Un privé à Tanger
Emmanuel Hocquard
Pas plus que Un Privé à Babylone de Richard Brautigan n’est un vrai polar, Un Privé à Tanger n’est un roman. C’est un « mélange », c’est-à-dire une collection de textes de factures différentes mais d’inspiration commune. Mais la référence policière indique qu’il s’agit bien d’une enquête, d’une investigation, à quoi se mêlent la biographie d’E. Hocquard, le reste de son œuvre, le port franc de Tanger où l’auteur en effet a passé son enfance et son adolescence : années de formation, terrain privilégié de la mémoire.
« De...
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Pas plus que Un Privé à Babylone de Richard Brautigan n’est un vrai polar, Un Privé à Tanger n’est un roman. C’est un « mélange », c’est-à-dire une collection de textes de factures différentes mais d’inspiration commune. Mais la référence policière indique qu’il s’agit bien d’une enquête, d’une investigation, à quoi se mêlent la biographie d’E. Hocquard, le reste de son œuvre, le port franc de Tanger où l’auteur en effet a passé son enfance et son adolescence : années de formation, terrain privilégié de la mémoire.
« De Tanger à San Francisco, de New York à Leningrad, j’en ai vu de toutes les couleurs et j’ai eu affaire à pas mal de gens. Il en faut beaucoup pour m’impressionner. Mais la nuit dernière, quand j’ai poussé ma porte et que je les ai trouvés, installés chez moi, à boire mon whisky, mon sang n’a fait qu’un tour. A mon bureau, le sheriff R. Chandler roulait un crayon entre ses doigts ; Ch. Reznikoff, le médecin légiste, était assis très droit sur mon unique chaise ; quant à l’attorney général, L. J. Wittgenstein, il se tenait debout, une cigarette éteinte collée entre ses lèvres minces. C’est à ces trois-là que je dois, pour l’essentiel, ce que je connais du métier. Et c’est sans doute grâce à eux qu’on ne m’a pas encore retiré ma licence. L’attorney général pointa l’index dans ma direction et me lança, d’une voix coupante comme un rasoir : “Tâchez de bien vous enfoncer dans le crâne qu’une enquête ça n’a jamais été autre chose qu’un processus logique d’élucidation.”
Je me réveillai, trempé de sueur. Je n’étais pas au bout de mes peines... »
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Traductions
Brésil : Luna Parque Edicoes (Anthologie extraits de Ma Haie et Un privé)
La presse
Le poète enquête
Que cherche ce détective privé dans les rues de Tanger ? Emmanuel Hocquard, limpide
Non, Un privé à Tanger n’est pas un roman mais une passionnante enquête poétique, sous forme de fragments. Elle est menée par un « privé » omniprésent dans les livres d’Emmanuel Hocquard : dans Le commanditaire (POL, 1993), il se nommait, par exemple, Thomas Möbius. L’enquête se déroule donc à Tanger, « l’arrière-pays » où l’auteur a passé son enfance et son adolescence, entre 1945 et 1956 : un paysage lumineux qu’il n’a eu de cesse d’évoquer, d’Album d’images de la villa Harris (Hachette-POL, 1978) à Une grammaire de Tanger (CIPM , 2012). Ici, une terrasse, avec vue sur le détroit de Gibraltar. A la maison, on parle une « petite langue de tous les jours », différente du français, appris en classe à la manière d’une « langue morte » : c’est la première énigme relative au langage.Emmanuel Hocquard revient souvent à son apprentissage de l’écriture et de la lecture – résumant, dans l’épilogue, les métamorphoses du « cancre » en écrivain, puis en « détective privé ». L’idée « bizarre » de son enfance selon laquelle les écrivains « écrivent leurs livres tout imprimés » l’a incité à en composer de ses propres mains. Elle l’a mené de 1969 à 1986 à s’associer avec le peintre Raquel dans l’aventure éditoriale d’Orange Export Ltd. (Flammarion, 1986), où il a publié Anne-Marie Albiach et Claude Royet-Journoud.
« Droit au but »
D’une « longue cure de polars » - notamment Raymond Chandler – et d’une lecture assidue des poètes américains objectivistes, tel Charles Reznikof, Emmanuel Hocquard a puisé une écriture qui va « droit au but ». Sa prose limpide répond à son goût de la « ligne claire », irrécusable, qu’il a trouvé également chez Valéry Larbaud ou même Pierre Loti – et qui donne « l’impression de la transparence ». Les anecdotes qu’il rapporte sont des « indices » dans l’investigation. Parmi les poèmes présents dans l’ouvrage, paru initialement en 1987, figure une magnifique Elégie : mais c’est une « élégie inverse », sans affect. Au bout du compte, le privé comprend qu’il n’a jamais enquêté que sur lui-même.
Le Monde, Monique Petillon, vendredi 13 juin 2014