Ici le poème naît de la négation. Le poème est noir comme on le dit de certains romans, de certains films. Noir jusqu’à se faire simple et doux. C’est-à-dire de cette simplicité et de cette douceur qui sont les vraies puissances de la négation, de l’erreur et du crime.
En s’inspirant de faits divers (imaginaires ou réels peu importe), en nommant des assassins, des suicidaires, des condamnés, Frédéric Boyer inscrit son œuvre poétique (puisque c’est de poèmes qu’il s’agit, avec rythmes, alinéas, mots recherchés et balancés, mystère de la formule qui porte et se grave) dans une tradition impressionnante, non pas tant de la littérature de genre, pittoresque ou folklorique, mais de la vraie littérature qui affronte la tragédie, ce bloc noir de la passion, de la mort, du désir, de la folie.
Dans cette littérature-là, les hommes sont plus rares que les femmes. Les poètes sont plus rares que les prosateurs aussi. Les femmes, ce sont quelques noms : Jean Rhys, Violette Leduc, Marguerite Duras surtout. C’est à cette dernière qu’on pense. A sa connaissance exceptionnelle des états limites de l’humanité, à sa fascination du crime, de la veulerie. Frédéric Boyer la suit donc. Avec la même habileté troublante à reproduire la qualité des voix des égarés. Il ne fait pas à la manière de Villon ou de Genet, un blason du criminel. Il tente de se glisser, avec la souplesse de sa sensibilité, avec la fluidité de sa pensée naturellement élégante, dans les sinuosités chaotiques des âmes perdues.
Le Monde, 18 juin 1999