— Paul Otchakovsky-Laurens

Travelogue

Joseph Julien Guglielmi

Travelogue s’inscrit dans une autre topique de rupture où s’aggrave, après Grungy Project, l’aventure antagonique, où culmine la dérision de la poésie… Où l’expression s’est resserrée sur le seul ordre de la ville. Ordre malade, où le regard erre, maintenant, sans retenue et se perd fasciné à travers les épisodes chaotiques et crus, les images obsessives d’un amour…

 

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La presse

L’errance déguisée


Tous les livres de J. J. Guglielmi laissent supposer que sa démarche ou plutôt ses marches dans l’écriture reproduisent l’ordre singulier de l’errance. Sa poésie, la manière dont il la construit en la secouant dans chacun de ses laboratoires, d’une manière insolemment originale, déposerait ainsi en surface de lecture un sillage de paroles entrechoquées, hoquetantes, habillées de parcelles d’un patchwork cosmopolite, toutes les ponctuations étrangères (anglais, italien, allemand, latin...) mettant sur scène l’apparente détermination d’une avancée assertorique. Ce sont là des remarques d’ensemble, certainement, mais qu’il faut rappeler ici pour ce livre qui illustre plus précisément encore la posture.


Après Grungy Project, Travelogue accentue la gestuelle du travail persistant que J. J. Guglielmi accomplit titre après titre. La traduction possible de celui-ci aide à cette interprétation. De quoi s’agit-il, d’un « voyage travesti », par la lecture possible du simple assemblage anglais-français, ou encore, dans ce voyage indéfini, de l’incessant murmure de celui qui à soi-même commente ce voyage... Code décrypté, traduction choisie, où conduit cette déambulation sérieuse ? Sur le sexe et la ville, omniprésentes balises de « l’ordre malade » menant à la « city women ». Mais a-t-on besoin d’un code, en fait ? Ne doit-on pas lire la poésie, dans le même rythme, d’un seul allant, du titre au dernire mot, (ici blême), savoir que dans ce voyage déguisé, immobile, autour d’une chambre mentale (une pièce est la ville), tout ce qui fait la fable de ce livre dit un paysage rectifié, livide, blanchi, questionnant la formule / qui reste après la nuit, l’énigme d’un fermail / de sa marche binaire dans une « relance imaginaire » et dans beau temps temps maximus beau beau branches nos couilles chaudes / still / in / the published town...


Déambulation obstinée, parsemée de flashs de rues et de parcs renvoyant autant de reflets que les vitres des villes parcourures (luminosité des éléments / et / gusto del vostro / goût du sexe / langue rouge man / hattan [...] entrejambes, / jerkulation de rue déserte langue pour se défaire de la langue).
Déambulation forcenée, sorte de mission onirique sur un chemin à refaire encore pour s’adresser à l’ennemi / aujourd’hui que les arbres sont sans feuilles [...] parabole de la lenteur / quand / je me tape « une explosion de mémoire », - ainsi « dans l’entrée bouleaux trois », comme clin-d’oeil-rappel d’un fameux monostiche écrit il y a longtemps, où « platanes » remplace « bouleaux »...


Voyage, avec en somme une visée et une serveillance permanente sur ceci : la poésie / n’est rien qu’un test / par exemple dire / le martin-pisseur / au lieu de / le martin-pêcheur, à comprendre bien comme une mise au point de travail. Et, dans cette perspective-là, une autre précision : image et plaisir / nul voyage / si ce n’est « image », qui finit en entrant dans le mur. On lit dans le dernier mot de ce vers le début de « murmure » c’est à dire le monologue du voyage, consistant aussi à mener ce jeu-jeu de reprendre / des sentiments anciens / en écoutant un double érostique / plus visible sur les os à lui sucer la poire.


S’il y a quelque part dans ce livre des traces à relever d’une lassitude et d’un détachement (Travelogue, ou voyage du murmure monologué, en porte plusieurs marques), c’est dans ces trois vers qui précèdent sur deux pages le « blême » terminal : elle jambes jusqu’au cul (trait) d’ombre, la veine de beauty / le miel dans le ventre, bu jusqu’au miel, le souvenir quand / il perdait le souffle. Ils exposent des fonds de verres et un silence de séparation.


Jean-Jacques Viton, Cahiers Critique de Poésie, 2000