— Paul Otchakovsky-Laurens

IL

Dominique Fourcade

Livre après livre, Dominique Fourcade s’approche avec anxiété, avec bonheur, de quelque chose d’essentiel qui se trouve dans la langue, cette langue qui nous fonde et nous définit dans un mouvement constant. Le travail de Dominique Fourcade est au cœur de ce mouvement, il va au plus près des mots car il sait qu’une part de nous-mêmes est là, que nous l’avons consciemment et inconsciemment mise, et qu’en cherchant la trace comme il le fait, brisant l’ordre, le rythme, il met à jour l’essence même de notre être.
Ce livre qui se voulait une photographie du motif de la poésie, vu de dos parce qu’autrement tout est faux, se trouve n’être qu’une...

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Traductions

USA : La Presse Poetry

La presse

Le motif qui donne naissance à Il provient du Dictionnaire étymologique du français de Jacqueline Picoche. Légèrement modifié par Dominique Fourcade, il donne à l’ouverture du livre : « Clé pour le présent : il y a un groupe de racines voyelle + 1 qui indique l’objet éloigné, le poème sans doute, et qui est commun aux mots IL. AUTRE, OUTRANCE-UTTERANCE. » Pour entendre, cerner cet Il, le poète confronte l’écriture (et donc lui-même) non plus à ce qu’il appelait dans un précédent livre le « point aveugle » (Xbo), mais à la mort. Se confronter à la mort, c’est, dans le siècle, faire face à la plus grande amplitude qui transforme à chaque instant le poète (le renverse) de victime en bourreau et vice versa : « là où il est [...] / il y a juste eu une tuerie / puis ce mot / il est la victime et le bourreau comme moi comme chacun ». Ce mouvement est lourd de conséquences, et celles-ci sont toujours poussées à l’extrême de leurs limites. Il s’agit, ainsi que le dit le texte de la quatrième de couverture, d’écrire « avec des letters considérées pour ce qu’elles sont, des cadavres ». Car c’est en deçà de tout mot et dans la langue que se trouvent l’histoire de la mort et l’histoire de l’« espèce humaine » (l’expression qui revient plusieurs fois dans le livre fait entendre aussitôt le récit de Robert Antelme). En outre, ce qu’on pourrait appeler le point d’application de l’écriture est extrêmement ténu : la « nécessité d’aller dans la mort sans le pouvoir de mourir » demande au poète d’être constamment à la pointe d’un chemin exténuant, de risquer l’affaiblissement, ou encore ce qu’il appelle le « syndrome de lassitude ». Enfin, cette remontée dans la langue - saisie du monde déjà entrevue dans la poésie de Hölderlin, mais accélérée ici, contemporaine -, parce qu’elle part d’un minimum et parce qu’elle s’y tient, permet une ouverture générale du réel : « Il est le son nommé et la défiguration du nom du son - telle une citation de Walter Benjamin : " Quand je défigurais ainsi et le mot et moi-même, je ne faisais que ce que j’avais à faire pour prendre pied dans la vie ". » Il est donc un livre bouleversant, un livre de poésie ; il en paraît rarement.


Bulletin critique du livre français, février-mars 1996



Son voyage est verbal, grammatical, syntaxique et sonore. Le monde, dans sa poésie, est comme le produit du langage, le fruit, souvent amer, des combinaisons qui donnent à ce langage les couleurs du vertige. Dominique Fourcade serait-il « conducteur d’avalanche » ? Ou cherche-t-il plutôt « à être conduit par l’avanche » ?


« Ce IL qui est la figure du poème, la figure de l’éloigné / la figure de la parole, celle qui par essence va trop loin / la forme même de l’autre, celui qui me manque le plus / et c’est quand j’en suis le plus proche qu’il me manque le plus. »


Tout se passe, tout a lieu dans le poème. La vie et la mort. La lumière. Subissant une crise dont la langue est le théâtre, le pronom perd son caractère personnel. « Je », pas plus que « il », n’ont d’autre réalité, d’autre monde, que celui du poème ; poème dont « le site » « s’évanouit sans cesse à l’intérieur du poème ». Tentative extrême, extrémiste même, le livre de Dominique Fourcade s’inscrit dans la suite et la continuité des précédents. Ses obscurités, en de nombreuses pages, peuvent laisser le lecteur perplexe, décontenancé, inquiet. Rarement indifférent.


Patrick Kéchichian, Le Monde, juin 1994