— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Mot sablier

Dumitru Tsepeneag

L’écrivain qui doit quitter sa langue pour une autre est-il pareil à ce soldat sans armes qui déserte son pays et dont la fuite éperdue tient d’une course de cauchemar dans un temps suspendu ? Mue douloureuse s’il en est. De vieilles phrases collent à la chair et quand on a réussi à les en arracher, il y reste encore des lambeaux de mots, des grains de syllabes anciennes. Peu à peu cependant le vieux langage bat en retraite, moulu jusque dans ses structures, et finit par disparaître face à l’invasion du nouveau. Mais quand on a enfin traversé et que, le tablier du pont derrière soi, on est arrivé sur l’autre rive, arrivé à faire langue neuve, a-t-on...

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Traductions

USA : Dalkey Archive Press

La presse

L’écriture du Mot sablier a quelque chose d’hypnagogique -- incertaine, travestie, frontalière, clandestine. Tout le roman de Tsepeneag se dévore ainsi en s’écrivant. C’est remarquablement construit, plein de queues de poisson et d’ironie, presque fou. Pervers. Grains de sable ou grains de mots dans les rouages, récit bloqué et enrayé, Tsepeneag a réussi un magnifique sabordage. C’est peu dire qu’il met mal à l’aise : le théâtre du vertige.


Le Matin



Roumain, Dimitru Tsepeneag expose, d’entrée de livre, les tourments de l’écrivain qu’on traduit et ceux de son traducteur (ce traître suivant le jeu de mot en Italien traduttore, tradittore) avec, de surcroît, la nécessité immédiate de la mise en français, pour qui vit en dehors de la patrie, contraint.


Cela dit, et malgré les craintes de l’auteur et le terrible exergue de Cioran (un autre Roumain dont on connaît le pessimisme foncier), le texte se lit avec plaisir ; c’est l’histoire d’un livre qui se fait sous nos yeux, l’accouchement douloureux d’une autre langue...


Mais au fil du temps inexorable, l’identité profonde de l’écrivain, de langue à langue, ressurgit avec ses fantasmes et sa complexité. Alors, on peut se demander si ce n’est pas l’épreuve du langage, la rupture avec un passé, lequel aurait pu être une vie commode et aller de soi de jour en jour, qui donnent relief à l’aventure d’écrire. Si ce n’est pas l’exil, les contraintes étrangères, le dépaysement, qui confèrent à une oeuvre un poids et une portée accrus. Dans le dur apprentissage de l’exil se trempe le tempérament de l’auteur et s’affirme l’authenticité de son écriture.


Bulletin critique du livre français, 1984