— Paul Otchakovsky-Laurens

Mon héros

(Je ne sais pas)

Marc Cholodenko

Nous avons tous notre héros. Il est celui qui apparaît dans les failles innombrables, qui sont les manques à être, de la vie quotidienne dont ce petit traité est une phénoménologie. Il est celui que nous regardons dans notre miroir, et qui ne nous rend pas notre regard. Il est celui qui ferait ce que nous ne savons pas faire : vivre, mais qui ne le veut pas. Il est l’autre, le plus proche et le plus loin qui nous point en nous retenant dans la pure douleur d’exister, comme pur signe inintelligible de nous-mêmes et que nous ne serons jamais : il est celui qui est dans l’être tandis que nous vivons en vie.
Apparente aporie pour un texte apparent car ce qui est désiré et proposé...

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La presse

Je me narre



Marc Cholodenko en narrateur hypothétique pour un héros face à son miroir.



Hors le livre, fantasmer le titre, comme on fait sur un pseudo télématique, « Mon héros ! » se jette dans les bras de son sauveteur la bonde, naguère ligotée aux rails. « Mon héros » comme Michaux dit « Mon roi » -mon héros, dont je suis le je, ou l’auteur, voilà qui me pose là. « Je ne sais pas » : aube de la modernité, le je-ne-sais-rien et le presque-coi. Et puis bras dessus bras dessous, Mon héros (Je ne sais pas) : je ne sais pas si c’est mon héros, c’est « je ne sais pas », etc. On a beau retourner dans tous les sens les deux bouts de phrases fractionnés sur la couverture, on se rend compte qu’ils en appellent finalement un troisième, absent, comme toute métaphore qui se respecte. Mon héros (Je ne sais pas), bon titre pour une installation ou un poème.
Dedans, se faire « sasser » et ressasser par le texte troué : « Je me regarde dans la glace, je ne sais pas me regarder ; (...) les yeux qui sont face à mes yeux ne me voient pas ; ces deux ronds font un trou qui me fixe à sa surface » et encore : « je pisse, je ne sais pas pisser, je suis contraint de laisser couler de l’eau par mon tuyau. » La valeur du « je ne sais pas » prend alors cette teinte mélancolique de la paralysie, du « je ne peux pas », de l’impuissance de celui qui est traversé par ce qui ne lui appartient pas. Le Ion de Platon s’en serait contenté, mais Platon, c’est fini, et le narrateur note : « Me voilà dans un écrit dont je ne suis pas l’auteur mais seulement le scripteur », car on est forcément passé du corps à l’écrit, corpus scripti. Le narrateur s’éveille donc, se regarde au miroir, pisse, mange, se lave, s’habille, met la radio, aspire à passer l’aspirateur puis oublie tout, il achète le journal, le lit, valse une hésitation autour du téléphone, commence à travailler : « Je saisis mon crayon. J’écris je m’éveille»; ce qui est bien entendu le début du texte que nous avons lu jusque-là, et puis la parturition se réengendre p.67 : «J’écris je m’éveille. Je constate que sur la feuille il y a écrit je m’éveille je m’éveille. » Le texte ne cesse d’accoucher de lui-même sans se donner le jour, se résume à son accouchement, mais ne croyez pas, il y a de l’action et du drame dans cette histoire d’un type devant son miroir, « le stade du miroir est un drame dont la poussée interne se précipite de l’insuffisance à l’anticipation » ; annonçait Lacan en 1949. Le héros de Cholodenko serait en quelque sorte ce précipité : « Je me reporte à m’éveiller. Je regarde devant moi. Je vois la face d’oeil de bras de jambes à moi. Est-ce là la face de l’âme le petit dieu le héros caché le rien qui m’attend. Si c’est la face du rien c’est que c’en est le masque le rien n’a pas de face. Est-ce que cela qui m’attendant attend que le démasque que je défasse ce qui le cache comme rien sous ses bouts de moi. N’est-ce rien que ce face à moi qui me regarde me voir par quoi je me regarde en me voyant qui me cache le rien. Je tends le bras pour l’effacer comme une erreur la fausseté qu’il est. Je fais le geste d’effacer. Je n’efface rien. »



Eric Loret, Libération, 1er février 2001