« Quitter l’anagramme m’a permis d’en tirer la leçon. Le langage fonctionne en même temps sur plusieurs niveaux différents, hétérogènes et même hétéroclites. A la base, il est composé de lettres, qui sont du pur non-sens. C’est l’hiver, les touristes sont partis. Sur le panneau d’affichage qui fait face à la mer, les affiches ont été lacérées, on ne voit plus que du blanc plus ou moins sali et dans le coin supérieur gauche, la lettre C. On ne sait rien, la présence de cette lettre toute seule ne parle pas plus que les gravillons sur le bord de la route. Si l’affiche avait été déchirée un peu...
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« Quitter l’anagramme m’a permis d’en tirer la leçon. Le langage fonctionne en même temps sur plusieurs niveaux différents, hétérogènes et même hétéroclites. A la base, il est composé de lettres, qui sont du pur non-sens. C’est l’hiver, les touristes sont partis. Sur le panneau d’affichage qui fait face à la mer, les affiches ont été lacérées, on ne voit plus que du blanc plus ou moins sali et dans le coin supérieur gauche, la lettre C. On ne sait rien, la présence de cette lettre toute seule ne parle pas plus que les gravillons sur le bord de la route. Si l’affiche avait été déchirée un peu autrement, peut-être, on aurait pu lire CE. Voilà un mot. Isolé comme il se présente, il ne dit presque rien. Mais tout de même : en écho, surgit la notion très vague, évanescente, d’une indication. “Ce” ne dit rien de précis mais suggère une parole qui, d’être exposée face à la mer, s’adresse évidemment à tous. J’imagine (je rêve) CE N’EST PAS PARCE QUE. Et là se trouve tout le langage. Même si la phrase n’est pas terminée. En tout cas le sens qu’elle contient est plus vaste, plus impressionnant que si on avait à lire, par exemple, CE N’EST PAS PARCE QUE VOUS AVEZ UNE VOITURE QUE VOUS ETES INSTRUIT.
Le sens émerge du non-sens, il est produit par le non-sens, et c’est tout de même très curieux, quand on y songe. J’ai compris que sens sans non-sens n’est que ruine de l’âme. Je suppose que je ne me fatiguerai jamais de mélanger différents sens pour regarder les effets qu’ils produisent, sensés ou pas. Tous les matins, j’arrose mes plantes en pot. C’est une occupation tranquille et amusante. Elles font des plis. Elles m’ont donné les Poèmes fondus, traductions de français en français, avec neuf propositions en introduction.
1- Tout poème se compose de plusieurs poèmes fondus ensemble.
2- Dans un poème, comme dans un organisme vivant, chaque élément communique avec tous les autres, quelles que soient les positions respectives.
3- De sorte que, comme le dit Jacques Roubaud, un poème ne peut finir.
4- Un poème fondu, ou implicite, est constitué par une circulation de sens entre des mots non contigus du poème explicite.
5- Les poèmes fondus dans un seul poème peuvent être de forme et de longueur variables.
6- Toute langue est douée de pensée.
7- Les mots pensent différemment selon la façon dont on les assemble.
8- On peut changer de pensée en faisant permuter les mots d’un poème, comme on peut changer de mot si on en fait permuter les lettres.
9- Ainsi un poème fondu peut-il être sensiblement différent de celui dans lequel il est fondu.
Je ne sais pas pourquoi je pratique le tercet. Je n’aime pas spécialement les tercets. Le fait est, pourtant, que j’ai écrit beaucoup (relativement) de tercets. Je n’aime pas spécialement le chiffre trois. Je n’aime pas du tout voyager en avion (claustrophobie et agoraphobie conjuguées). Pourtant j’ai (relativement) beaucoup employé l’avion comme métaphore (moyen de transport). On ne se prévoit pas toujours soi-même. Les Poèmes fondus se composent de tercets qui imitent (faussement) le haïku, avec leur rythmique de 5, 7, 5 syllabes. Mais surtout ils mélangent sens et non-sens de différentes façons.
Pour être sont plus
font tous plus nous plus ceux sont
soit sont soit bref nous.
C’est la chose à croire
comme rien et contre quoi
l’amour court encore.
Chacun est semblable.
Sa méprise symbolise
Les états du nom.
Chacun quelque aussi
plaisant plaise lisant lit
qui se trouve change.
J’ai écrit Poèmes fondus parce que j’étais entrée, en mai 1995, à l’oulipo, ouvroir de littérature potentielle, fondé en 1962 par Raymond Queneau et François Le Lionnais. »
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