— Paul Otchakovsky-Laurens

Trois capitaines

Danielle Mémoire

Trois capitaines est un roman-jeu, un roman-piège : tout se passe au travers d’écrits dérivés, secondaires : lettres, carnets intimes. C’est-à-dire que le roman n’y est jamais donné comme tel, comme fiction, ce qui procure paradoxalement une étonnante impression de réalisme ou, plus exactement d’authenticité. Il s’agit de recomposer pour un écrivain qui pourrait très bien se reconnaître dans l’un de ses livres la vie d’un autre écrivain qui vient de mourir. Une femme, proche de ce dernier, s’y attache, distillant au long de lettres énigmatiques des informations qui ne le sont pas moins. Ainsi une figure mystérieuse,...

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La presse

Vous seriez par exemple, vous, lecteur bien réel des Trois Capitaines de Danielle Mémoire, enfermé en compagnie de quelques personnages imaginaires dans une pièce sans ouverture (ou dans un livre sans commencement), entièrement tapissée de miroirs bien entendu imaginaires eux aussi. Alors vous seriez en droit de vous poser au moins deux questions. Comment êtes-vous entré dans cette pièce (ou dans ce livre) ? Et en quoi êtes-vous différent des personnages qui vous entourent ?


Situation au demeurant sans rapport avec le roman de Danielle Mémoire mais qui donnera au moins une vague idée de la redoutable machination dont notre pauvre raison raisonnante va se faire ici la victime consentante et ravie.


Mais venons-en aux faits, si l’on peut dire ! Un certain baron Lucas, alias French Lady, de très douteuse identité, écrit des lettre sà un certain Charles Long, célèbre biographe non moins hypothétique, pour l’inciter à écrire une biographie, ou peut-être une vie romancée, d’un certain Alexandre Juiliers plus hypothétique encore, écrivain de son état quoique n’ayant à peu près rien écrit.


Dans ces conditions, bien malin qui prétendrait retrouver les petits de son bon sens avant la dernière page. A la fois spectateur subjugué et acteur passif de ce théâtre d’ombres réglé comme le ballet d’automates d’une boîte à musique, il ne nous reste qu’à nou sen remettre aveuglément à cette Danielle Mémoire, dont rien ne prouve d’ailleurs qu’elle ne soit pas elle-même imaginaire, à nous laisser prendre à son jeu et à ses pièges.


On peut seulement regretter que ce roman épistolaire monté comme un piège parfait - au sens d’un crime parfait - soit coupé en son centre par un long, trop long carnet intime où Lucas/French Lady rapporte les dits et gestes de l’écrivain qui n’écrit pas. Ce qui pouvait être l’occasion de donner un tour d’écrou supplémentaire à cette machine infernale s’enlise malheureusement assez vite dans un dédale de considérations aphoristico-métaphysiques peu convaincantes.


On peut sauter des pages, on aurait pourtant grand tort de renoncer. Danielle Mémoire a su mettre de ruse et d’intelligence à déployer les infinies ressources de l’imaginaire romanesque qu’elle achève son livre au point exacte où elle nous achève, nous laissant à la dernière page vaincu autant que convaincu, anéanti autant qu’ébloui.


Mais ces Trois Capitaines - pour l’âge des capitaines la question reste ouverte -, au-delà d’un exercice d’une surprenante virtuosité, c’est aussi un roman sur l’art du roman, ses jeux de masques, ses pouvoirs de séduction, ses philtres hypnotiseurs et ses ensorcellements.


Entre Danielle Mémoire et André Rollin, rien de commun à première vue. Il y a même fort à parier que ceux qui se raviront de l’un s’exaspéreront de l’autre et inversement. A moins que... Des goûts et des couleuvres... Justement, ils s’accordent au moins là-dessus, à nous en faire avaler l’une comme l’autre, des serpents à sonnettes, tournant finalement autour du pot de la même question : qu’est-ce qu’un personnage de roman ?


Philippe Boyer, Le Matin, 1987



En un siècle où l’esprit de conversation et la violence feutrée de la joute oratoire sont partout appréciés, la lettre mérite d’être considérée comme une oeuvre littéraire à part entière. Danielle Mémoire, qui manie la langue française en virtuose, restitue avec une évidente jubilation ses titres de noblesse au genre épistolaire lequel avait vu tarir sa veine la plus heureuse et la mieux inspirée à la mort de la marquise Sévigné. La lettre autorise un irritant jeu de cache-cache, sous les pseudonymes les plus divers et les plus fantaisistes ; Danielle Mémoire travestit les ou le (?) véritable signataire des lettres qui composent l’ensemble de sa dernière publication : Trois Capitaines. La lettre permet d’esquiver l’impasse du récit linéaire, elle ose toutes les variations littéraires, elle est l’expression la plus pure et la plus raffinée du plaisir d’écrire. L’épistolier ne s’enferme pas dans le carcan de la narration qu’il faut à tout prix mener à terme, l’appellation roman qui s’inscrit au-dessous du titre Trois Capitaines est une imposture derrière laquelle se dissimulent des textes semblables à ceux que l’on ose parfois commettre dans son journal intime. Trois Capitaine est une incursion dans l’intériorité d’un être obsédé du désir d’écrire, pour qui la subtile complexité de la langue est précieuse, l’entrelacs de mots savamment combinés pour former une phrase, procure un plaisir pervers et voluptueux : la jouissance de l’écriture.


Y. N., Gai Pied, novembre 1987