— Paul Otchakovsky-Laurens

Grungy project

Joseph Julien Guglielmi

Pour recouvrer le réel, mais qu’est-ce que le réel, faut-il passer par le sas abrupt de la poésie ? Ici, violemment, sans précaution, le « grungy » (grunge), emprunté au rock, assène la gifle du réel au milieu des avatars du poème, détourne le cours de livres antérieurs (la mort, le bunker, le passage).
Le réel qui compromet le projet, tout projet de poésie…
Seul demeure ce qu’elle ponctue autrement, d’une manière allusive, voire décalée, avec le rythme irrégulier, brisé, d’un mouvement « qui mâche la mémoire » (comme la ville) dans une architecture d’ennui foncier...

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La presse

[...]Le sens ! Dans le bruit des langues, malgré le bruit de la ville, avec le bruit des mots, des choses Guglielmi insiste : n’être ni ceci ni cela, naître (pour en reprendre le sens) la langue et surtout l’animer avec sa vie et un peu plus, avec son sexe, son corps, les battements de son coeur, le mordant de son âme. J’admire cette manière bien à lui de ne pas se satisfaire de la langue maternelle ; j’envie la force morale d’en défaire l’expression quotidienne - tout le monde a des / racines. J. G. s’appuie ainsi sur une façon unique de penser en parlant une langue infiniment natale ; il nous dit l’essentiel (le sens, son secret sans message) en inventant les risques : rythmes d’ailleurs, incursions de langues étrangères dans le corps de son texte, inspirations mêlées à vous couper le souffle mais jamais d’excursions au dehors ou de sorties intempestives. Avec lui et la façon qu’il a de se donner, le texte prend du relief, sa vérité la plus profonde revient à la surface... Mémoires... [...]


Didier Cahen, Cahiers Critique de Poésie, 2000



L’adéquation du vers et du projet


Il est des couples qui n’ont pas bonne presse. Ainsi celui qui réunit les mots de poème et de politique. Tout se passe comme si l’ombre des lendemains qui ont vite déchanté rendaient à jamais impossibles leurs rapports. Longtemps, Guglielmi, par ailleurs adversaire déclaré de l’épanchement lyrique et de « ses pages bien écrites », a paru tenir l’antagonisme pour évident et ses livres ont cherché d’autres présupposés et d’autres perspectives que ceux proposés par l’histoire.


Puis il a tenu dans Action Poétique un journal qui l’a confronté au réel, à l’expression multiforme du réel. Pulsions, considérations sociales, rencontres, odeurs de la ville, lectures d’Albiach aussi bien que des poète saméricains, grossièretés, insultes, rien n’a été, depuis plusieurs années, écarté dans ces pages aussi contestées que suivies. Par bien des points Grungy Project semble une conséquence direcete de cette entreprise qui plus d’une fois surgit dans ce livre [...]


Grungy Project, le titre, non sans dérision, tire à lui les caractéristiques du mouvement grunge qui, aux Etats-Unis, amène la jeunesse à se vêtir de loques, à revendiquer la saleté et les détritus. Au long des séquences n’utilisant qu’un nombre restreint de signes de ponctuation et dédaignant les procédés d’articulation (Se demendant quand changer de page ? / Quand le poème vous dégoûte), Guglielmi utilise les débris de langue d’une civilisation européenne incapable de susciter un projet d’espoir, mêle les images d’errance dans Ivry à des réflexions rapides, à des jeux de mots sans prétention (les portes cachères), passe sans raison d’une écriture verticale à des dispositions graphiques en strates, évoque Derrida, Baudrillard puis en revient à son désenchantement... Le lecteur qui sait ne pas sarrêter en route est vite pris dans un plaisir noir qui l’introduit au plus intime d’une société en faillite. Qui le met en contact avec une contestation radicale de l’ordre apparent. Pour que ce monde puisse exister, il faut qu’aient été ruinés tous les discours, toutes les architectures [...]


Avec ses poèmes qui semblent s’effilocher, son tissage faussement négligé, ce livre appartient à la catégorie des oeuvres où tout se met en place d’un coup, où l’adéquation du vers et du projet d’ensemble est telle que tout sonne juste, même les dissonances. On ne sait si c’est le projet qui pousse au poème et déterminé tel effet, telle prise de risque... ou si c’est le langage qui vient comme ça et qui finit par imposer une conceptualisation. Qu’importe ! L’invention et la réussite sont au rendez-vous de ces carrefours de la crise.


Gérard Noiret, La Quinzaine Littéraire, 1997