enfants. Comme si chaque amour portait en germe sa propre déchéance, comme si chaque aventure sentimentale était réversible, un sale matin, on dérape et on n’en finit plus de tomber de haut, d’ouvrir les yeux et de découvrir son couple sous un nouveau jour.


Fin de l’innocence et début de l’enfer. Jusqu’à ce tête à queue, le narrateur et doublure de l’auteur formait avec Alexandrine un couple témoin, celui qu’on donne en contre exemple à « L’amour dure trois ans ». Et voilà que « monsieur pas de problèmes » « inoxydable, tout-terrain, inentamable, trop orgueilleux pour souffrir » persuadé jusque là que les chagrins sont réservés aux faibles, se réveille monsieur tout le monde, pataugeant comme un couple sur trois dans le marasme conjugal. Il l’a trompée, elle l’a trompé, et s’ils s’étaient trompés depuis le début ?


Avec une lucidité féroce, Nicolas Fargues passe la désagrégation d’un couple aux rayons X, montre comment les malentendus creusent le sillon de la haine, comment la souffrance de l’une nourrit la culpabilité de l’autre, comment la mécanique de la rupture est inéluctable. « Il y a une boue putride permanente qui englue nos rapports. Entre nous, ça moisit, ça pourrit de jour en jour ». C’est verrouillé, écrit serré, diaboliquement raconté, mais pas seulement. Nicolas Fargues ravive les couleurs du discours amoureux en le boostant de mails, accidents de SMS, sur une bande originale lancinante. Plus gonflé, il inverse les genres en montrant un homme effrayé, voire terrorisé, par sa femme. Et touche à la banalité du mâle en tirant le portrait d’un couple fait d’une femme bien d’aujourd’hui, toute en rigueur et en exigence, et d’un homme frisant la lâcheté dans son souci obsessionnel de plaire à tout prix et à tout le monde. En cassant son image de trentenaire lisse, l’écrivain offre un miroir à pas mal d’hommes dans lequel ils ne se découvriront pas les plus beaux…


Si J’étais derrière toi convainc, c’est parce qu’il est écrit sur le fil. Nicolas Fargues oscille entre dépression et égocentrisme, auto flagellation et narcissisme, déception de se découvrir comme les autre et soulagement d’avoir enfin le droit de ne pas être à la hauteur. Et c’est ce balancement qui sonne vrai, tout comme le double mouvement qui consiste à faire la peau à la mythologie amoureuse tout en dépeignant sa nouvelle aventure comme forcément exceptionnelle. « Ça n’existe qu’au ciné, non, que l’inconnue qui laisse son numéro de téléphone sur la table du mec se révèle aussi belle à la première rencontre ? ». Entre cynisme et romantisme, Fargues a choisi, au risque de se tromper encore, mais ça c’est une autre histoire, un autre roman ?


Olivia de Lamberterie, Elle, 27 février 2006



C’est quoi l’amour ?


Un homme, deux femmes, du talent, et voilà un magnifique roman d’amour. Sur le ton d’une conversation entre amis, un jeune trentenaire confie ses atermoiements. C’est drôle, émouvant, fin.


Lorsqu’on referme le dernier roman de Nicolas Fargues, tombé dans le piège délicieux de la narration à la première personne, pourquoi ne pas l’avouer, on est conquis, attendri, enamouré et l’on se prend à chercher la photo de l’auteur sur la quatrième de couverture … Mais P.O.L n’est pas un éditeur pour midinette : la littérature ; rien que de la littérature. Que va-t-on chercher d’autre, d’ailleurs ! L’écriture met l’homme à nu, Fargues lui-même l’affirme : «  Un écriture maîtrisée, quand tu sais la décoder, il n’y a pas à dire, il n’y a pas plus évocateur des possibilités mentales et du pouvoir d’imagination d’un individu, c’est ta meilleure carte d’identité, ton meilleur interprète, ton meilleur porte-parole.  »


Décodons, sans le déflorer, ce roman qui raconte une histoire d’amour d’une banalité splendide, de celle qui fait les grandes œuvres. J’étais derrière toi  : par ce petit mot griffonné sur un carton, Alice, une jolie Italienne, entre dans la vie du narrateur alors qu’il dîne au restaurant, hagard, abattu. Sa femme, dont il est fou, l’a trompé un mois auparavant avec un Noir « grand et musclé » qui lui a tourné les sens. Il ne s’en remet pas.

La trivialité de l’adultère retire à ce trentenaire sémillant et intelligent, un garçon « sans problème » qui avait tendance jusqu’alors à trouver que le malheur des autres confinait à a vulgarité, toute aptitude à l’ironie. Et c’est tant mieux pour nous car les romans d’amour s’accommodent mal de la dérision. Désarmé, car ce bel esprit se confie comme on parle à un ami, avec simplicité et honnêteté : « c’est parce qu’Alexandrine était du genre qui ne rigolait pas et qu’elle avait un pouvoir absolu de vie et de mort sur moi que cet épisode banal a pris des proportions démesurées dans ma tête. » Il est charmant.


Des scènes de ménage homériques


Pourtant, l’auteur sait ce qu’il fait. Exprimer sa douleur avec les mots de la rue, c’est éviter l’emphase toujours risible en ces affaires. Relâcher son expression permet d’épouser le flux de sa conscience et ses ondulations vertigineuses, tantôt sublimes, tantôt grossières. On est au centre palpitant des contradictions où se débat un homme déchiré entre deux femmes : la mère de ses enfants qu’il aime avec passion, mais une passion tordue, et une jeune fille gracile qui lui ressemble et dont la douceur l’attire.


