— Paul Otchakovsky-Laurens

La Belle Roumaine

Traduit du roumain par Alain Paruit

Dumitru Tsepeneag

Est-elle vraiment si belle, Ana l’affabulatrice ? En tout cas, elle ensorcelle tous les hommes, cette pulpeuse Roumaine. En Allemagne d’abord, où deux philosophes se partagent ses faveurs, en France ensuite, où elle passe des soirées torrides avec le beau Iegor, un émigré russe plutôt inquiétant. Mais elle-même, n’est-elle pas inquiétante aussi ? De quoi vit-elle ? On l’aurait vue faire le pied de grue au bois de Boulogne… Et qui est-elle ? Une aimable réfugiée ou une redoutable Mata Harescu ? Enfin, lorsque le jour se lève, n’est-ce pas la nuit qui tombe pour elle ?

 

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Traductions

Autriche : Wieser | Bulgarie : Balkani-93 | Italie : Aisara, Zonza | Portugal : Oceanos-Asa | Turquie : Pupa

La presse

Etrange étrangère


Avec La Belle Roumaine, Dumitru Tsepeneag signe un pseudo-roman d’espionnage dont la protagoniste - irrésistible, d’après l’avis unanime des figurants qui l’observent ou la traquent - entraîne le lecteur dans des péripéties abracadabrantes.


Cela se passe à Paris, à Berlin, à Bucarest, à Florence, à Francfort, sur le Pont des Arts, au Bois de Boulogne, au bois dormant, où vous voulez...


La belle Roumaine, Ana, Ann, Annette ou Hannah, suivant les détours du scénario, est blonde ou brune, médecin ou prostituée, touriste ou agent secret, dangereuse ou naïve, amante fougueuse ou blasée. Mythomane sûrement, capable de fabriquer de toutes pièces sa légende, selon la formule de Novalis placée en exergue par Tsepeneag : « La vie ne doit pas être un roman qui nous a été donné, mais un roman que nous avons fait nous-mêmes ».


Pour faire contrepoids à la séduisante Anna qui préfère, elle, les ébats aux débats, l’auteur met en scène un bataillon de seconds rôles masculins : un bistrotier gauchiste et frustré, un turfiste malchanceux, un peintre autoritaire, un Russe alcoolique et jaloux, un duo de philosophes allemands, tous amateurs de dissertations - fastidieuses par endroits - sur la race, le sexe, l’enfance, Freud, le Coran, l’exil, la traduction, la résurrection, la francophonie, l’américanophilie, bref, tout ce qui réclame « un vocabulaire composé de mots longs comme une file d’attente en Roumanie, de ces mots qu’on réussit parfois à déchiffrer tant bien que mal, sans pour autant les comprendre - ou pire ! - en comprenant juste le contraire ».


En dépit de ce qu’affirme le Russe Iegor - « Moi, la politique, j’en ai ras la chapka ! » -, les livres de Dumitru Tsepeneag tournent de manière quasi obsessive autour des péripéties, hautement romanesques, engendrées par la chute du mur de Berlin et la dégringolade des régimes communistes.


Le drame du métèque se joue tout entier dans ce fragment de dialogue digne de Ionesco : « D’où sortez-vous ? - De chez moi. - Non, je voulais dire "de quel pays". » Las de subir le énième interrogatoire du genre, l’homme sans valises brandit fièrement sa carte d’identité française, que personne ne veut regarder. « Les Français sont discrets et polis. C’est du moins l’image qu’ils aiment donner d’eux. En tout cas, ils n’ont pas la fibre policière. Ils ont plutôt celle d’une concierge, ça oui, et de plus en plus. »


Mais l’intérêt du roman Tsepeneag est ailleurs, dans ce qui pourrait passer « soit pour une erreur de montage, soit pour un raffinement dans la composition de la bande-son » : reprises, inadvertances, variantes, épisodes cycliques, répétitions d’événements factuels ou imaginaires, rêves ou cauchemars récurrents. Quand Jean-Jacques, le bistrotier, tombe vaguement amoureux d’une Florentine nommée Silvia Burlesconi (!), rien d’étonnant à ce qu’il se mette à broder, le soir dans son lit, des intrigues romanesques des plus saugrenues.


Ces débauches d’imagination, d’ailleurs épuisantes, rappellent un certain art de l’évanescence pratiqué dans les années 60 par les représentants de l’onirisme roumain - dont Tsepeneag - en guise de bouclier contre l’agression quotidienne du « réalisme socialiste » : « Silvia perdit petit à petit toute consistance réelle dans son esprit livré au doute et exténué par tant d’exercices narratifs, il ne subsista d’elle qu’une ombre sans contour, une tache grise dans l’obscurité et, enfin de compte, rien du tout... » Cette même propension onirique empêche d’ailleurs Jean-Jacques de croire à l’existence réelle du « fameux Manolescu imaginé par Thomas Mann », au grand dam de son client-copain Iegor qui s’escrime à lui prouver par a plus b qu’il n’y a pas de fumée romanesque sans feu : « Il n’est pas tombé du ciel, le personnage, il ne sort pas d’un songe du romancier... »


C. C. M. Tageblatt, mai 2006