— Paul Otchakovsky-Laurens

Parking des filles

Liliane Giraudon

De sales histoires ne sont pas des histoires sales. Dénaturées, plutôt, comme on le dit des alcools. À chaque « histoire » correspond, dans une sorte de partie immédiatement rejouée, une « stoire ».
Autre tirage au sens photographique, plutôt que variation musicale, les acteurs de ces planches-contacts à développement variable ne s’en tireront pas. Pour la plupart héroïnes déplacées, ils évoluent dans des décors réels (Moscou, Marseille, Bogota, La Havane…) ou incertains (hangars, berges, terrains vagues, cabanes…).
Au centre du livre, s’agitent des mains coupées, celles d’Ernesto Che...

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La presse

Parking des filles, le nouveau recueil de nouvelles de Liliane Giraudon est paru chez POL. L’écrivain marseillais poursuit son travail de modelage de la matière écriture. Surimpressions d’histoires fétides où un style limpide se confond souvent avec une poésie plus troublante.


Sitôt refermé le livre Parking des filles, on est presque étonné de l’avoir déjà englouti. Surpris de s’être coulé avec autant de facilité dans le flot de saynètes denses et diaprées que renferme ce recueil. C’est plus tard que s’installe le doute. On commence à s’apercevoir que quelque chose s’est produit. Les fils des récits qu’on pensait maîtriser nous ont échappés, imperceptiblement, presque sournoisement. Et on est bien incapable de savoir quand le décalage du sens a pu se produire. Du dernier ouvrage de Liliane Giraudon, il faut accepter de ne pas tout comprendre, accepter que notre perception des choses soit troublée, sans cesse remise en mouvement. C’est ainsi que l’on pourra saisir au plus juste l’insaissable réalité où l’ouvrage nous a entraîné. Qu’il nous sera possible d’entendre toutes les voix des « filles » qui résonnent au fil des histoires, des pérégrinations intérieures qui se construisent et se déconstruisent, selon leur propre logique.


Ecouter les voix de Kika, par exemple. La journaliste qui prolonge un « un séjour maintenant sans objet » en Amérique latine et faxe mollement quelques articles à sa revue parisienne, puis se retrouve à Cuba sur les traces des ossements du Che. Kika égrène un monde souvent absurde, un extérieur vague fait de poètes loufoques, d’amis cubains colorés, d’amants rapides et seul, peut-être, son corps malade de l’amour la ramène à la réalité. Celle d’une femme, blanche de surcroît, en Amérique Latine, où toutes les représentantes de son espèce sont, aux yeux du gynécologue indien qu’elle va consulter, « des pots de chambre », des réceptacles à microbes.


Dans le cloaque latino humide qui l’entoure où foisonnent des histoires les plus étranges de fornication avec les singes, de charnier, d’os, tout est un peu trop miteux, un peu trop pourri, les chairs un peu rances pour être vrai. Parce que le paysage intérieur de Kika qui hésite au moment où l’on tente d’examiner son sexe, entres les bananes en décomposition et les oranges trop mûres est le calque qui prend les commandes sur sa vie.


Les filles « au sexe creu », ainsi les a nommées le sculpteur où trouve refuge la petite Sarah, l’enfant fugueuse de la première nouvelle, ne sont plus là où on les attend. Si elles hantent encore les parkings pour vendre de l’amour, elles ont des visions, entendent des voix et ne sont plus dupes de rien. Elles sont toujours perméables au monde, mais ne se dissolvent plus sagement dans l’existence, elle la transperce comme des fantômes qu’elles soient à Moscou, à Marseille ou la Havane.


Parking des filles n’est pas un ouvrage sur les femmes de plus qui fleurissent depuis quelques années. Ce recueil là est d’une autre espèce, il fonctionne par petites touches, par impressions de réalité. C’est en cela qu’il devient indispensable. A chaque fois, l’histoire est prolongée par une sorte de seconde version qui éclaire et trouble en même temps la première, et le subtil décalage ne se perçoit pas immédiatement. Le savant agencement de ces surimpressions va profondément dérégler le sens du récit. Chaque révélation semble annuler la précédente, comme autant de visions d’un certain rapport au monde remis en cause de façon permanente. Les diverses strates d’impressions sont l’oeuvre d’une artiste qui travaille la matière réalité comme elle malaxerait la glaise. Elle procède à un exercice éminemment périlleux et toutes les histoires ne sont pas aussi remarquables que celle de Kika. Mais comment ne pas s’égarer un peu soi-même dans les méandres de ces parkings secrets, à entrées et sorties variables ? Comment dévoiler l’intimité de ce parking caché où se perdent les filles et qui est aussi celui où elles se réfugient et se retrouvent ?


Claire Robert, Le Pavé, juin 1998

Agenda

Mercredi 5 juin
Rencontre autour de Liliane Giraudon au Invisible Dog (Brooklyn)

The Invisible Dog
51 Bergen Street
Brooklyn

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