— Paul Otchakovsky-Laurens

Affûts

Charles Juliet

Au commencement, l’exil, l’épuisement, l’abandon de tout espoir. Et puis cette lente marche, sans issue imaginable, cette marche obstinée, à la recherche du lieu où la torture cesserait, où se déploierait la réponse. Mais n’est-ce pas faire fausse route, forcément tourner en rond que chercher une réponse ? Rugueux et martelés, ces poèmes sont ceux de la détresse et de la recherche, mais ils ouvrent aussi à cette possibilité d’une réconciliation et d’un accomplissement dont la femme est l’initiatrice.

 

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La presse

Sept mouvements pour planter le décor, pour attendre, pour dire. Pour se dire, pour dire la flemme, pour dire l’autre. Puis, lorsque tout est dit, le mystère reste entier. Ainsi Charles Juliet, derrière ses mots, derrière ses textes, un peu comme l’errant pris à contre-courant. Cherchant la fuite, il s’installe. Cherchant l’apaisement, il est saisi par l’écoeurement. Il va pour être, il est pour aller à sa propre rencontre, à la rencontre de ce corps : aide-moi/à naître.


Naître, tantôt pour être, tantôt pour n’être rien, ni personne. Etre mots, échecs, chemins, sans plus. Etre hors du temps et en ce temps, être un autre, aller vers lui. Quelques mots me suffisent pour appréhender Juliet : forer, pénétrer, chavirer se loger, enchâsser, labourer. Quelques mots aussi suffisent au poète pour dessiner son chemin. Ses mots et les miens ne sont pas nécessairement identiques, sauf peut-être pour forcer les limites pour atteindre à l’élémentaire : qui suis-je/où aller/ que comprendre


Hésitations ou ambiguïtés ? Contradictions ? Tantôt Charles Juliet tend vers l’amour, tantôt vers le nihilisme, vers un désir d’effacement. Soit pour mieux se retrouver, soit pour mieux frôler l’autre. Soit encore pour s’éloigner et de l’un et de lui-même. Pour s’en libérer : enferme-moi avec toi-même dans la cave où il attend que tu lle rencontres, le libères.


Le poète est cet exilé à la recherche d’une épave échouée/hors du temps qu’il lui faut à tout prix ramener à la lumière, au lieu, au nom, au familier. Ou simplement à l’instant qui fixe l’instant premier : l’instant du recommencement, de l’immémoriale fusion de l’homme et de la femme, de la plénitude, de l’intime éclosion, de la (re)naissance. Entre le terrible cauchemar du chaos et l’émerveillement du cri de la vie, Charles Juliet instaure un état poétique, son état poétique : les assises de l’amour sans cesse recommencé.


Gaspard Hons, Le Mensuel littéraire et poétique, 1990



[...] Si elle n’est pas moins habitée de passion, et plus encore, de fureur et de férocité dans sa rage d’expression, la poétique de Charles Juliet dans Affûts est d’une toute autre nature : celle d’une permanente révolte et d’un défi à l’existence, comme s’il était nécessaire, pour en faire l’épreuve, de l’arracher au moyen de forceps aux entrailles du néant. Ce langage, d’une prodigieuse vélocité - voracité - d’élocution (et qui ne perd jamais une bribe d’immédiate intelligibilité) dans son découpage prosodique privilégie le vers bref, fortement articulé et rythmé, à l’occasion la laongue séquence semi-narrative d’un discours véhément qui s’inscrit très directement dans la lignée d’Antonin Artaud. On connaît Charles Juliet pour les trois tomes de son percutant et pathétique Journal. Il ne nous étonne et ne nous empoigne pas moins dans son lyrisme - ou son anti-lyrisme, si l’on veut - forcené qui conduit perpétuellement l’être à son extrême limite, à l’écoute de l’inaudible, ou dans le déferlement charnel qui ravage et sublime le couple. Juliet écrit : Quand on demeure étranger, tout est si étrange./Quand on rejoint la source, qu’on entre en communion, que dedans et dehors s’abolissent, l’étrange est de se découvrir le familier et l’ineffable.


Dans la parole de braise de ce poète chez qui « s’éveille la voix/de l’élémentaire », se poursuit avec acharnement « la quête de la vie », « la vie comme un poème », où ce n’est pas uniquement le sens de l’ineffable qui se manifeste, en overdose, mais la fascination de la mort, l’obsession du corps suspendu à son propre vide, de la chair martelée par son propre inconnu... Vision d’enfer, qui pour autant n’est jamais désespérante, qui contraint à se cabrer, à résister. Ce livre superbe, à retracer son « expérience par les gouffres » nous communique sa passion d’écorché, où la blessure participe au déchiffrement du monde et au défrichement de l’homme.


Charles Dobzynski, Europe, 1991

Et aussi

Charles Juliet Grand Prix de Littérature de l'Académie Française 2017

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