— Paul Otchakovsky-Laurens

Probablement

Hubert Lucot

« Bientôt le petit espace-temps arbitraire (un bref juillet, une plage immense introduisant les notions lien, niveau, épaisseur, ainsi que les cases probables d’un damier pluridimensionnel) contient l’insistance passionnée de celui qui dans ses “premiers jours d’océan” s’étonna que de l’être soit là : une impression au-dessus des toits, la gravité d’une voix dans une cour voisine, le battement de cils d’une étrangère sans visage précis.
…contiendrait sur le mode “vivre encore” la saveur de l’expérience, celle-ci portant moins sur guerres (qui ne cessèrent), perte (de l’emploi, des cultures...

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La presse

Le sentiment du temps courant


Probablement n’est pas un roman facile d’accès. Il résiste, se dérobe, déploie un réseau de signes comparables à la profusion d’informations qui défie quotidiennement les capacités de l’entendement. C’est pourtant dans cette difficulté d’approche que réside la stimulation impossible à définir qui s’empare du lecteur. On sent bien que se joue là quelque chose qui ressemble fort au devenir de chacun, hanté par la mort et l’échappement du temps.


S’il fallait trouver un équivalent de l’écriture de Hubert Lucot, on pourrait spontanément évoquer la bande-son des derniers films de Jean-Luc Godard. L’auteur suit les pistes multiples des associations d’esprit ; des messages de toutes natures se mêlent, amputés, s’impriment dans la mémoire, miment l’épaisseur du temps qui agit par superposition de bribes. « Un souvenir, une perception vivent des blancs qui les irriguent [...] traces, tracés, rappel du timbre se révèlent un système d’enregistrement apte à noter le devenir. » L’écriture de l’auteur ménage la part de l’oubli, joue avec les lacunes de la mémoire. Entre prose et poésie, Hubert Lucot laisse apparentes les articulations du langage, malaxe les mots. Des jeux typographiques signalent, comme autant de balises, le travail de l’écrivain.


L’auteur évoque les lieux du passé et du présent (la maison de vacances de Soulac-sur-Mer, Antibes, Paris, etc.), son entourage familial et amical (prénoms et dates dessinent peu à peu un repère orthonormé dont l’espace et le temps figureraient l’ordonnée et l’abscisse). Le babil du quotidien, la Voix énigmatique (sans visage) de la cour d’à côté interfèrent avec la logorrhée politique et médiatique, créant un composé mixte, agrégats d’une représentation mentale de la langue saisie dans son mouvement. Les données personnelles, transmises sans aucun sentimentalisme, entrent en collision avec les réalités économiques et sociales : le cancer, les accidents de la route, le chômage ou la retraite guettent chacun. La liste des vivants et des morts se déroule comme une litanie, le futur n’est qu’une case vide que les circonstances se chargeront de remplir. Face à l’impossibilité de maîtriser son destin, l’auteur occupe le rôle del a sentinelle qui veille, dans un devoir de mémoire, aux résurgences du souvenir et enregistre les marques du présent. L’écrivain tisse une toile de mots qui modestement traduit la permanence menacée de qui sait l’éphémère.


L’originalité de l’auteur se situe dans ce forage de la langue, à la fois reflet d’un individu et expression d’une identité collective. Hubert Lucot décortique les dires de ses contemporains pour mieux en dénoncer les dérives, se charge de rappeler que l’existence n’est qu’un sursis.


Anne Thébaud, La Quinzaine Littéraire, mars 1999



Hyper Lucot


D’inspiration autobiographique, "Probablement" est pour le poète une tentative de rendre compte de la complexité du réel.


Hubert Lucot est le dernier des fils des années 60 et n’a jamais renié ce que Roland Barthes nommait "écriture". S’il vient de faire paraître Probablement chez P.O.L, il écrit depuis plus de quarante-cinq ans. C’est en 1955, au cours d’une partie de flipper, qu’il rencontre Jean-Edern Hallier qui lui fait connaître le future groupe de Tel Quel. Mais, comme il donne à la NRF un article plutôt réservé sur le Parcde Philippe Sollers,son passage à Tel Quel sera discret, et ses publications dans ces années-là plutôt rares. Insensiblement, il s’éloigne de l’avant-garde "idéologique", trouvant bientôt chez les poètes l’accueil que les prosateurs lui ont refusé. Michel Deguy, Emmanuel Hocquart, Jean Daive, Claude Royer-Journoud le publient dans leurs revues avant que, dans les années 80, POL ne le découvre et édite notamment Autobiogre d’A.M. 75 (1980), Phanées les Nuées (1981), et plus récemment, les Voleurs d’orgasme, un "roman d’aventures, sexuelles, boursières et technologiques" (1998).


Il est à parier qu’Hubert Lucot intéressera bien plus les jeunes générations, celle des nouveaux médias, et des hypertextes, que les anciens combattants de la texutualité. Comme le Grand Incendie de Londres de Jacques Roubaud, les textes d’Hubert Lucot se déploient dans des espaces à plusieurs dimensions. Hubert Lucot ne ressent pas tant le vertige de la page blanche que ses limites. Ainsi ressemble-t-il plus à un peintre qu’à un écrivain. Il a, depuis longtemps, installé son bureau en plein air, notant les conversations de cafés, traquant "sur le motif" les émotions du quotidien, inventoriant la diversité ds langues. Cet "encyclopédiste" de profession a ainsi accumulé dans ses cartons des textes-esquisses, des textes-croquis, qu’il compile, coupe, résume, récrit. Car, depuis novembre 1958, date de son premier texte, il poursuit la même obsession, la recherche de la forme de l’émotion. Il est à l’affût de l’émergence d’une autre syntaxe, et d’une autre rhétorique que la classique. Il cherche un montage en accord avec le monde contemporain. Celui gouverné par la physique quantique où l’antique subordination du monde se traduit dans une pure juxtaposition des choses gouvernée par le principe d’incertitude et des lois du psychisme.

De fait, ses premiers textes intempestifs sont restés longtemps inédits en volume et paraissent peu à peu aujourd’hui tel Information (1969-1970), annoncé aux Editions Aleph. En 1970, il compose le Grand Graphe, édité par Tristram en 1990 et voué à figurer dans les futures histoires des hypertextes. Dès lors, Lucot alterne des livres linéaires et des textes spatiaux. Probablement, le dernier venu, fait écho à Absolument (1961-1965), c’est le récit d’une villégiature. A Soulac dans le Médoc, Lucot retrouve son pays d’enfance. Installé dans la cour intérieure de la maison familiale, il capte les voix du présent qui interfèrent avec celles du passé. Naît peu à peu une autobiographie où son histoire personnelle alterne avec l’Histoire (Mitterrand au Vel’d’hiv, ou à Sarajevo). Les associations libres, l’exploration de l’instant, les biographies minuscules, les méditations sur le monde postmoderne font de ce livre à la forme unique un monument à la complexité du réel. Christian Prigent notait chez Lucot la volonté de « rendre compte du réel dans sa totalité volumineuse ». La création artistique y rencontre la science, au point qu’on pourrait parler chez lui d’une physique de l’écriture.



Jean- Didier Wagner, Libération, février 1999


Et aussi

Hubert Lucot est mort.

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