— Paul Otchakovsky-Laurens

Nevermore

Marie Redonnet

Willy Bost vient d’être nommé adjoint de Roney Burke, commandant au poste de police de San Rosa, petite ville de la côte Ouest en pleine expansion.
Sur l’autoroute qui le mène à San Rosa, sa Pontiac tombe en panne et est remorquée par le coupé d’une jeune femme qui s’avère être la nouvelle chanteuse du Babylone, Cassie Mac Key, qui arrive elle aussi à San Rosa.
En ville, ils cherchent à se loger et trouvent chacun une chambre dans la maison d’hôtes que dirige Lizzie Malik, ancienne acrobate du cirque Fuch et qui fut victime d’un « accident » en faisant son numéro... A partir de cette triple rencontre, les destins vont se nouer, des liens...

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Traductions

Japon : Shuei Scha | Portugal : Asa | USA : The University of Nebraska Press

La presse

Depuis bientôt dix ans, dans ses romans ou contes comme dans ses pièces de théâtre, Marie Redonnet met en scène et développe, avec une conscience et une rigueur remarquables, ce qu’on pourrait appeler une logique du désastre. Désastre hérité, inscrit dans la généaologie et l’histoire des êtres ; désastre à venir, imminent, dont le présent est la préparation, l’attente angoissée. Mais cette catastrophe, dont le souvenir et la crainte se confondent, ne prend pas, sous la plume de l’écrivain, valeur de mythe des origines ou des fins dernières. Loin de toute préoccupation métaphysique, et à plus forte raison psychologique, c’est bien une perception critique - dans tous les sens du terme - du monde, de notre monde, que Marie Redonnet, livre après livre, construit et donne à voir.


Peu d’écrivains de sa génération - ceux qui sont nés dans les années 50 - peuvent, à ce degré, revendiquer la cohérence d’un style et d’une pensée ; pensée obsédante plus qu’idée ou théorie. Et c’est à l’intérieur de cette cohérence, conformément à une logique des plus contraignantes, que l’oeuvre se renouvelle, pour tenter de traduire cette perception et s’approcher au plus près de son objet. D’emblée donc, l’univers de Marie Redonnet est posé, qu’il s’agit d’explorer...


...Dans cet univers de violence généralisée, erratique, où l’amour et la sexualité ne peuvent être que des passions brutales, où le désordre fait la loi, on doit vivre avec l’« irrémédiable ». Alors on vit. On obéit à cette loi ; on s’accomode de ce désordre. Répétons le : cette vision rigoureusement sinistre du monde n’est pas une vision complaisante ou morbide de sa fin. Il faudrait presque dire le contraire : elle est comme l’affirmation, certes outrée, excessive, caricaturale, de sa pérennité.


On a parlé à propos des romans de Marie Redonnet d’écriture blanche, de style minimaliste. C’est un peu vite dit. Car si, comme il est encore plus visible dans ce dernier roman, l’économie de sa phrase et de sa narration est calculée au plus juste - l’auteur est passé du « je » au « il » -, si tout pahos est écarté, ce n’est pas en raison d’une pénurie de l’émotion, mais pour mieux mettre à nu les motifs de cette violence qui habite le monde ; qui l’habite plus pour le faire souffrir que pour le faire mourir.


Patrick Kéchichian, Le Monde,1994



Apocalypse ever


Ce tout petit livre sec et dérangeant, parce que son écriture, blanche, est en total porte à faux avec son contenu, une incroyable histoire à tiroirs de meurtres et de magouilles... Marie Redonnet, singulière romancière et dramaturge qui, livre après apièce, édifie depuis dix ans une oeuvre à l’univers très reconnaissable, baignant dans l’angoisse et la résignation des catastrophes, mais sans mélodrame jamais...


Nevermore nous emmène dans une drôle de ville, aux confins d’une frontière qui pourrait être celle du Mexique. Une ville nommée San Rosa, autrefois réputée pour sa baie et son volcan, et sa boîte de nuit, l’« Eden Palace », où un film a été tourné qui porte ce nom, et dans lequel une chanteuse devenue célèbre, Rosa Dore, chantait une chanson qui rendait les hommes fous d’amour. San Rosa est aux mains d’un mystérieux président Hardley et, quand Willy Bost, le nouvel adjoint du commandant Roney Burke (le shérif?), arrive, il est, comme nous, loin de s’attendre à ce qui va se passer. Et qui pourtant, de meurtres en éruption volcanique, nous mènera pas loin de l’apocalypse.


A priori, il y a là tous les ingrédients d’un formidable roman noir : l’ex-vedette de cabaret devenue femme d’affaires, pieds et poings liés avec les capitalistes du coin, régnant sur une boîte et sur les jolies filles qu’elle engage et dont elle fait les putains de ses amis, l’ex-acrobate au coeur tendre, réchappée d’un accident sans doute provoqué, rêvant à son passé dans la maison de sa grand-mère, la géante et le nain du cirque disparaissant ensemble, la chanteuse inconnue en robe blanche, Cassy MacKey, égrenant d’une voix tremblante des chansons où il est question de bombes, de femmes qu’on vend d’un lupanar à l’autre et d’une petite fille qui pleure sous la neige parce que son chien est mort...


On a déjà envie de distribuer les rôles pour un film ! Il y a encore un président aux activités mystérieuses retrouvé poignardé dans une pissotière, un garagiste aux activités équivoques et à la secrétaire parfumée, une ancienne costumière qui fait de délicieux beignets de crabe et qu’on retrouvera, elle aussi, assassinée près de son bistrot incendié, comme sera brûlé le « Babylone », yacht sans moteur, où Cassy chantait et se pliait à de sadiques exigences sexuelles.


Il y en a ici tant et tant qu’au début on perd pied. D’autant que Marie Redonnet ne nous fait pas de cadeau, aligne les personnages sans nous les présenter, et les rencontres des uns et des autres sans explications préalables. Et puis, peu à peu, le puzzle prend forme, l’angoisse nous enveloppe, la fatalité tisse ses fils et un monde se dessine, où personne n’est innocent, où les campagnes électorales opposent des coquins tous plus coquins les uns que les autres, jusqu’au prêtre qui se présentait comme le sauveur et dont on découvre qu’il fut l’un des responsables du camp d’extermination naguère installé de l’autre côté de la frontière.


Au-delà de la trame policière, c’est à l’évidence de notre aujourd’hui que Marie Redonnet, mine de rien, nous parle. Et ce n’est pas gai ! Personne ici n’est heureux. L’amour n’est que viol et violence. Le monde est dur, vicieux, vicié. Et pourtant, on ne pleure pas. On progresse, fasciné, dans cet engrenage d’où l’humour n’est d’ailleurs pas absent. Nevermore... c’est le nom, ici, d’un recommencement. D’un nouveau cabaret. La fin du monde est à nos portes, mais il ne faut sans doute jamais dire « jamais plus ». Apocalypse ever ?


Annie Coppermann, Les Echos, 1994