Le romancier insère adroitement dans ce fleuve de pensées des tableaux savoureux. Il campe des scènes de ménage homériques, appuyant juste ce qu’il faut sur le ridicule de la situation pour ne pas tomber dans le mélodrame, mais sans donner dans le sarcasme qui brise l’émotion. Ici et là, il pique des détails sur lesquels il brode avec intelligence ou joliesse, détails qui parfois se muent en digressions, donnant de l’ampleur au texte. L’Italie lui inspire de très belles pages. Les capitales du Sud-Est asiatique le mettent en verve. Et voilà sa petite histoire hissée sur la scène mondiale, minuscule et universelle.


C’est quoi l’amour, se demande Fargues ? Tout donner pendant dix ans à une femme qu’on admire mais qui vous terrorise, ou passer quelques jours enchanteurs avec une âme sœur ? S’il ne tranche pas, l’écrivain parvient à fixer poétiquement quelques éclats de vérité : « Avec elle, j’ai l’impression que, même si je n’atteindrai jamais le bonheur, je n’aurai plus besoin de le chercher. »


Astrid de Larminat, Le Figaro, 2 mars 2006



Nicolas Fargues, fière allure


Ce roman d’un désordre amoureux très contemporain, puisant ses ressorts dans les récits anciens, suscite de la jubilation et un peu d’inquiétude.


Christian Authier, Le Figaro magazine, 11 mars 2006



Un homme en miettes


Nicolas Fargues est un trentenaire à la belle allure. Il vit et travaille à Madagascar. Ses premiers romans – il commence à publier en 2000 – ont tous été remarqués. Lucides, cruels parfois, tous ont été édités aux éditions P.O.L. Fargues n’était donc plus un inconnu quand est paru son dernier roman. Déjà, il s’en était pris avec talent aux écrivains et à leurs ridicules, avec Le tour du propriétaire, aux maniaques de l’exotisme avec Rade Terminus et aux modes de vie des gens de télé dans One man show. Et voilà que J’étais derrière toi fait un tabac. Il galope depuis dix semaines dans le peloton de tête de la course aux meilleures ventes, il s’y installe, il s’y affiche. Les critiques se disent « conquis, attendris » (Le Figaro), la presse le couvre de fleurs, les femmes le trouvent beau, et Philippe Sollers, en nous disant sur une page entière du Nouvel Obs « que ce magnifique roman est beaucoup plus qu’un roman », dit vrai.


Écrit sous la forme d’une confession adressée à un interlocuteur qu’on imagine un ami de longue date, de ces amis auxquels on dit tout, J’étais derrière toi est un livre dans lequel on respire l’air et le langage d’aujourd’hui. Il nous entraîne dans la guerre sans merci que se livre un couple en voie de désagrégation. Le narrateur, trente ans, vit à Tanambo, « à l’autre bout de la planète » (les noms des lieux sont volontairement fantaisistes. On pense à Madagascar bien sûr, encore que ce mot ne soit jamais prononcé). Marié depuis une dizaine d’années à Alexandrine, une Noire au charme ravageur, rencontrée quand ils avaient vingt ans, ils forment un couple heureux. Ils ont deux enfants. Alexandrine est une femme qu’il adore et à laquelle il a toujours été fidèle. Jusqu’au jour où, erreur fatale, le narrateur avoue à sa femme un écart de conduite : il a eu un bref coup de cœur pour une chanteuse de passage. L’aveu provoque le désespoir d’Alexandrine qui, certes, est aimante mais aussi castratrice et intransigeante. Après la douleur, les cris et les larmes, vient la fureur. Alexandrine tente de se suicider. Elle détruit toutes les lettres et toutes les photos de leurs dix ans de couple puis fiche une raclée au fautif, qui, penaud et sincère, cherche à se faire pardonner. Mais la fureur change de camp lorsqu’à sa grande surprise, le mari trompeur apprend, de l’aveu même d’Alexandrine, qu’elle aussi a eu une liaison avec un homme de sa race « plus black, plus balèze, plus wild » que son mari. Auto flagellations, séances de fouilles dans les affaires d’Alexandrine à la recherche de preuves, scènes sans fin, explications orageuses, essais répétés de vains rabibochages, se succèdent jusqu’au jour où le narrateur annonce à Alexandrine qu’il la quitte.


Quelques mois après, pendant un voyage en Italie pour se changer les idées, le narrateur rencontre une étudiante de dix ans sa cadette. Elle s’appelle Alice et c’est elle qui l’a dragué. Elle lui a fait porter par le serveur d’un restaurant dans lequel le narrateur dînait, un billet avec son numéro de téléphone et quelques mots en italien, « ero dietro di te », j’étais derrière toi… Les plus belles pages du livre sont celles où nous est racontée la renaissance de l’homme en miettes, ses retrouvailles avec le bonheur et avec la Méditerranée : « Je vais enfin reprendre la direction du sud, enfin la mer, enfin ma Méditerranée, je suis sauvé. »


Edmonde Charles-Roux de l’Académie Goncourt, La Corse, 15 décembre 2006


Et aussi

Nicolas Fargues, Prix du livre France Culture-Télérama pour : Tu verras

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