— Paul Otchakovsky-Laurens

Les Fainéants

Traduit de l’italien par Martine Guglielmi

Marco Lodoli

Dans ce roman vont se croiser un vieux marchand de bijoux de pacotille, qui raconte l’histoire, une gigantesque joueuse de basket, un Africain mystérieux et hâbleur, vendeur de lunettes et de gris-gris qui ressasse et réinvente indéfiniment le récit de son arrivée en Italie. Il tente ingénument sa chance comme boxeur, puis comme chanteur, mais réussit, plus prosaïquement, en imprimant de faux billets de banque. Commence alors, entre rêve et réalité, angoisse et joie, une poétique fiesta fellinienne.

 

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La presse

Le narrateur est un vieux veuf inconsolable, un peu paumé, mais digne, qui cherche quelqu’un à aimer. Il le trouve dans la personne d’un Africain, vendeur à la sauvette, chaleureux, optimiste, plein d’imagination et de fantaisie. Chanteur à ses heures, boxeur un jour, prétendument ambassadeur et vrai faussaire, celui-ci entraîne son ami tremblant dans des aventures curieuses. Mais c’est surtout un conteur qui fabrique du rêve. Il enchante ses auditeurs et nous enchante.


Commencé dans la bonne humeur le récit, d’abord drolatique, devient peu à peu onirique et tendre. Les cinéphiles y découvriront des images « à la Fellini ». L’écriture parfaitement maîtrisée révèle des trouvailles à chaque page.


Notes bibliographiques, 1992



Le bijoutier et le colporteur


Veuf, à la retraite, Lorenzo s’ennuyait. Et puis un jour, il a rencontré Gabèn l’Africain, vendeur de lunettes de pacotille.


« Je me suis arrêté devant un jeune Noir qui avait étalé sur un carton une petite collection de fabuleuses lunettes de couleur. » Lorenzo, qui raconte l’histoire, a les cheveux blancs, il est fatigué. Ancien bijoutier ambulant à la retraite, il se sent seul, résigné. Pourtant, il s’empare de petites lunettes, les chausse et aussitôt la gare de Termini à Rome s’inonde d’un beau soleil. C’est ainsi qu’a commencé son amitié avec Gabèn. D’où vient-il, Gabèn ? D’Afrique, bien sûr. Si, pour chaque circonstance, il sait inventer une version différente de ses origines, l’histoire est toujours belle à écouter, et le temps doux à passer auprès de lui. Avant, pour Lorenzo, les heures se traînaient. L’âge, la solitude, depuis la mort de Caterina sa compagne, géante tendre folle de basket, faisaient de lui un exilé. Sa couleur, son imagination, son activité de marchand de lunettes de pacotille et de gris-gris mettent aussi Gabèn à l’écart. A eux deux, ils vont pouvoir veiller, rêver, jouer. Au-delà de toutes les barrières de génération, de culture ou de race, l’amitié les rassemble.


Pourquoi alors, Gabèn ne serait-il pas un grand boxeur et Lorenzo son manager ? Aussitôt dit, Gabèn « impatient comme un gosse » voudrait déjà se précipiter à la salle, en short et peignoir ! Lorenzo en raison de son âge se veut prudent. Il s’informe donc. « Tu sais boxer, Gabèn ? » « Bien sûr, j’ai combattu au moins cent fois au régiment ! » Et la fièvre gagne Lorenzo, le manager du poids moyen Gabèn !


Une autre fois, c’est de chant qu’il s’agit. Gabèn fera carrière, Lorenzo sera son agent, ils brasseront de l’or ! Gabèn sait-il chanter ? En tout cas, quand il empoigne le micro sur la scène du Camarillo et que de sa bouche fermée s’échappe la mélodie, c’est comme « un long tourbillon, un python de notes qui s’élève doucement. Il enserre l’air dans ses spires, étreint le coeur et l’emporte plus haut sur une branche couleur d’azur ». Et peu importe si la berceuse ne réussit qu’à tirer des larmes au garçon hébété, qui les congédie aussitôt. La musique douce et déchirante de Gabèn est au rythme de l’écriture de Marco Lodoli. « Elle suggère de lointaines images et d’autres colorées comme celles qui naissent dans le monde intérieur de Gabèn. » Et nous lecteurs, comme Lorenzo, regardons émerveillés l’éventail d’images, brillantes et vives, qui se déploie.


Jocelyne Sauvard, Jeune Afrique, octobre 1992