— Paul Otchakovsky-Laurens

Mek-Ouyes amoureux

La lectrice aux commandes – Mek-Ouyes chez les Testut

Jacques Jouet

Après avoir gouverné sa république personnelle sur une aire d’autoroute, la République de Mek-Ouyes, dont il était à la fois le président et le citoyen unique, Mek-Ouyes est allé de l’avant. Il a exploré les nouveaux territoires du Monde-Mondes, que le pouvoir général a dégagés, pour en découvrir finalement les limites et les monstruosités. (Voir La République de Mek-Ouyes, première et deuxième parties, éditions POL, 2001)
Ce roman feuilleton (un roman-feuilleton étant par définition un roman qui ne finit pas, puisqu’il est...

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La presse

Bienvenue à Mek-Ouyes!


De retour du marché (ou de l’église !), vous l’avez peut-être entendu un dimanche à midi, sur France culture, chercher "des papous dans la tête" de ses camarades Gérard Mordillat, Jean-Bernard Pouy ou Hervé Le Tellier. Peut-être l’avez-vous croisé dans un couloir de la Bibliothèque nationale de France, à l’occasion d’une lecture publique de l’Oulipo. Vous savez, l’Oulipo : OUvroir de LIttérature POtentielle. Car l’auteur de La République de Mek-Ouyes, jouée actuellement au Théâtre des Amandiers de Nanterre, est un membre actif de ce prestigieux club littéraire. Fondé en 1960 par Raymond Queneau, inoubliable créateur des aventures de Zazie, l’Oulipo est une cour de re-création littéraire, un espace d’érudition, de digressions, d’inventions. Voici comment ses membres se présentent : "Et un AUTEUR oulipien, c’est quoi ? C’est un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir. Un labyrinthe de quoi ? De mots, de sons, de phrases, de paragraphes, de chapitres, de livres, de bibliothèques, de prose, de poésie, et tout ça..."


Jacques Jouet a rencontré les oulipiens à la fin des années 70, en suivant un atelier d’écriture. Il y avait là Georges Perec, notamment, et Jacques Roubaud. "Travailler avec ces gens-là fut extraordinaire." Il décide alors de consacrer l’essentiel de son temps à l’écriture. En 1983, il est adoubé : bienvenue au club !" Cela prend un peu de temps avant d’être élu. Une fois membre de l’Oulipo, on ne peut pas démissionner, ni être exclu. Quelques-uns se sont effacés", confie-t-il. Souvent perçus comme des excentriques rigolards, les oulipiens sont en fait des acharnés du travail et des adeptes de la discrétion. "L’idée fondatrice de Queneau repose sur la recherche fondamentale, la fabrication de la littérature. Le but est de faire du nouveau, mais sans pratiquer la politique de la table rase. Au contraire, notre travail repose sur une connaissance des oeuvres existantes." Les oulipiens sont des auteurs disciplinés. Une fois par mois, ils se réunissent pour présenter leurs travaux, répartis en cinq rubriques : création, érudition, rumination, action, menus propos. "Nous ne nous regroupons pas pour créer des oeuvres, mais pour inventer des formes. Cette démarche n’est pas toujours comprise. D’autant que ce renouveau, nous ne souhaitons pas nous l’approprier, mais le destiner à d’autres auteurs. Une invention oulipienne est vouée à resservir." Peu connu en France, l’Oulipo bénéficie d’une forte notoriété à l’étranger. "Nous sommes régulièrement invités dans d’autres pays. En avril, par une université américaine, à la rentrée prochaine par la maison des écrivains de Berlin."


Ce travail austère et souvent abstrait, Jacques Jouet ne le conçoit pas comme une échappatoire. Après ses quatre années en fac de lettres en 1968, il dirige des Maisons de jeunes et de la culture pendant dix ans dans la banlieue sud de Paris. Quand il s’oriente pleinement vers la littérature, il continue d’animer des ateliers. Auteur touche-à-tout, le théâtre est un genre qui l’inspire. Chaque année, il part un mois en Afrique pour participer à des créations de troupes locales : au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Niger. Il travaille également plusieurs mois avec les employés de Testut, à Béthune, qui se mirent en grève en 2002 pour protester contre la fermeture de leur usine. C’est là qu’est né le personnage de Mek-Ouyes. Dans le récit que la grève des Testut inspira à Jacques Jouet, Mek-Ouyes est un chauffeur routier qui livre de la tôle à l’usine. Dans La République de Mek-Ouyes, il proclame, par un beau jour de ras-le-bol généralisé, la naissance de sa propre république. Il en sera l’unique citoyen et président, sur un territoire de quelques hectares : une aire d’autoroute. Mis en scène pour le théâtre, ce roman est avant tout un feuilleton, dont plusieurs épisodes ont déjà paru (chez P.O.L.). L’auteur nous a d’ailleurs révélé un secret : la République de Mek-Ouyes est immortelle. "J’ai désigné un confrère plus jeune que moi, par testament, pour continuer le feuilleton après ma mort et pour qu’il désigne à son tour un successeur..."


A l’image de son titre, La République de Mek-Ouyes mêle burlesque et politique. Jeux de mots et d’idées. Brouillé avec sa femme, viré par son patron, Mek-Ouyes est pris d’un désir subit de tout envoyer balader. Il déchire ses papiers et proclame la naissance de sa République : celle de Mek-Ouyes. L’intrigue repose sur l’existence d’un liquide étrange, contenu dans son camion, qui pourrait avoir la puissance d’une bombe nucléaire si l’on y plongeait... un cornichon ! De nombreux Etats envoient illico un ambassadeur pour tenter de négocier, d’éviter la catastrophe. Même les Américains... Leur façon de négocier est d’ailleurs particulière : un interrogatoire sans fin et sans possibilité de réponse. L’Etat français n’est pas mal représenté non plus : le président est une présidente (tiens, tiens... Jacques Jouet serait-il visionnaire ?), mais ce n’est pas forcément un atout. Son discours est inaudible, répétitif, ridicule. Tandis que, de son côté, Mek-Ouyes est approché par un sanglier. Entre deux grognements, il passe des nuits à discuter philosophie avec le routier.


Le chemin sur lequel veut nous emmener l’auteur n’est pas celui d’un rejet libertaire de la République. "Mek-Ouyes est un convaincu de l’esprit républicain, mais il est fortement déçu par ce qu’elle est devenue, commente l’auteur. On voit bien aujourd’hui que quantité de personnes se sentent exclues de notre république. Pour moi, la république, c’est l’utopie qui existe peut-être. Je n’aime pas l’utopie à la Rabelais qui exclut d’entrée les emmerdeurs, les cons, les moches. C’est facile. Non, la république se fait avec tous. C’est cela qui est difficile... et beau." L’écriture, qui jongle entre le jeu et la réflexion, est très bien servie par la mise en scène. L’irruption d’un camion sur scène, l’apparition aérienne d’une James Bond Girl, la prestation impeccable des personnages secondaires et de Jean Benguigui, en bleu de travail, dans le rôle-titre, donnent à cette pièce le rythme nécessaire pour ne pas décrocher. Des crampes de zygomatiques sont à prévoir pour cause de fou rire.


Luc Chatel, Témoignage Chrétien, 9 mars 2006