— Paul Otchakovsky-Laurens

Un privé à Tanger

Emmanuel Hocquard

Pas plus que Un Privé à Babylone de Richard Brautigan n’est un vrai polar, Un Privé à Tanger n’est un roman. C’est un « mélange », c’est-à-dire une collection de textes de factures différentes mais d’inspiration commune. Mais la référence policière indique qu’il s’agit bien d’une enquête, d’une investigation, à quoi se mêlent la biographie d’E. Hocquard, le reste de son œuvre, le port franc de Tanger où l’auteur en effet a passé son enfance et son adolescence : années de formation, terrain privilégié de la mémoire.


« De...

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Traductions

Brésil : Luna Parque Edicoes (Anthologie extraits de Ma Haie et Un privé)

La presse

Le poète enquête


Que cherche ce détective privé dans les rues de Tanger ? Emmanuel Hocquard, limpide


Non, Un privé à Tanger n’est pas un roman mais une passionnante enquête poétique, sous forme de fragments. Elle est menée par un « privé » omniprésent dans les livres d’Emmanuel Hocquard : dans Le commanditaire (POL, 1993), il se nommait, par exemple, Thomas Möbius. L’enquête se déroule donc à Tanger, « l’arrière-pays » où l’auteur a passé son enfance et son adolescence, entre 1945 et 1956 : un paysage lumineux qu’il n’a eu de cesse d’évoquer, d’Album d’images de la villa Harris (Hachette-POL, 1978) à Une grammaire de Tanger (CIPM , 2012). Ici, une terrasse, avec vue sur le détroit de Gibraltar. A la maison, on parle une « petite langue de tous les jours », différente du français, appris en classe à la manière d’une « langue morte » : c’est la première énigme relative au langage.Emmanuel Hocquard revient souvent à son apprentissage de l’écriture et de la lecture – résumant, dans l’épilogue, les métamorphoses du « cancre » en écrivain, puis en « détective privé ». L’idée « bizarre » de son enfance selon laquelle les écrivains « écrivent leurs livres tout imprimés » l’a incité à en composer de ses propres mains. Elle l’a mené de 1969 à 1986 à s’associer avec le peintre Raquel dans l’aventure éditoriale d’Orange Export Ltd. (Flammarion, 1986), où il a publié Anne-Marie Albiach et Claude Royet-Journoud.


« Droit au but »


D’une « longue cure de polars » - notamment Raymond Chandler – et d’une lecture assidue des poètes américains objectivistes, tel Charles Reznikof, Emmanuel Hocquard a puisé une écriture qui va « droit au but ». Sa prose limpide répond à son goût de la « ligne claire », irrécusable, qu’il a trouvé également chez Valéry Larbaud ou même Pierre Loti – et qui donne « l’impression de la transparence ». Les anecdotes qu’il rapporte sont des « indices » dans l’investigation. Parmi les poèmes présents dans l’ouvrage, paru initialement en 1987, figure une magnifique Elégie : mais c’est une « élégie inverse », sans affect. Au bout du compte, le privé comprend qu’il n’a jamais enquêté que sur lui-même.


Le Monde, Monique Petillon, vendredi 13 juin 2014