— Paul Otchakovsky-Laurens

Missing

Claude Ollier

Frost, un reporter célèbre dans les années cinquante, achève par la traversée d’ouest en est du Canada le tour du monde qu’il s’était toujours promis d’accomplir en « touriste » à la fin de sa vie. Il est reconnu, dès Vancouver, par un jeune homme, Fahan, un admirateur de longue date, qui le suit, l’observe, finalement l’aborde à Toronto et l’invite à rester quelques jours chez lui au bord du lac Ontario : professeur à Kingston, il se propose d’écrire sa biographie, sollicite des documents, des souvenirs, le présente à son amie, Samantha, étudiante elle-même.
L’intrigue brève et...

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La presse

Perdu de vue


« Prestidigitation de tournures, clichés sortis de la manche, (...) accouchés du pavillon de chair après trajet de poignet à osselets le long du nerf syntaxique ». Si c’est ainsi que Claude Ollier décrit la prose de son personnage ,la lecture de Missing, son dernier roman, est aussi à cette image.


Sur fond de Canada désert et enneigé, Ollier relate les errances de deux hommes, l’un au crépuscule et l’autre à l’aube de sa vie. Frost, illustre reporter des années cinquante, « circulant encore, inépuisable, mais chacun sait que c’est l’immobilité qui épuise », se livre durant son voyage solitaire à son introspection. Cet homme ambivalent et mystérieux ressasse ses souvenirs, sa carrière et les rouages qui le menèrent à son lointain succès. Car « il avait su très jeune l’illusion de tout choix : les choix rôdent autour de vous, s’acclimatent, vous testent, vous investissent ». Un concours de circonstances met sur sa route Fahan, « un jeune homme passant par-là sans la moindre prémonition de rencontre fatidique où croisée des destins ». Admirateur de longue date, celui-ci se propose de rédiger la biographie de Frost, et le présente à son amie. Une histoire brève et atypique se noue entre la jeune femme et le journaliste, bouleversant radicalement le cours des choses. Frost ayant manifestement disparu, le couple va partir à sa recherche, au milieu d’un Grand Nord hostile, où seuls se dressent des panneaux « missing » indiquant par dizaines le signalement d’enfants perdus.


Le récit bascule rapidement, pris en charge par Fahan, désormais seul, qui quarante ans plus tard tente de saisir la vérité. Entre réminiscences, nostalgie, et blizzard, Claude Ollier signe un ouvrage juste et sensible, où ses qualités de plume se manifestent brillamment.


Nathalie Dalain, Le Matricule des Anges, 1999



Avis de recherche


Au fil d’un périple, Claude Ollier recompose formes et moments pour reconquérir une mémoire


Une traversée d’ouest en est. Celle du Canada, du Pacifique à l’Atlantique. Avec une étrange échappée vers les grandes étendues du Nord. C’est dans cet espace, ouvert et blanc s’il en fut, que Claude Ollier trace l’avancée d’une mémoire et le progrès d’une écriture.


La mémoire, c’est celle de Frost, un journaliste célèbre dans les années 50, qui semble n’avoir jamais fini de parcourir le monde, mais aussi celle de Fahan, un jeune chercheur - qui deviendra vieux lui-même - attaché à son oeuvre, à son parcours, à son expérience, et décidé à écrire sa biographie. L’écriture, c’est le mouvement descriptif qui va suivre leurs itinéraires décalés, à travers le temps et l’espace. L’intrigue ? Il n’y en a pas. Simplement Fahan se souvient avoir invité un jour Frost chez lui au bord du lac Ontario et lui avoir présenté une étudiante de son université de Kingston, Samantha. Quelque chose de bref a dû se nouer entre elle et Frost. C’est tout. Cela tient à quelques images, quelques scènes, quelques situations inscrites dans le souvenir. Dans le cadre d’une étrange « absence ». Ce n’est pas pour rien que le livre s’ouvre sur l’évocation d’un trajet routier, balisé de panneaux. L’un d’eux diffuse un avis de recherche à propos d’une petite fille disparue dont on voit le visage : « Des majuscules noires coiffent image et texte, tel un titre ou le condensé sténographique d’un drame : Missing ».


Claude Ollier, depuis l’époque - lointaine, révolue ? - du « nouveau roman », a un mérite qui n’échappera à personne. Celui de la persévérance et de la fidélité à une voie qu’il s’est tracée dès La Mise en scène et Le Maintien de l’ordre, celle du dépouillement narratif et de la rigueur formelle. C’est très surprenant aujourd’hui et, en un sens, un peu passéiste en une époque où reviennent avec tant de force les fonctions d’actualité, de témoignage, de document, d’interpellation politique et sociale du roman. Ici, pas de débat éthique à envisager. Mais, en revanche, une précision esthétique dans chaque plan, chaque image, chaque scène. Non pas que Claude Ollier fasse dans le beau pour le beau - bien au contraire, le projet du roman est d’abord une reconquête de la mémoire -, mais cette reconquête ne se fait que dans une recomposition des formes et des moments.


Vancouver, Toronto...


Rien ne pouvait être plus propice à une telle recomposition que l’espace canadien jalonné de gares routières, d’aéroports, de stations de toute espèce, sillonné d’autoroutes, de rails et de bretelles, où, à tout moment, le regard s’accroche à un paysage, un décor, à un tableau du quotidien. A travers la vitre teintée d’un bus, on voit « dans le gris ouaté aux effilochures floconneuses, l’annonce tôt démentie d’une silhouette d’arbre ». Toute une carte se déploie entre Vancouver, Calgary et Toronto, où l’oeil ne cesse de capter ce qui s’offre à lui. Et quand les personnages interviennent, ils ne sont saisis que par quelques traits vifs. Telle Samantha, « si charmante ainsi, rayonnante de réserve ».


L’essentiel est sans doute dans cette plongée mémorielle qui conduit Frost à se retrouver, dans son brillant passé de célébrité, de talent, de présence au monde, à travers un territoire qu’il parcourt en « touriste » d’une vie déclinante, et Fahan à reconstruire l’existence de son héros à travers l’éloignement de la sienne. Le temps par étage. La « distance » par l’écriture. Au terme d’une étonnante succession de plaques sensibles d’une fascinante intensité.


Raymond Jean, Le Monde, 1998

Et aussi

Claude Ollier est mort.

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